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La VEFA dans sa mouture actuelle n’est pas applicable

Le scandale de l’escroquerie du groupe immobilier Bab Darna a porté un coup dur à la réputation de tout un secteur dont la contribution au PIB national dépasse 6%. Au-delà de cette affaire, l’application de la loi sur la VEFA suscite beaucoup de critiques à cause des abus de certains promoteurs. Taoufik Kamil explique la position de la FNPI qui milite pour la révision et l’application de la loi relative à l’achat sur plan afin de donner plus d’assurance aux transactions et garantir les intérêts aussi bien des acquéreurs que des promoteurs.

Challenge : Le Conseil du gouvernement qui s’est tenu le 2 janvier dernier, a décidé de reporter sine die, l’examen et l’approbation du projet de décret garantissant la restitution des échéances payées en cas de non-exécution du contrat de vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement (VEFA). Plusieurs promoteurs immobiliers s’interrogent sur le timing choisi pour faire passer ce décret, quatre ans après la sortie de la loi sur la VEFA. Qu’en pensez-vous ?

Taoufik Kamil : La publication de la loi sur la VEFA date de février 2016. Le décret d’application de cette loi vient d’être remis au Conseil du Gouvernement en janvier 2020, sans aucune concertation avec les professionnels du secteur. Nous rappelons que la Fédération Nationale des Promoteurs Immobiliers a émis des réserves substantielles concernant cette loi, déjà bien avant son adoption en 2016 qui n’ont hélas, pas été prises en compte. Les modalités d’application de cette loi, largement inspirée de la juridiction Française, ne sont pas réalisables dans notre pays. 

En effet, en France la VEFA est basée sur un transfert de propriété déjà en cours de construction, car les titres fonciers des biens en cours d’édification sont édités dès l’obtention de l’autorisation de construire. Le contrat établi entre les contractuels est, dès sa signature un contrat de vente définitif avec un transfert progressif de la propriété qui se réalise totalement en fin de travaux au profit de l’acquéreur. Aussi, les banques peuvent financer l’acquéreur dès la signature de ce contrat de vente préliminaire et peuvent débloquer les crédits qui lui sont accordés par le biais du notaire au promoteur au fur et à mesure de l’avancement des travaux du bien en question. Ces dispositions sont logiques et applicables. 

Dans notre pays, les titres fonciers des biens en cours de production ne sont établis qu’après la fin des travaux de construction à 100%, et l’obtention du permis d’habiter. Ce schéma est tout à fait différent du système Français. 

Par ailleurs il est exigé dans le cadre de la VEFA (version Maroc), que toute avance octroyée au promoteur donne lieu à une garantie de restitution des avances (soit bancaire soit par le biais d’une assurance) à l’acquéreur en cas de non réalisation ou de retard significatif du projet de construction. Or, les banques ne financent un projet immobilier que s’ils ont une visibilité sur l’état de commercialisation du projet et exigent des contrats de réservation avec remise d’avances au promoteur. Aussi, les banques ne peuvent financer un projet immobilier et donner une garantie supplémentaire de restitution des avances des acquéreurs. Par ailleurs, il n’existe pas de produit chez les assureurs pour les remboursements des avances aux acquéreurs consenties aux promoteurs. 

Suite à ce qui vient d’être énoncé, l’application de la VEFA dans sa mouture actuelle n’est absolument pas applicable. Cette loi nécessite des modifications substantielles qui sont incontournables et absolument indispensables pour être appliquées. La FNPI milite dans ce sens et demande la révision et l’application de la prochaine version modifiée de cette VEFA qui donnera plus d’assurance aux transactions et garantira les intérêts des acquéreurs ainsi que ceux des promoteurs. 

Les dysfonctionnements, malversations et escroqueries dont ont été victimes un certain nombre de nos concitoyens et que nous déplorons vivement, ne doivent pas nous conduire à réagir spontanément de la sorte. Nous rappelons que la FNPI a par le passé mis en garde toutes les autorités dans l’enceinte même du Parlement, par rapport aux pratiques délictuelles constatées essentiellement par des amicales d’habitation dont ont émané la majorité des scandales d’escroquerie actuels et par quelques individus se prétendant promoteurs immobiliers pour réaliser leurs malversations. L’établissement d’un statut de promoteur immobilier professionnel devant apporter des garanties et respecter les règles de la profession est aussi réclamé depuis des années, en vain.

La FNPI a adressé une lettre au Chef du gouvernement et à tous les ministres dans laquelle elle exprime son désarroi sur l’application de cette loi. Que craignent les promoteurs immobiliers dans la mise en application du projet de décret ?

