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L’assainissement ou le règne du non-droit

La funeste opération, improprement appelée assainissement, continue de laisser des traces. Une série d’émissions a permis de raconter et d’expliquer l’indicible.

Me Mohamed
Zyane.

«Fi Assamim » nouvelle émission de MFM, programmée deux fois par semaine (tout les mardi et mercredi de 19h45 à 22h sur la chaine nationale MFM), a dépoussiéré le dossier de l’assainissement. Des victimes de l’injustice, des avocats, des journalistes ont reconstitué un épisode douloureux où toute notion de droit, même la plus élémentaire a disparu.
Comment cela a-t-il été possible, dans un pays qui se préparait à l’alternance consensuelle et qui avait entamé des réformes économiques profondes en vue d’encourager l’investissement ? La réponse n’est pas encourageante, elle signifie tout simplement que l’assujettissement de l’appareil judiciaire à l’exécutif est porteur des germes de l’injustice. Mohamed Zyane, ministre des Droits de l’homme à l’époque, rappelle que Basri lui avait dit « c’est illégal, injuste, mais cela doit être fait et sera fait ».
Qu’est-ce qui devait être fait et a été fait ? Officiellement, il s’agissait de combattre la contrebande, le trafic de drogues et autres tricheries. Au déclenchement de l’affaire Benchetrit, l’Etat a communiqué très fort sur sa volonté «d’assainir ». Le système s’emballait, la DST et la BNPJ ne travaillaient plus que sur ce dossier, avec des méthodes qui ne les honorent pas. Dirigées par Arriahi, les enquêtes étaient à charge, les éléments de preuves souvent bidouillés, les aveux arrachés par la torture.
La justice a été mise au pas. Les procès s’enchaînaient dans la précipitation, les jugements tombaient à l’emporte-pièce, très lourds, accompagnés d’amendes astronomiques qu’aucun des accusés n’avait les moyens de payer et que les caisses de l’Etat n’ont jamais reçues.
Le système broyait des accusés en dehors des règles. Il ne s’est pas trouvé de juges pour respecter les droits de la défense, refuser des preuves fabriquées. Mais il s’est vite perverti encore plus. Des agents d’autorité ont utilisé la « Harka » pour s’enrichir par le biais du chantage. Des opérateurs, dans différents secteurs sont passés à la caisse, ont donné des millions de dirhams pour éviter d’être face à un système inquisitoire qui ne leur laissait aucune chance. Quelques années après, le plus célèbre de ces agents d’autorité sera condamné pour d’autres affaires, dans un procès dont l’équité peut être mise en doute.
Le système s’est aussi perverti parce que des lobbys s’en sont servis. Le cas le plus symbolique est celui de Ben Abderrazik. Ce pharmacien a investi pour concurrencer un monopole de l’Institut Pasteur, au profit d’intérêts très privés. Il a été arrêté, ainsi que son beau-père, qui lui louait juste le local. La cabale fut savamment organisée, « cet homme veut vous fourguer le sida » a titré, dans le déshonneur, un hebdomadaire casablancais. Les professeurs Himmich et feu Benchemsi, sont montées au créneau pour dénoncer de manière scientifique, le contenu hilarant de l’accusation. Rien n’a arrêté la machine, brisant la vie d’une famille. Lors de l’émission, Zyane a dit à Ben Abderrazik «Ils voulaient t’accuser de commerce d’organes humains et te condamner à mort», ils auraient pu le faire.
Parce que comme dans l’affaire Tabit, le sensationnel, la soif de sang du petit peuple l’emportait, la presse nationale a manqué de discernement, dans son grand ensemble. Certains se sont rebiffés, s’attirant les foudres de Driss Basri. Malheureusement pour l’honneur de la presse, ils n’étaient que trois ou quatre à le faire.
Au sein du gouvernement Zyane a démissionné, Mohamed Kabbaj et surtout Driss Jettou ont tenté de s’opposer et de convaincre Hassan II d’arrêter le massacre, au nom des intérêts économiques. Son soutien à son ministre de l’Intérieur était inébranlable. La CGEM s’est tue quelques semaines puis a réagi. Lahjouji le président de l’époque, a fait une véritable plaidoirie dans une réunion publique, en présence de Driss Basri. A Tanger, des industriels ont remis les clés de leurs usines au gouverneur de la ville, refusant les amalgames. L’économie a pris un sacré coup. A l’étranger, les voix s’élevaient contre cette inquisition. L’opération fut arrêtée après avoir fait des centaines de victimes. Certains y laisseront même leur vie. Mais quel était l’objectif de ce bazar ? A l’époque, l’explication qui circulait consistait à dire que Basri ne veut pas laisser au gouvernement d’alternance le bénéfice politique d’une épuration. Rétrospectivement, elle ne tient pas la route. L’auteur de ces lignes, piégé par un «confrère» s’est retrouvé attablé avec deux des protagonistes les plus en vue de la « Harka ». Voilà une phrase qui fait froid au dos et qui a été prononcée à plusieurs reprises. «Toi et nous, nous sommes Aroubis, pourquoi défends-tu les Fassis ? Laisse-nous les écraser». Ma conviction est faite, il n’y avait pas d’autre objectif censé à l’assainissement que celui de mettre à genoux les entrepreneurs.
Quant à la drogue, les barons arrêtés ont été remplacés par d’autres, jouissant des mêmes protections. Cet épisode est une folie dévastatrice, non pas celle d’un homme, mais celle d’un système. Le seul moyen d’être sûr que cela ne se répétera pas, sous d’autres formes, c’est d’assurer l’indépendance de la justice, dans le cadre de l’Etat de droit.

 
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