Entreprises & Marchés

L’assistance : la croissance d’un jeune secteur

D

ans la pratique et pour la majorité des clients non avisés, l’assistance s’apparente à un dépanneur occasionnel ou, pour les demandeurs de visas auprès de consulats étrangers, à un simple document obligatoire souscrit à contre cœur, dans l’espoir d’obtenir le fameux sésame et voyager en « outre-mer ». Cet état d’esprit est loin de refléter les réalités d’un secteur où les assisteurs innovent, réinventent leur métier et cherchent de nouveaux débouchés pour des prestations d’un haut niveau de professionnalisme. Cette vérité porte ses fruits, à en juger par la croissance continue d’un jeune secteur – qui a moins d’une trentaine d’années d’existence en tant qu’activité réglementée – et par la multitude des prestations conçues pour un public en situation de détresse.

Le présent dossier se veut un éclairage sur une activité assez méconnue, sur certains blocages réglementaires qui empêchent l’assistance d’éclore en tant qu’activité spécifique par rapport à l’assurance à laquelle elle demeure assujettie et à certaines pratiques de dumping tentant au niveau de ce marché.

Une activité très réglementée 

Aujourd’hui, nul ne peut s’improviser assisteur. A l’image de ce que se passe en occident et tenant compte du besoin de sécurité des citoyens, de plus en plus nombreux à être touchés par un degré accru de mobilité dans leur vie quotidienne, la nécessité s’est fait sentir de mettre de l’ordre dans le secteur de l’assistance en assimilant cette branche à une branche d’assurance et en soumettant l’exercice de ce métier à un agrément délivré par le Ministre chargé des Finances dans les mêmes conditions exigées des entreprises d’assurance et de réassurance et soumettant les sociétés d’assistance aux mêmes exigences en matière de marge de solvabilité. C’est l’arrêté du Ministre des Finances et de la privatisation n°548-0 du 10 Octobre 2005 relatif aux entreprises d’assurance et de réassurance qui détaille l’ensemble des conditions précitées.

Mais, il fallait que le cadre juridique s’adapte aux spécificités commerciales de ce métier. La seule exigence imposée par l’arrêté précité, par rapport aux entreprises d’assurances, est que les sociétés d’assistance doivent présenter à l’appui de leur demande d’agrément « un document faisant état des moyens personnel et en matériel dont dispose l’entreprise elle-même ou par personne interposée, pour faire face à ses engagements »

En effet, les acteurs présents sur le marché choisissent tantôt d’assumer la fonction prestations de services et la fonction commerciale de manière intégrée, tantôt de s’engager dans un rapport entre un prescripteur et un prestataire de services.

Il résulte de ce qui précède que l’activité d’assistance relève du droit des assurances et en assume toutes les servitudes : exigences de capitalisation suffisante des entreprises, contrôle permanent de leur activité tant du point de vue prudentiel que du point de vue juridique, ce qui évite au consommateur d’avoir affaire à un prétendu assisteur qui ne serait pas à même de tenir ses promesses. De même, l’assistance répond aux règles de protection du consommateur inscrites dans la législation de l’assurance et connait une fiscalité propre au contrat d’assurance plutôt que le régime de la TVA.

En plus, les assisteurs adhèrent bien évidemment à la Fédération Marocaine des sociétés d’Assurance et de Réassurance. Une société d’assistance n’est ni plus ni moins une entreprise d’assurance à part entière faisant l’objet d’un agrément auprès des autorités de tutelle pour pratiquer la branche 291 (assistance).Mais, l’une de ses caractéristiques est d’offrir une plateforme accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. De plus, elle dispose d’un réseau international de bureaux et de correspondants lui permettant de secourir ses assurés en toutes circonstances et pratiquement dans le monde entier.

La réglementation Marocaine ne donne pas de définition précise de l’opération d’assistance mais on peut s’en référer aux Directives Européennes-dont s’inspire largement le Code Marocain des assurances- et en particulier celle du 10 Décembre 1984 qui contient les éléments essentiels résumant les spécificités de ce métier : «L’activité d’assistance concerne l’assistance fournie aux personnes en difficulté au cours de leur déplacement ou d’absence de domicile ou de lieu de résidence permanente. Elle consiste à prendre, moyennant le paiement préalable d’une prime, l’engagement de mettre immédiatement une aide à la disposition du bénéficiaire du contrat d’assistance, lorsque celui-ci se trouve en difficulté par suite d’un événement fortuit, dans le cas et les conditions prévus par le contrat ».

Développement chiffré

Le marché de l’assurance, dont font partie les sociétés d’assistance, compte, aujourd’hui, 18 entreprises d’assurances dont 15 commerciales et 3 mutuelles. Sur ce total, 7 pratiquent aussi bien les assurances vie que non vie, 4 en non vie, une est spécialisée exclusivement en vie et capitalisation, une société d’assurance crédit et 4 sociétés d’assistance.

