L’administration judiciaire : comment sortir de l’impasse ?

Avec la décision de la Cour Constitutionnelle sur la loi relative à l’organisation judiciaire, le rôle du ministère de la Justice dans le fonctionnement des tribunaux perd de son importance. Dorénavant, son intervention sera limitée aux seuls aspects administratifs et financiers de l’administration. L’activité des secrétariats-greffes relèvera de la seule compétence des responsables judiciaires.

L’une des conséquences de la décision de la Cour Constitutionnelle, rendue le 8 février au sujet de la loi relative à l’organisation judiciaire, est le démontage pur et simple du modèle organisationnel des tribunaux proposé par l’Exécutif, plus précisément le ministère de la Justice, et avalisé par les deux Chambres du Parlement.

Ce schéma prévoyait une administration rattachée directement au ministre de la Justice et supervisée par les responsables judiciaires (Président du tribunal et Procureur du Roi au niveau des tribunaux de premier degré et Premier-Président et Procureur général du Roi au niveau des Cours d’Appel). 

L’administration comprend à la fois la gestion administrative et financière et le secrétariat-greffe, le tout coiffé par un Secrétaire général placé sous l’autorité du ministre de la Justice et supervisé par les responsables judiciaires. 

Ce modèle fait donc de l’administration des juridictions une affaire partagée entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire avec une prédominance du ministre de la Justice en sa qualité de chef hiérarchique du secrétaire général du tribunal, le responsable direct de l’administration judiciaire. Il est incontestable que ce schéma organisationnel permet au ministre de la Justice de garder l’œil sur l’activité judiciaire à travers notamment le Secrétariat greffe qui intervient dans tous les processus judiciaires.

Reste que ce n’est pas du tout l’avis de la Cour Constitutionnelle qui a tenu à appliquer à la lettre le principe de séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Pour le juge constitutionnel, le rattachement de l’administration judiciaire au ministre de la Justice ne soulève aucun problème de constitutionnalité. Elle est en même temps une question commune au pouvoir exécutif et au pouvoir judiciaire. Les deux coordonnent leurs actions pour le bon fonctionnement des tribunaux.

Seulement, précise la Cour, l’administration judiciaire rattachée au ministre de la Justice ne peut s’occuper que des affaires administratives et financières et sous réserve qu’elle ne porte pas atteinte à l’indépendance de la Justice. Et la Cour d’ajouter, pour plus de clarté, que la « gestion administrative et financière des juridictions se limite à la gestion du patrimoine, des ressources financières et de la carrière des fonctionnaires ».

Administration des tribunaux : entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire

Mais vu que l’administration des tribunaux comporte un aspect judiciaire (réception des plaintes, des procès-verbaux et des requêtes, rédaction des convocations, notification des actes etc.), la Cour estime que cette activité doit être réservée aux seuls responsables judiciaires. Le résultat est que le secrétariat-greffe dont le travail revêt un caractère judiciaire, ne peut pas être placé sous l’autorité du ministre de la Justice. De même, aucune coordination n’est tolérée dans ce domaine entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire. C’est en d’autres termes un domaine qui doit échapper totalement au ministre de la Justice.

Dans la même logique, le secrétaire général, en tant que responsable administratif relevant du ministre de la Justice, ne peut pas être placé à la tête du secrétariat-greffe qui exerce une activité qui a un aspect judiciaire. Par conséquent, le secrétaire général, de par son rattachement au ministre de la Justice, ne peut être chargé que des aspects administratifs et financiers de l’administration des tribunaux.

La position de la Cour constitutionnelle impose au gouvernement et au parlement de revoir complètement le modèle d’organisation des tribunaux. Mais sachant que la décision de la Cour constitutionnelle s’impose à toutes les autorités publiques comme le stipule la Constitution, leur marge de manœuvre est donc extrêmement étroite.

Le raisonnement suivi par la Cour constitutionnelle impose de scinder l’administration des tribunaux en deux blocs : une structure administrative rattachée au ministre et qui fera le travail d’un service administratif et financier. Son périmètre d’intervention se limitera à la gestion du patrimoine et du budget et à la gestion des carrières des fonctionnaires exerçant au sein de chaque juridiction.

La seconde structure est le secrétariat-greffe qui relèvera des responsables des tribunaux sans aucune intervention du ministère de la Justice. Et à ce niveau aussi, la Cour ne retient pas l’organisation prévue dans la loi et qui prévoit un seul secrétariat-greffe. Pour la Cour, la spécificité de l’activité du Parquet ne permet pas l’unicité du secrétariat-greffe. En d’autres termes, le Parquet doit avoir son propre secrétariat-greffe.

Si la décision de la Cour constitutionnelle renforce l’indépendance de la justice, il est en même temps clair que le ministre de la Justice se trouve forcé de lâcher ce qu’il garde encore comme attributions dans le domaine judiciaire. En perdant les secrétariats-greffes des tribunaux, il se voit privé d’un moyen qui lui permet de garder un œil sur ce qui se passe dans les tribunaux.

Dorénavant, pour toutes les données se rapportant à l’activité judiciaire, il devient dépendant du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et de la présidence du ministère public. Un grand changement qui se profile à l’horizon. 

 
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