Culture

La musique soufie à Batha… sous l’arbre à palabres

C’est dans ce lieu magique faconné par le divin et l’humain, que des pèlerins épris d’amour et de liberté se sont intimement et publiquement réunis pour lever la voix et pour dépasser le simple murmure. Les frontières entre les humains ne sont pas aussi claires qu’on ne le pense. Elles sont complexes, plurielles, horizontales et verticales et méritent mille ingéniosités pour les dépasser.  par driss al andaloussi

Au-delà des langages, il y a malheureusement beaucoup de discours et beaucoup de comportements et d’attitudes qui trouvent un chemin vers l’éclosion artificiellement poussée. Les meneurs de cette lutte contre l’obscurantisme, contre les extrémismes, contre la pensée unique et contre la pauvreté des logiques réductrices de l’homme, en tant que créature dont seul le créateur connait le secret et la multidimensionnalité, se veulent avant tout des porteurs d’espoirs et de lumières. Ils ne veulent emmener vers le dépérissement que les egos et leur frilosité.

Le festival est aussi un lieu de création artistique

Beaucoup d’efforts ont été faits pour élever le niveau de l’écoute des chants et des mélodies. Nombreux ont été les invités de la création artistique à effectuer un voyage où le cœur obéit à tous les appels de la beauté. Les voix sublimes de Samira Kadiri, de Fatima Azzahra Kortobi, de Marwane Hajji et Salah Eddine Mohcine, ont perturbé la monotonie du quotidien de ceux qui ne pouvaient trouver refuge au-delà de la frontière tracée par le business machine. Invités aux champs de la sensibilité et de l’énergie positive, les heureux invités au musée Batha ont savouré l’ardeur et la justesse des musiciens et ont escaladé avec la beauté des voix les hauteurs de la beauté. Rabiaa Al Addaouiya et son amour insaisissable et tellement profond, ont fait oublier au public du festival certains sens considérés comme acquis. Aimer, est la seule clé d’entrée dans ce monde de la mélodie qui peut aider au dépérissement des egos.
Les hommages : un moment
fort du festival
Aimer, c’est aussi faire appel à l’absent qui a toujours été présent et qui le reste par sa pensée et son action continue sur les esprits. L’hommage au penseur tunisien Abdelwahab Meddeb a été une fête de l’esprit. L’homme a certes voyagé vers l’au-delà, mais ses amis pour ne pas dire ses complices d’Orient comme d’Occident ont invité souvenirs et écrits pour parler de lui, de ses analyses, de ses relations, de ses attitudes et aussi de ses soucis permanents. Ses adversaires, il les a choisis et là où l’obscurantisme et le « réductionnisme » prend le pouvoir sur l’être « réduit », il faut aller pour le dénuder et tenter de planter un arbuste symbole de l’espoir et de l’éveil. La Fouttouwa ou l’esprit du chevalier de la liberté est un engagement, non idéologique, mais profondément « révolutionnaire ».
L’instant historiquement tragique que vit le monde arabo-islamique, n’a pas épargné les pèlerins de Fès et les a faits sortir de leur « retraite »d’un instant. Littéralisme ou pauvreté de la lecture des textes sacrés, ivresse autre que celle provoquée par l’amour divin, mais plutôt par le sang humain et spectacles de l’horreur banalisés par les medias et les bailleurs de fonds, sont autant de tableaux que de malheurs provoqués par le fanatisme et l’ignorance. Que peut faire l’amour soufi devant le désastre ? Avant que les esprits parlent, le son et les voix très profondes ont permis un accompagnement musical et poétique. Katia et Gabrielle, Taghi Akbari et Mohammed Ali Merati ont porté les perles d’Erroumi pour les offrir aux âmes présentes. Les quatrains ont été écoutés « religieusement » et bu tel « ce vin qui ignore la terre comme l’eau »(Erroumi) ou cet autre qui emporte vers l’ivresse avant que la vigne ne soit créée.

Vernissage : Wolkmar Wenzel, ambassadeur d’Allemagne, Faouzi Skali, président du Festival, la Princesse Ingeborg Holstein, le Prince Rodolph De Lippe à côté de Pascual Jordan, curateur de l’exposition.

Le renouveau du soufisme est-il réel ?

