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La place de la femme dans l’équation nationale de l’emploi

Après une longue période d’attente, la Stratégie Nationale de l’Emploi-SNE- semble être sur les rails. En tout cas, c’est ce qui ressort de la réunion du Conseil de gouvernement de ce 2 juillet, lors de laquelle le ministre de l’Emploi et des  Affaires sociales, Abdeslam Seddiki, a présenté la stratégie de son département pour l’échéance 2016-2025. Ce programme ambitionne la mise en œuvre de plusieurs programmes, dont celui de la prise en compte de la dimension féminine, souvent marginalisée, voire absente des politiques publiques. par Abdelfettah Alami

Selon M. Seddiki, « La valorisation du capital humain est un autre objectif fixé afin d’améliorer la productivité de l’économie nationale et sa compétitivité, ainsi que le niveau de rémunération des salariés. La stratégie nationale de l’emploi, compte mettre en place de nouveaux programmes pour stimuler l’inclusion dans l’emploi de la main-d’œuvre qualifiée, des femmes et des jeunes. Ceci en complémentarité avec ceux déjà engagés en faveur des PME et des TPE ».
Il est vrai que, dans un souci de cohérence de l’action publique, toute stratégie de l’emploi devrait tenir compte de la situation particulière des femmes et ce, pour deux raisons fondamentales : leur faible implication sur le marché du travail et la précarité qui caractérise leur employabilité particulièrement dans le monde rural et dans le secteur informel. Deux indicateurs attestent de cette triste réalité : comparativement à quelques expériences étrangères, le taux d’activité des femmes est un des plus faibles dans la région MENA, soit 25% (18% dans les villes et 37% dans les campagnes) alors qu’il est de 65% en Europe. Le niveau de qualification est faible parmi les femmes actives dont seulement un tiers est diplômé, contre 41% des hommes actifs en 2012.

Inégalités dans l’emploi des femmes

Depuis quelques années, notre pays, de par les mesures prises sur le plan législatif et institutionnel, pourrait être considéré comme avant gardiste et moderniste pour les questions touchant le statut et les conditions des femmes. La consécration, par la constitution de 2011, du principe de non discrimination en fonction du genre et celui de l’égalité et de la parité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines, est l’expression évidente de la volonté des pouvoirs publics de garantir l’égalité des chances, pour tous, pour l’accès au marché du travail.
Or, sur le terrain, la réalité et le vécu quotidien de la femme marocaine est tout autre. Il est incontestable que selon les milieux, les femmes ont investi le marché du travail. Leur volonté d’indépendance financière, d’indépendance tout court, les a conduites, à partir des années 1970, à s’insérer dans les études et dans l’emploi, bien plus massivement qu’elles ne l’avaient fait auparavant. De force d’appoint, les femmes sont devenues partie prenante de la population active.
Toutefois, l’évolution des marchés du travail et les situations de crise économique aggravée par la récurrence des années de sécheresse et leurs conséquences sur l’emploi rural et l’émigration vers les villes, ont amplifié les difficultés d’insertion individuelle dans l’activité, et en tout premier lieu, celles des femmes. La montée du chômage a distendu l’accès au marché de l’emploi et a précarisé, beaucoup plus que par le passé, leur situation dont l’exclusion et les inégalités hommes /femmes  en est l’origine.
Le diagnostic ayant servi de base à l’élaboration de la stratégie Nationale de l’emploi, fait état de façon éloquente, à partir de plusieurs indicateurs nationaux, de la faible participation et de la forte précarité des femmes sur le marché du travail. Les chiffres tirés de l’enquête nationale sur l’emploi du Haut Commissariat au Plan, attestent de cette triste réalité.
Ainsi, en termes de taux d’activité, seule une femme sur quatre est active contre trois sur quatre pour le sexe masculin. La participation des femmes à ce niveau, n’est, en effet, que de 25% alors que le taux d’activité annuel chez les hommes est de 73%, comme on peut le remarquer sur le schéma ci-après :
En plus, les femmes représentent près de 28% des chômeurs alors qu’elles constituent le quart de la population active. Les mêmes inégalités sont perceptibles chez les femmes diplômées  où leur taux de chômage est très élevé (26,7%) en 2013, par rapport à celui enregistré chez la population masculine (14,8%) – Voir tableau ci-dessus. Par tranche d’âge, en milieu urbain, l’écart du taux de chômage entre jeunes et adultes est plus accentué chez les hommes que les femmes. Enfin, les disparités d’accès au travail selon le genre sont plus accentuées en zone urbaine où une femme active sur cinq est au chômage contre 13,2% des hommes.

