Télécommunications

Le Conseil de la concurrence hors-jeu

Malgré son importance pour l’économie nationale, le dispositif de la concurrence a du mal à prendre forme. Même plus, un décalage semble se dessiner entre ce qui est énoncé dans la constitution et ce qui se fait dans la pratique. par ABDELHAFID CHENTOUF

A l’instar de quelques instances de gouvernance, le Conseil de la concurrence a eu le privilège de figurer dans le corps de la Constitution de 2011 avec un article qui lui est spécialement dédié. Avec cette «constitutionnalisation», on s’attendait à ce qu’il se transforme en une autorité avec des pouvoirs à même de lui permettre de lutter contre l’un des fléaux qui retardent la marche du pays vers le développement économique et social.
Le Décret relatif à la «procédure suivie devant l’ANRT en matière de litiges, de pratiques anticoncurrentielles et d’opérations de concentrations économiques» adopté par le Conseil du gouvernement du 26 mai, nous apprend qu’on est loin de ce schéma. Outre le sommeil dans lequel il est plongé depuis quelques années, le Conseil de la concurrence voit son champ d’intervention se réduire et même plus, les secteurs les plus importants lui échapper complètement. Ceci peut paraître difficilement explicable du fait que la constitution lui donne une compétence générale ne subissant aucune limitation. En effet, l’article 166 énonce que le « Conseil de la concurrence est une institution indépendante chargée, dans le cadre de l’organisation d’une concurrence libre et loyale, d’assurer la transparence et l’équité dans les relations économiques, notamment à travers l’analyse et la régulation de la concurrence sur les marchés, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, des pratiques commerciales déloyales et des opérations de concentrations économiques et de monopoles ».

Régulation de la concurrence dans le secteur des télécoms : domaine réservé de l’ANRT
Parmi les secteurs qui échappent au Conseil de la concurrence, figure en premier lieu celui des télécoms. En effet, c’est l’ANRT qui est «chargée de veiller au respect de la concurrence loyale dans le secteur des télécommunications et tranche les litiges y afférents». Toute la procédure se déroule au sein de l’ANRT sans aucune intervention du Conseil de la concurrence qui reçoit juste les décisions pour information. Le Décret adopté par le conseil du gouvernement est clair à ce sujet : «l’ANRT statue sur les pratiques anticoncurrentielles et les opérations de concentration économique dans le secteur des télécommunications conformément à la procédure fixée par la loi relative à la liberté des prix et de la concurrence».

L’exclusion du Conseil de la concurrence des secteurs régulés est-elle constitutionnelle?
Au vu de la constitution, cette manière de procéder est fortement critiquable du fait qu’elle réduit la portée de l’article 166 qui donne au Conseil de la Concurrence une compétence générale s’étendant à tous les marchés sans aucune limitation. Mais il faut dire que c’est la loi sur la «liberté des prix et de la concurrence», adoptée par le parlement en 2014 qui a ouvert la brèche. Par son article 109, elle permet au gouvernement de fixer par voie réglementaire la date à laquelle la compétence du Conseil de la concurrence sera étendue aux secteurs relevant d’instances de régulation. Ainsi, l’intervention de ce dernier dans les secteurs «régulés» est reportée à une date inconnue.
La question qui se pose est de savoir si cet article n’est pas anticonstitutionnel. Sans aller jusqu’à exprimer un point de vue sur cette question qui reste de la compétence des constitutionnalistes, il est clair que cette disposition vide de sa substance l’article 166 de la constitution. Pourquoi ? Tout simplement parce que les secteurs «régulés» représentent une part importante de l’économie : banque, assurance, marché des capitaux, télécoms, électricité, ports, audiovisuel etc.
Le résultat est que le pays va se trouver avec une multitude d’instances de concurrence sectorielle en plus d’un conseil de la concurrence qui a une compétence tronquée. Cette option est envisageable, mais chez nous cette question est tranchée par la constitution. La loi sur le Conseil de la Concurrence va dans le même sens ; son article huit instaure une collaboration entre le Conseil de la Concurrence doté d’une compétence générale et les autorités de régulation sectorielle. Aux termes de cet article «le conseil recueille l’avis des autorités de régulation sectorielle concernées sur les questions de concurrence relatives aux secteurs d’activités dont elles ont la charge. Il peut, le cas échéant faire appel à leur compétence et expertise pour les besoins de l’enquête ou de l’instruction dans un cadre conventionnel».
C’est d’ailleurs la même vision qui est retenue par la loi bancaire qui instaure une collaboration entre la Banque centrale et le Conseil et qui laisse comprendre que la compétence de ce dernier s’étend au secteur bancaire. L’article 49 est on ne peut plus clair à ce sujet, puisqu’il énonce que lorsque le Conseil de la concurrence procède de sa propre initiative à des études portant sur les établissements de crédit ou lorsqu’il est saisi de litiges concernant des établissements bancaires, il requiert au préalable l’avis de Bank Al-Maghrib. Le législateur semble vouloir respecter la constitution, mais il repousse son application à une date indéterminée.

 
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