Y a-t-il un renouveau du soufisme dans le monde musulman ? Question considérée comme légitime par le meneur des festivaliers Faouzi Skali. Les replis et les reculs se multiplient et la polémique grandissante n’apporte que de l’obscurité à l’obscurité. Pour répondre, certains penseurs et écrivains ont été invités à donner leurs points de vue et décrire le moment à travers leurs expériences. Les profils sont divers et multiples et constituent des angles de vision enrichissant l’analyse. La physique, la recherche historique, la théologie et la pensée en général ont permis de voir. La science ne peut, malgré ce qu’elle a offert à l’humanité, tout expliquer. Elle a certes façonné, certaines de nos attitudes, même religieuses. Le rationalisme et le littéralisme sont dans une relation qu’on ne peut pas nier. La quantification qui se trouve au cœur de la science a peut-être eu un impact sur les nombres qui « régissent » les invocations de beaucoup de courants soufis. Accéder au savoir par le cœur est aussi une voie qu’il faut rétablir. Le soufisme a souvent été appelé dans l’arène du politique. L’exemple de Salah Eddine et des « Mamalikes » a été évoqué lors des discussions. Le soufisme a existé bien avant le confrérisme et certaines confréries ont joué des rôles dans l’animation politique et idéologique. Le soufisme a connu un regain d’intérêt après les attentats du 11 septembre et depuis, les questionnements ne cessent de croître. Agir ou se cantonner dans la contemplation, regarder autrement les confréries ou renouveler les cadres de réflexion. C’est d’une révolution spirituelle que le monde musulman a besoin et celle-ci doit toucher le plus grand nombre. Le soufisme n’a pas fait la prison des dogmes institués par les hommes et a souvent donné un sens très large et très profond à tous les messages divins. Réduire un message et transformer cette réduction en discours sur la violence «  réparatrice » des torts infligés par un grand nombre de « mécréants » à une certaine vérité de l’Islam, a trouvé un terrain fertile dans des societés qui ont sous-estimé l’importance de l’éducation et du savoir. Le soufisme ne peut s’inscrire dans la voie de la guerre ou de l’idéologie. Il ne peut qu’emprunter celle de l’éducation, de la profondeur et de l’amour. Continuer à faire porter les messages de l’amour par des esprits épris par « la Fouttouwa », demeure l’arme qui résistera aux siècles et aux vicissitudes historiques. Une des participantes aux débats a résumé les moyens de lutte contre les maux de ce monde, en disant qu’il ne sera sauvé que par le divin et le féminin. Les références aux maitres du soufisme ont été autant orientales, qu’occidentales. Ces dernières ont exercé ces dernières années un chemin de réappropriation des voies soufies  par des jeunes musulmans qui ne pouvaient avoir accès aux textes anciens, tant cet accès s’apparente au côtoiement de l’ésotérisme.

Le Samaa est un moment de pure beauté

Les soirées de Samaa ont été nombreuses et faisaient de l’instant un voyage vers des lieux toujours extensibles et qui ne peuvent s’offrir sans volonté d’aimer et sans avoir accepté les voyages et leurs dangers. Les tariquas Boudchichiya, Wazzania, Sequillia et les autres, ont su appeler les ames à ce grand rendez vous. Il est certes difficile, de fédérer tous les présents autour des essences et surtout lorsque l’affluence est grande et où le lieu de la communion s’excuse devant les centaines de pèlerins venant de plusieurs pays. L’intime relation des soufis avec le grand amour n’est pas toujours compatible avec les grands nombres. Le festival tend à ouvrir les espaces pour répondre aux milliers d’amoureux qui sont venus à la rencontre de la sagesse et de la voie spirituelle profonde et sans cesse renouvelée.

Belle était l’occasion et forts étaient ses symboles

Fès et ses pèlerins ont mérité un festival d’une telle qualité. Les efforts de Faouzi Skali, de My Abdellah El Ouazzani et de leurs nombreux et  « internationaux » compagnons, ont produit des lumières et poussé les amoureux de ce festival à entrer dans la perplexité de la recherche, de l’écoute et de la réflexion. Le soufisme en général et le festival de Fès en particulier, tentent de montrer une voie, celle de l’amour et la grande énergie positive qu’il distribue autour de ses porteurs. Le vivre ensemble n’est pas qu’un serment de foi ou un discours politique, il est d’abord l’amour du prochain de l’autre, de tout autre… Il est l’antidote des armes venimeuses que fait proliférer l’obscurantisme. n

 
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