Les signes de la précarité : des emplois peu qualifiés

La qualité des emplois occupés par les femmes renseigne sur leur niveau de précarité. Ainsi parmi les actifs à temps partiel, plus de 70% sont des femmes. Si l’on se limite au seul secteur privé, la tendance est encore plus marquée : En milieu urbain, et particulièrement dans certaines industries, le contrat CCD chez les femmes est la règle. Souvent imposé par les employeurs, le temps partiel est le plus souvent associé à un travail non qualifié, fréquemment instable, saisonnier parce qu’à durée déterminée. Les femmes sont aussi surreprésentées dans les emplois peu qualifiés. Une majorité des femmes travaillent dans l’agriculture (6 femmes sur 10) contre seulement 28% dans les services. La part des femmes travaillant dans l’industrie reste faible, autour de 12%. En milieu urbain, plus de 70% des femmes en activité travaillent dans les services, alors qu’en milieu rural plus de 9 femmes sur 10 travaillent dans le secteur primaire (Agriculture, forêts et pêche) sans oublier que 10 parmi elles occupent des emplois non rémunérés et ne relèvent par conséquent d’aucun statut de travail, ni de couverture sociale.
Il ne suffit donc pas de constater que les femmes sont majoritaires dans tel ou tel secteur, sinon l’analyse serait biaisée. Les bas salaires, les emplois non qualifiés et les conditions difficiles de travail associées à ces emplois sont à prendre en compte dans toute stratégie visant l’accès équitable et juste des femmes au marché du travail.

Que prévoit la SNE pour améliorer l’employabilité des femmes ?

Parce que les facteurs d’une plus grande précarité des femmes  proviennent des inégalités existantes dans notre société, c’est en premier lieu du côté de la réduction de ces inégalités qu’est la priorité. Il faut toujours réaffirmer que l’emploi des femmes est une condition de leur indépendance. La SNE préconise de traiter ces difficultés et contraintes « de façon transversale et spécifique » selon les mesures suivantes :
– tenir compte des besoins spécifiques des femmes actives en termes de mobilité sur le marché du travail, en particulier les femmes non qualifiées et dévalorisées ;
– appuyer les secteurs économiques porteurs d’emplois pour les femmes (textile habillement, services..) et prendre des mesures pour accroître la présence des femmes dans les secteurs à plus forte valeur ajoutée, et favoriser l’accès à l’économie informelle ;
– Développer des mesures visant à accroître l’activité rémunérée des femmes, notamment en luttant contre les discriminations, levant les difficultés et les obstacles auxquels elles sont confrontées, accroissant leurs ressources et capacités productives et préconisant les mesures visant à aider les familles à deux actifs à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale ;
– Mieux impliquer les acteurs locaux et les associations socioprofessionnelles de femmes dans la formulation et la mise en œuvre des politiques actives du marché du travail ;
– Prendre des mesures qui visent expressément à améliorer l’emploi, la productivité et les conditions de travail dans l’économie informelle : la promotion de l’auto-emploi, du travail indépendant et l’encouragement du microcrédit ciblés sur les petites ou micro entreprises à gestion familiale, dont une partie non négligeable est gérée par des femmes.

La femme rurale…dans les oubliettes !

Le travail colossal accompli par la femme dans le secteur agricole, dont les bénéfices reviennent d’abord aux femmes elles mêmes, mais aussi à leur famille et à leur communauté, est malheureusement peu pris en compte dans les agrégats qui ressortent des statistiques nationales sur l’emploi. Mais les éléments issus de ces données, comme signalé précédemment, démontrent que la femme rurale subit les discriminations les plus frappantes, en plus de conditions de travail difficiles. S’il est vrai que les détails de la SNE n’ont pas encore été divulgués, les principales propositions citées auparavant, pour traiter ces disparités laissent peu de place à la femme rurale. Les pistes à explorer, à ce niveau, doivent s’orienter vers la mobilisation d’investissements importants pour la mécanisation du travail de la femme ; de même que des politiques sont à instituer pour promouvoir une véritable vision du genre en faveur de celle-ci. Ceci est crucial dans notre pays. Il suffit, d’ailleurs, de savoir que la FAO, a estimé que si les femmes du monde entier avaient le même accès que les hommes aux facteurs de production, elles pourraient augmenter leurs rendements de 20% à 30% et la production agricole totale de 2,5 à 4%, permettant à entre 100 et 150 millions de personnes de ne plus souffrir de la faim.

 
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