Interview

Samir Machour : « je doute très fort que l’on puisse avoir un vaccin efficace dans les pharmacies d’ici à fin 2020 »

Considéré comme l’un du top 50 leader de la Santé dans le monde, et expert dans les domaines de la biotechnologie, les thérapies cellulaires et génétiques, les dispositifs médicaux et de diagnostics ainsi que les produits pharmaceutiques classiques, le Marocain Samir Machour livre quelques clés de lecture sur la pandémie de la Covid-19. Il revient plus en détails sur la gestion de la crise sanitaire dans le Royaume et celle de la Corée du Sud citée en exemple dans le monde.  

Challenge : Vous êtes nommé depuis quelques mois Senior Vice-Président, Patron de la Qualité et de la Conformité Règlementaire et Membre du Comité Exécutif de Samsung Biologics. Comment cela est-il arrivé ? 

Samir Machour : Samsung Biologics m’a approché fin 2018 pour que je puisse les rejoindre en tant que Senior Vice-President & Chief Quality Officer. Je n’ai pas hésité et j’ai accepté, d’ailleurs, pour plusieurs raisons. Je souhaitais tout d’abord rejoindre un grand groupe, qui avait l’ambition, la volonté et les moyens de changer le monde en permettant aux gens où qu’ils soient, de mieux vivre grâce aux  traitements et aux thérapies que Samsung Biologics fabrique. La deuxième raison, est la Corée du Sud. C’est un pays fascinant qui a une culture riche et une histoire industrielle récente. Il y a 40 ans seulement, la Corée du Sud était un pays paysan avec une dictature. Aujourd’hui, c’est une belle démocratie et c’est la 12ème économie du monde. 

Challenge : Que pensez-vous de la manière avec laquelle le Maroc gère la pandémie du Coronavirus ?

C’est vrai que le Gouvernement du Maroc, sur instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a réagi assez vite pour contrer cette pandémie. Rétrospectivement, le 1er cas Covid a été enregistré, je pense, dans le Royaume le 2 mars dernier et le 1er décès le 10 mars. Trois jours après, les écoles et les universités ont affiché portes closes. Le 15 mars, deux semaines donc après le 1er cas de Coronavirus, les vols internationaux ont été suspendus également. Il y a eu par la suite plusieurs arrêts d’activités publiques et économiques. Le 20 mars, le Gouvernement déclarait l’état d’urgence. Le Maroc n’avait pas d’autres choix que de réagir assez vite et brutalement pour essayer de ralentir la pandémie. Ce que l’on aurait pu mieux faire, a trait au port du masque en public et obligatoire depuis le 1er mars (1er cas Covid). On savait déjà à ce moment-là, que le Maroc ne serait pas épargné et que ce n’était qu’une question de temps. La Chine, la Corée du Sud, l’Italie, la France, les États-Unis et bien d’autres pays étaient déjà touchés par la Covid-19, certains depuis le 24 janvier. Le port du masque obligatoire était déjà en place en Corée à partir de fin janvier 2020. Je pense que le Maroc aurait certainement rendu les masques obligatoires beaucoup plus tôt si le pays avait le volume de masques qu’il fallait.

Challenge : Le Maroc vient de prolonger l’État d’urgence et le confinement pour trois semaines supplémentaires. Que vous inspire cette décision ?

J’estime que c’est une décision qui a certainement été mûrement réfléchie et très probablement basée sur des données terrain. Je suis conscient bien sûr des conséquences du prolongement du confinement et je sais ce que cela veut dire au quotidien pour des millions de nos concitoyens. Mais je pense sincèrement, que vu les données reportées récemment par le ministère de la Santé sur la situation actuelle de la Covid-19 au Maroc, la décision prise par le gouvernement est celle qu’il fallait prendre. Pour sortir du confinement, progressivement d’ailleurs, il faudrait au minimum que l’on ait atteint un taux de mortalité de 3% au maximum, un Rt (taux de reproduction) inférieur à 1 et surtout, il aurait fallu que l’on ait une courbe descendante au-dessous de 10 infectés par jour pendant une durée de deux semaines en jours consécutifs.   

Challenge : La Corée du Sud est citée en exemple dans sa manière de gérer cette pandémie. C’est quoi son secret ?

