Société

La méthode porte-t-elle ses fruits ?

Campagne de sensibilisation antitabagique. Dans l’espace public comme sur les réseaux sociaux, la guerre contre les fumeurs est déclarée. De campagne de sensibilisation en pétition, les fumeurs sont la cible d’un matraquage pour les convaincre d’arrêter leur manie. Mais ces techniques portent-elles leurs fruits? Enquête. par Noréddine El Abbassi 

« J’en ai marre qu’on me demande: pourquoi tu fumes? Mais parce que j’ai besoin de mourir nom de Dieu!” lançait l’humoriste Bill Hicks, dans l’un de ses spectacles politiquement incorrects. C’est un fait: la guerre contre le tabagisme et les fumeurs est déclarée. Déjà durant l’été, une nouvelle campagne de sensibilisation contre le tabagisme a été lancée. Il faut rappeler que c’est aussi le combat de la Princesse Lalla Salma, dont sa lutte contre le cancer, trouve échos dans la société, et au delà. Dans la société d’abord: la nouvelle tendance est de faire signer une pétition pour l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Dans la politique de l’exécutif: la radio a annoncé une augmentation de 11 DH sur le paquet de cigarettes, soit plus de 30%. S’il n’y a pas de guerre contre les fumeurs, cela y ressemble grandement. Mais qu’est-ce qui pousse encore tant de gens jusque-là non fumeurs à commencer à fumer, alors que personne n’en ignore les risques ? Sans oublier le budget que cela nécessite  et qui, pour certains représente une dépense conséquente. 

“Fumer est l’un des comportements à risques les plus fréquents. Cela a des causes psychologiques profondes”, explique la psychologue, spécialiste des addictions Sonia Benkabbou. Pour elle, si l’on fume, ce n’est pas un suicide plus ou moins conscient, mais plus un comportement où l’on se met en danger. Ce que confirme Ali Seghrouchni, psychologue spécialiste en psychopathologie: “fumer, c’est la rébellion “low cost”, mais pas seulement. Dans la société marocaine, le fait de fumer est associé à la maturité. Cela peut relever de la “psychologie de bazar”, mais il semble que, justement et pour cette raison là que les femmes seraient plus attirées par un fumeur”, poursuit-il. Et dans le monde de l’entreprise, nous le remarquons: un jeune homme de bonne famille, réservé et prenant soin de sa mise réussit généralement moins bien qu’un fumeur, portant une barbe de trois jours. Signe des temps, il y a une inflation du rebelle. Il suffit de visser une “clope au bec” pour changer son image de cadre trop “lisse” en fonceur courageux, qui défie “proprement”, l’ordre établi.  

Fumer c’est s’automédicamenter 

Mais fumer, est-il un suicide inconscient? Là, c’est la psychiatrie qui nous répond négativement. Tout est bon, tout est poison. Sauf que le tabac est entièrement poison, mais qui a des effets pour le moins surprenants sur le corps humain: “une personne qui boit et qui fume s’auto médicamente. Ces deux substances ont un effet antidépresseur et anxiolytique sur le cerveau,” explique le Pr Driss Moussaoui. “Le mécanisme est le suivant: la nicotine provoque la sécrétion de sérotonine, qui elle-même régule la production de dopamine, responsable du plaisir. Lorsqu’on est déprimé, le taux de dopamine diminue, et le cerveau cherche des sources ailleurs. D’où, pour certains, le besoin de fumer.” ajoute Ali Seghrouchni. Dans un sens, fumer serait un stabilisateur d’humeurs, et expliquerait que tant de gens fument. Une étude américaine expliquait il y a 4 années, que des études étaient en cours pour mesurer l’impact du tabac sur la stabilisation des malades psychologiques graves, tels que les schizophrènes. 

Mais ces conclusions scientifiques expliquent également le phénomène de dépendance. Au bout d’un moment, le corps humain s’habitue à un certain taux de dopamine et ne fait plus d’efforts pour en produire. Il en résulte que lorsqu’on lui retire cette source de “plaisir”, il lutte. D’où le phénomène de manque ou “craving”. Lorsqu’on pose la question aux fumeurs, ils ne semblent pas conscients de leurs troubles, mais bien plus de leur dépendance. Rachid, lui, est plus conscient: “avant, je croyais que je fumais pour passer le temps. Depuis, je me suis rendu compte que je fume par anxiété. Lorsque je suis en route pour un rendez-vous, dont je ne connais pas le chemin et que j’ai peur d’arriver en retard: je fume. Lorsque j’attends un appel important qui n’arrive pas: je fume. Je fume chaque fois que j’ai besoin de m’occuper les mains et de penser à autre chose. Je suis un “work addict”, un dépendant au travail. Je ne tiens pas en place, et lorsque je ne fais rien, ou que j’ai l’impression de perdre mon temps, je dois tromper l’ennui, et je fume.”  

Fumer pour faire partie du groupe 

“Fumer alors qu’on en connaît les risques,  est  possible à partir du moment où l’on interroge la notion de dissonance cognitive (adopter des comportements à risques). Laquelle se définit comme l’inadéquation entre les actes et les pensées. Ainsi, nombre de soignants en service d’oncologie, fument alors même qu’ils sont quotidiennement confrontés aux conséquences concrètes du tabac. On ne peut parler pour eux de flou”, explique Sonia Benkabbou.

Pour elle, ceci est valable dans tous les pays.  Souvent, on commence à fumer jeune, à l’adolescence, généralement, quand la notion de mort est comprise, mais non intégrée. Le principe même de cette période de la vie est de ”tester” sa mortalité à travers des comportements appelés ordaliques, qui sont des mises en danger de soi, afin de tester ses propres limites.

Autre facteur relevé,  par les deux psychologues Sonia Benkabbou et Ali Seghrouchni: le désir d’appartenance à un groupe. Si fumer est valorisé, alors ce comportement devient une norme à laquelle chaque membre doit se plier pour faire partie du groupe.

Fumer a donc une fonction sociale, parfois selon le métier, parfois par l’appartenance  familiale, ou simplement dû à la classe socio-professionnelle (CSP) de référence. 

“Comme partout, au Maroc, chacun est de plus en plus et de mieux en mieux informé sur les risques du tabagisme. Toutefois, il existe une différence forte en fonction des classes sociales. Plus la CSP est élevée, plus l’information existe et circule.  Et fumer est toujours valorisé et non dangereux dans les milieux populaires. Ne pas fumer ou fumer n’est pas qu’une question de choix personnel. La représentation que le groupe d’appartenance a de ce comportement est un point central. Un peu comme pour l’alcool. Avant, fumer était une marque de virilité et d’entrée dans l’âge adulte. Aujourd’hui, il en va toujours de même, sauf dans certains milieux particuliers et ultra minoritaires qui l’ont complètement exclu de leur mode de vie,” conclut Sonia Benkabbou. 

Mais peut-être que l’on fume aussi à cause de l’environnement marocain. De plus en plus anxiogène. 

 
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