A l’image de la France – (Sur les 11 assisteurs principaux, les 3 premiers : Global Group, Europ assistance et Axa assistance réalisent environ 75% de leur CA hors France)- le secteur de l’assistance, au Maroc, est caractérisé par une grande concentration : quelques sociétés réalisent en général le gros du chiffre d’affaires du marché. Comme on peut le constater au niveau des tableaux ci-dessous, le marché est dominé par les deux opérateurs historiques, Maroc Assistance International (MAI), créée en 1976 et devenue, en 1988, la filiale stratégique du Groupe Banques Populaires, et Issaaf Assistance, créée en 1981 et filiale du Groupe Saham, avec respectivement 48,1% et 45,% du marché loin devant Axa Assistance Maroc ( 5,4%) et le nouvel arrivant, IMA Wafa Assistance, filiale du Groupe Attijariwafabank (1%). Cette dernière création qui survient dans un marché déjà extrêmement étroit, est le fruit d’un accord entre le Groupe Français Inter-Mutuelles Assistance (créé en 1981 à l’initiative des grandes mutuelles Françaises, MAIF-MACIF-MATMUT, leaders, en France en assurance auto et habitation) et Attijariwafbank à travers sa filiale Wafa Assurance.

Le chiffre d’affaires global réalisé, en 2012 (d’après la situation provisoire établie par la Direction des Assurances et de la Prévoyance Sociale- DAPS-), par l’ensemble de ces sociétés était de 751,09 millions de Dhs soit à peine 2,89% du total des primes émises en non vie dont fait partie la branche assistance. Malgré cette part timide d’un secteur aussi jeune par rapport au chiffre d’affaires du marché de l’assurance, l’assistance a connu une évolution, à ce niveau entre 2009 et 2011, de plus de 16% (voir tableau ci-dessous d’après le dernier rapport annuel publié par la DAPS) . Les mêmes statistiques nous renseignent sur un point important et qui pourrait passer inaperçu : environ la moitié des primes collectées par les sociétés d’assistance sont payées aux assurés sous forme de frais et prestations puisque, en 2011, sur un total de primes émises de 677,62 millions de Dhs, 317,25 millions de Dhs ont été réglés sous forme de prestations.

Seule bizarrerie dans la situation des quatre sociétés d’assistance et s’agissant de leur capital social, on remarque qu’il est fixé presque de façon uniforme à environ 50 millions de dirhams pour chacune d’entre elles de façon très disproportionnée par rapport à leur taille ; l’on sait que le montant minimum de la marge de solvabilité, prévu par l’arrêté du Ministre des Finances et de la Privatisation précité, est calculé, entre autres, par rapport aux provisions techniques et aux capitaux sous risques. En référence à ces données propres à chaque société, mentionnées sur le tableau ci-après, on peut se poser la question si les règles prudentielles exigées des entreprises d’assurances et auxquelles sont soumises les sociétés d’assistance ont été, dans le cas d’espèce bien observées.

Une progression dopée

Ce sont les deux produits phares du marché de l’assistance. Ces deux créneaux expliquent, en partie, la croissance exponentielle du CA enregistrée par certaines sociétés. Cela parait évident tant que le but avoué d’un assisteur est de garantir une mobilité totale aux clients si celle-ci venait à être compromise par la survenance d’un événement qui pourrait la compromettre. Ces quelques exemples nous démontrent l’impérieuse nécessité d’avoir recours à ce genre de couverture :

– Le particulier qui souhaite avoir la certitude qu’un incident technique ne mettra pas en question la poursuite du beau périple qu’il entreprend avec sa famille ;

– Le constructeur automobile prévoira que la mobilité soit rendue au client victime d’une panne pendant la période de garantie de sa nouvelle voiture. Cette prestation s’inscrit parfaitement dans le prolongement de sa propre garantie dite «constructeur » ;

– L’assureur prévoira que la mobilité soit rendue au client victime d’un accident ou d’un vol assuré chez lui ;

– Les sociétés ayant du personnel amené à se déplacer à l’étranger, veilleront à ce que le job de leur employé puisse continuer en l’absence de celui-ci s’il est rendu indisponible (maladie, accident, retour anticipé pour maladie ou décès d’un parent dans son pays d’origine,…) par l’envoi d’un remplaçant ou le retour du collaborateur lorsque sa situation le permettra.