 La Corée du Sud a anticipé l’apparition de l’épidémie sur son territoire. Son expérience en 2015 avec le virus MERS  (syndrome respiratoire du Moyen-Orient, NDLR) a été utile. Les pouvoirs publics, les secteurs privés et semi-privés ainsi que la population étaient prêts bien avant le premier cas Covid-19. Les tests étaient prêts pour 70% de toute la population coréenne. Le port de masque était obligatoire et l’est encore aujourd’hui sur les places publiques et au travail. Ajoutez-y la prise de température en routine et plusieurs fois par jour, la qualité des soins et la rapidité de réponses des hôpitaux, le Track and Tracing (traçabilité ndlr) des cas infectés et de leurs entourages et la discipline qui ont tous été des éléments permettant de contribuer à contenir le plus possible le virus. 

Challenge : Un compatriote en la personne de Moncef Slaoui a été nommé par Donald Trump pour diriger l’équipe du vaccin Covid-19. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je connais bien Moncef Slaoui et je lui souhaite, tout d’abord, tous mes vœux de réussite. S’il y a un homme capable en effet de mener à bien cette mission pour concevoir un vaccin le plus vite possible, c’est bien Moncef Slaoui. Il a été choisi par la Maison Blanche pour conduire cet effort, non pas par ce qu’il est Marocain, mais par ce qu’il a les compétences et le bilan d’expérience qu’il faut. Ceci dit, un vaccin prend en moyenne entre deux et cinq années de développement quand il est prouvé efficace. Certains vaccins peuvent demander plus de 10 ans de développement, d’autres 30 ans ou plus, certains n’ont pas  abouti encore. C’est le cas du VIH.  

Challenge:Justement, peut-on espérer le développement d’un vaccin au plus tôt d’ici la fin de l’année ?

L’objectif n’est pas de développer un vaccin, mais de développer un vaccin qui soit efficace contre la Covid-19, en divisant par quatre ou par cinq la durée de développement. Il faudrait également penser à le fabriquer dans des quantités énormes, sachant qu’aucun pays au monde ne possède l’infrastructure industrielle nécessaire pour couvrir les besoins de plus de 7,9 milliards de personnes. Je suis habituellement de nature optimiste, mais je doute très fort que l’on puisse avoir un vaccin efficace dans les pharmacies d’ici à fin 2020. Au mieux probablement durant la première moitié de 2021.

Challenge : Que faut-il penser de la chloroquine ? Peut-on considérer cette substance comme pouvant être efficace pour le traitement du Coronavirus ? Certains scientifiques expriment des doutes sur son efficacité. Quel est votre avis sur le sujet ?

La Chloroquine ou l’Hydroxychloroquine est le sujet de plusieurs débats aujourd’hui. Il faut tout d’abord remarquer que la Chloroquine ou l’hydroxychloroquine n’est approuvée par aucune des agences règlementaires ou sanitaires pour le traitement de la Covid-19, dans le monde, y compris par l’agence Française, la FDA Américaine ou l’agence Chinoise du Médicament (CFDA). Il y a eu plusieurs études cliniques sur l’utilisation de la Chloroquine et l’hydroxychloroquine en association avec un antibiotique,  l’azithromycine. Toutes les études cliniques randomisées et contrôlées ont démontré aujourd’hui, que l’hydroxychloroquine n’avait aucun effet sur la charge virale ou sur l’atténuation des symptômes de la Covid-19. Il faudrait donc faire très attention aujourd’hui à l’utilisation de l’hydroxchloroquine comme traitement contre le virus. Je conseille de suivre l’avis de son médecin avant de considérer l’utilisation de ce médicament pour traiter ou en atténuer les symptômes. 

Challenge : Quelles sont aujourd’hui les mesures les plus efficaces pour limiter la propagation de ce virus en attendant qu’un vaccin soit trouvé ?

Cela se résume en deux mots : la prévention et la discipline ! Sans les deux, le risque de faire marche arrière sur les gains réalisés jusqu’à aujourd’hui, et qui ont nécessité de grands sacrifices, seraient perdus. Il faut absolument continuer à mettre un masque à chaque fois que l’on est dehors, que ce soit sur la place publique ou au travail. Il faut continuer à respecter les règles de distanciation, peu importe le confinement. Il faudrait revoir les règles qui régissent les rassemblements de personnes. Il faudrait également et impérativement devenir autonome sur la production des masques, désinfectants et autres kits de test. Enfin, il faudrait que le Maroc s’organise dès aujourd’hui, pour se mettre à disposition un stock des traitements de la Covid-19 qui sont en cours de phase clinique 3.