Il aurait fallu une concertation beaucoup plus approfondie constructive et inclusive avec le GPBM, les assurances et la FNPI avec l’autorité de tutelle avant de prendre une telle initiative. Comprendre pourquoi cette loi n’a pas été appliquée et ne peut l’être dans son état actuel. Imposer au secteur de la promotion immobilière ce dispositif risquerait très sérieusement de le bloquer totalement. Nous rappelons que l’activité immobilière, qui est en plus en difficulté, emploie de manière globale avec tout son écosystème un million de personnes. Il y a lieu de mettre en œuvre des processus viables qui puissent contribuer au développement du secteur immobilier et non d’imposer des contraintes juridiques inapplicables au risque de le mettre en péril. Les effets systémiques considérables générés par ces malversations à répétitions sur les fondements même de notre profession et de tout son écosystème, déjà fragilisée par différents autres facteurs vont être préjudiciables. La FNPI s’est portée partie civile dans cette affaire à cause de ces dommages. Mme la Ministre nouvellement nommée à la tête de ce ministère stratégique, se retrouve avec des dossiers sensibles à gérer non traités auparavant et dont elle a hérité. Une rencontre a eu lieu récemment au ministère avec Mme la Ministre et la FNPI au cours de laquelle ce dossier et la loi de la VEFA ont été discutés en toute transparence dans une optique constructive et bénéfique pour le secteur. Nous l’en remercions vivement. Une commission mixte pour débattre et étudier de manière approfondie avec la célérité qu’il se doit, l’ensemble de cette problématique et y apporter les solutions adéquates a été mise en place. La FNPI est un partenaire stratégique du ministère avec lequel nous collaborons en toute synergie. Le seul objectif de la FNPI, est la pleine réussite de toute politique d’habitat et d’urbanisme efficiente de notre pays, dans l’intérêt suprême de notre nation. Il y a lieu aussi de remédier à d’autres dysfonctionnements qui entravent la bonne marche de l’activité immobilière par la mise en place de dispositifs très simples que nous avons également proposés à Mme la Ministre, ainsi que de procéder à de nouvelles orientations en matière d’urbanisme et autres.

Comment expliquez-vous que les opérations d’achat de biens immeubles sur plan ou en cours de construction, font de plus en plus de victimes qui voient leur rêve de devenir propriétaire se transformer en cauchemar ?

Nous constatons et dénonçons encore une fois depuis des années, que des non professionnels se ruent sur cette profession qu’ils ne maitrisent pas, dans la seule optique d’engranger des gains par des méthodes et moyens frauduleux au détriment d’acquéreurs désireux de se loger aux moindres coûts et qui sont induits en erreur par les mensonges et méthodes de ces arnaqueurs. Il ne s’agit en aucun cas de promoteurs immobiliers scrupuleux et consciencieux. Il est temps d’établir un statut juridique des promoteurs immobiliers qui doit comporter les droits et obligations des promoteurs immobiliers et doivent être bien identifiés. 

Faire croire que l’achat de deux logements donne droit à un troisième gratuit, doit quand même interpeller les différentes autorités publiques dans toutes leurs composantes. Des méthodes publicitaires mensongères et tapageuses portées par même les plus grands medias sont utilisées sans aucun contrôle des différentes autorités. 

Comment peut-on laisser commercialiser des logements prétendus en cours de construction sans en être propriétaire et sans que ces projets ne soient autorisés ? 

Encore une fois, beaucoup d’«amicales d’habitations» dont le statut devrait être celui des coopératives d’habitation plus règlementé, agissent de la sorte au vu et au su des autorités. Ces structures doivent avoir leurs membres bien identifiés avant tout achat de parcelle, et ces mêmes structures ne doivent en aucun cas commercialiser leurs biens, sinon il n’est plus question d’un regroupement de personnes voulant construire leurs propres logements, mais des opérations commerciales voulant échapper au fisc. Tant que des mesures strictes ne sont pas prises contre ce genre de pratiques, diverses escroqueries seront permises et des personnes crédules voulant accéder à un logement seront flouées.

Avec les failles du dispositif relatif à la VEFA, faut-il continuer à acheter sur plan ?

Bien entendu. Il faut s’adresser à des promoteurs immobiliers connus et reconnus. Il y a lieu de vérifier que le foncier objet du projet en question est bien la propriété du promoteur en question et que le projet est bien autorisé. Nous espérons vivement que des approches constructives inclusives et participatives soient adoptées par les autorités pour pouvoir établir un cadre juridique adapté et applicable dans le cadre des spécificités de notre pays. Faire des avances hors de ce cadre comporte de sérieux risques pour l’acquéreur. 

La FNPI a fait plusieurs propositions concrètes concernant les modifications à apporter à l’actuelle VEFA, pour garantir les intérêts des acquéreurs et du promoteur aux autorités de tutelle. Espérons qu’elles soient lues, étudiées et adoptées. 

De même que la FNPI n’a cessé de produire depuis des années de multiples propositions pour améliorer l’activité du secteur, le règlementer davantage pour le rendre beaucoup plus performant et surtout permettre l’accès légitime de nos concitoyens à un logement décent de qualité et à un coût adapté au pouvoir d’achat de chacun d’entre nous.

 
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