Le créneau de l’assurance voyage a permis aux deux principaux groupes : Issaaf Assistance et Maroc Assistance International de s’accaparer de grosses parts de marché grâce au CA en provenance de la communauté marocaine résident à l’étranger. Les contrats proposés garantissent :

– En cas de décès, le rapatriement du corps de l’assuré défunt sur le lieu de l’inhumation souhaité au Maroc ou à l’étranger et son accompagnement par deux proches parents ;

– La mise à disposition ou le remboursement du retour prématuré en cas de décès d’un proche parent au Maroc ;

– Une assistance véhicule sur le trajet entre le lieu de résidence à l’étranger et le Maroc en cas de panne ou d’accident accompagnée d’une assistance médicale et juridique si nécessaire.

 Assurance et assistance : Forces et faiblesses !

Dans la pratique, ces deux branches sont étroitement liées : d’abord, comme on l’a remarqué précédemment, au niveau du phénomène de la filialisation : sans être une spécificité marocaine, la quasi-totalité des sociétés d’assistance sont filiales de compagnies d’assurances. En plus du soutien financier, cette tendance procure bien des avantages. Notamment celui de bénéficier d’un marché quasi-captif, apporté par la maison mère et par le réseau commercial auquel la société d’assurance est liée. Les contrats d’assistance qui sont aujourd’hui « offerts » par les compagnies d’assurances à leurs assurés rentrent dans ce cadre. La stratégie la plus courante consistera à assoir une partie de ses activités sur la clientèle de la maison mère et de vendre, ensuite, son savoir faire à ses structures à l’extérieur.

Toutefois, cette liaison jumelée entre ces deux secteurs a suscité, depuis plusieurs années un débat presque « identitaire » quant à l’indépendance de l ‘assistance par rapport à l’assurance. Un directeur du marketing chez Europ Assistance n’avait pas manqué, une fois, d’affirmer que « l’assurance est le gros problème des assisteurs. Nous sommes englués dans ce système. Il faudrait prendre plus de distance et d’indépendance ». Ce genre de commentaire n’est pas totalement faux ; l’identité demeure une question essentielle de l’assistance qui reste liée à d’autres services et pourrait surtout présenter l’inconvénient majeur pour ce secteur de moins maitriser ses prix d’offre de services et partant, ses marges commerciales.

Ce constat est encore aggravé par le développement de ce qu’on appelle des contrats en inclusion qui entretient cette image floue de la profession pouvant être source de sérieux manques à gagner. Cette pratique consiste à associer l’assistance à l’achat d’une voiture, d’un ordinateur, d’un voyage, etc. Le contrat est plutôt le « plus produit » de l’entreprise qui le propose. Il permet de valoriser le produit principal au moment de l ‘achat. Certes, grâce à ce système, les sociétés d’assistance élargissent leur champ de manœuvre commercial mais n’y gagnent pas forcément financièrement, étant donné qu’elles font partie d’un package. En effet, les primes qu’elles perçoivent pour ce genre de contrats peuvent être très basses.

La qualité et l’innovation pour contourner le dumping

A part les tarifs affichés et proposés au public particulier par le réseau de distribution ou directement par les sociétés d’assistance, la question des prix des contrats souscrits dans le cadre de groupe ou commercialisés dans le cadre de packages auprès d’assureurs automobiles, concessionnaires de voitures, de voyagistes, etc. rentre dans le cadre du secret, voire d’un tabou entretenu par certains assisteurs. 

S’il est vrai, qu’étant un métier régi par la même réglementation que les entreprises d’assurances et à ce titre, leurs tarifs sont libres à la condition qu’ils soient établis et communiqués à l’autorité de tutelle « selon une présentation et sur des documents propres à chaque entreprise d’assurance et de réassurance » ( Article 57 de l’arrêté du Ministre des Finances et de la Privatisation précité), une tarification d’équilibre et transparente d’une opération d’assistance est un gage de solvabilité de la société et partant, de son image de marque.

Or, les échos recueillis et les recoupements effectués auprès de certains souscripteurs de groupe de contrats d’assistance, laissent perplexes non seulement le client avisé, mais aussi n’importe quel technicien de la tarification en assurance. La pratique de certaines sociétés d’assistance frôle le dumping puisque, pour les mêmes prestations, les tarifs peuvent aller du simple au double. Pire, pour certains packages, des professionnels n’hésitent pas à parler de « braderie », politique qui a permis aux sociétés concernées de gagner de grosses parts de marché et par conséquent, d’empêcher une saine concurrence de s’installer. L’expérience et l’histoire récente nous a appris de refuser la sous- tarification qui est une mauvaise politique. N’est-ce pas qu’il vaudrait mieux progresser lentement et privilégier la qualité pour conquérir des parts de marché durables. Entre les structures qui se livrent aux pratiques du moindre coût et celles qui s’attachent à la qualité de leurs prestations et au développement de nouveaux produits dans une perspective à long terme, le choix est clair : Qualité et innovation semblent être les outils du renouveau du métier de l’assistance. 

Abdelfettah ALAMI

 
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