Challenge :  Vous êtes né à Rabat, vous aviez étudié au Lycée Yacoub El Mansour et ensuite au Lycée Tarik Ibn Ziyad à Azrou. Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire ?

Mon parcours scolaire au Maroc est simple. J’ai étudié à l’Ecole Don Bosco à Kénitra au primaire que j’ai continué à Rabat, ensuite j’ai fait une partie de mon collège au Lycée Yacoub El Mansour à Rabat et je suis parti à Azrou où j’ai fini ma scolarité, interne, au Lycée Tarik Ibn Ziyad. Le Lycée Tarik Ibn Ziyad à Azrou restera le lieu qui m’aura impacté le plus et qui a probablement influencé le reste de ma vie. 

Challenge : Vous avez ensuite poursuivi vos études à l’étranger. Quel a été votre parcours académique ?

Après avoir eu mon baccalauréat à Azrou, je suis parti au Canada où j’ai fait une partie de mes études collégiales et universitaires à l’Université de Montréal et à Concordia University. J’ai poursuivi ensuite mes études à l’université Harvard à Boston, à la Harvard Kennedy School of Government et enfin, à Harvard Medical School.

Challenge : Quid de votre parcours professionnel avant d’intégrer Samsung Biologics ?
Avant de rejoindre Samsung Biologics, j’ai occupé plusieurs postes de direction dans la recherche pharmaceutique, le développement, la production, la qualité, le règlementaire et le développement commercial. J’ai vécu un peu partout sur cette planète, notamment en Amérique du Nord, en Europe et en Asie et j’ai eu la chance de travailler avec les plus grands groupes pharmaceutiques du monde dans les domaines de la biotechnologie, les thérapies cellulaires et génétiques, les dispositifs médicaux et de diagnostiques et enfin, les produits pharmaceutiques classiques. Je siège au conseil d’administration de quelques start-ups pharmaceutiques et plus récemment, j’ai été moteur dans plusieurs acquisitions dont celle à 5,5 milliards de dollars de l’Américain Capsugel par le Laboratoire Suisse Lonza – avec lequel je travaillais.  

Challenge : Quels sont aujourd’hui vos liens avec le Maroc ?

Le Maroc est mon pays, peu importe où je suis. J’ai besoin de temps en temps de prendre du recul et de me ressourcer pour mieux repartir. Et je ne trouve cette énergie que lorsque je suis chez moi à Marrakech. Je ne rentre malheureusement pas souvent au Maroc à cause de mon travail et de mes responsabilités.

Bio express
Diplômé de l’Université Harvard et de la Harvard Kennedy School of Government, Samir Machour fait ses études dans sa ville natale au lycée Hassan II, avant de rejoindre lycée Tarik Ibnou Ziad à Azrou. Ce globetrotter  a travaillé sur presque tous les continents et a connu un parcours atypique et remarquable. Il a occupé pendant plus de 30 ans d’importants postes de responsabilité au sein des plus grandes firmes pharmaceutiques mondiales, de la biotechnologie ou du MedTeck, sans oublier Johnson and Johnson, Pfizer, GSK et Becton Dickinson.  Avant de rejoindre Samsung Biologics, Samir dirigeait le département qualité chez Lonza, le géant Suisse de la pharmacie où il a joué un rôle clé dans l’acquisition de l’Americain Capsugel, pour 5,5 milliards de dollars.  Au-delà de ses activités industrielles, Samir Machour est également le fondateur d’Executives Without Borders, l’une des plus grandes organisations à but non lucratif au monde, connectant les milieux industriels avec les associations à but non lucratif.

Lisez gratuitement Challenge en version PDF en cliquant sur le lien suivant : https://emag.challenge.ma/744/mobile/index.html

 
Article précédent

Produits alimentaires : 762 infractions constatées depuis le début de Ramadan

Article suivant

Relance économique: Les 7 propositions chocs de la CGEM