Fiscalité

Le coût de gestion de l’impôt

Combien coûte l’Etat au citoyen marocain ? Quel est le coût de gestion de cet «intérêt général», indispensable au vivre ensemble ? Voilà des questions insolites, mais fondamentales et légitimes que tout citoyen a le droit de poser pour que le contrat social puisse avoir un sens effectif. Et l’article 27 de la Constitution de 2011 peut être une porte d’entrée pour permettre aux citoyens d’exercer le droit d’accès à l’information budgétaire en vue de s’informer sur le devenir de l’impôt recouvré, c’est-à-dire leur argent. par M. Amine

La Direction Générale des Impôts, vient tout juste de publier son rapport d’activité au titre de l’année 2015, à quelques mois après la clôture de l’exercice budgétaire antérieur. Une première, pour une administration régalienne, habituée à se régaler et à régaler, et surtout à être discrète. D’habitude, les administrations publiques publient leur rapport plusieurs années après ou tout simplement ne publient rien. Voilà donc une administration qui rompt avec l’opacité et consacre l’ouverture sur son environnement externe.

Un rapport d’activité, c’est aussi un instrument de reddition des comptes
La DGI est aussi une administration publique stratégique de l’Etat. Avec l’ouverture des frontières et la multiplication des accords de libre-échange, elle est appelée à devenir la principale source des ressources ordinaires de l’Etat. Les recettes fiscales gérées par la DGI, ont tendance à connaître une croissance continue (voir tableau 1), compte tenu des efforts d’élargissement d’assiette, de lutte contre la fraude fiscale et de réduction des restes à recouvrer. Ces trois axes constituent d’ailleurs l’ossature du rapport d’activité de la DGI.
Néanmoins, il serait intéressant de comparer les recettes fiscales aux dépenses engagées par la même administration. C’est cet exercice qui permettrait de répondre tout au moins partiellement aux questions afférentes au «coût de gestion de l’Etat».

Pour un dirham d’impôt recouvré, combien l’Etat dépense-t-il?
En 2015, la DGI a pu recouvrer presque 127 milliards de dirhams, soit une progression de 5% par rapport à 2014. Pour assurer la collecte de cette jolie somme qui constitue 64,5% du total des recettes fiscales et 56,9% des recettes ordinaires, la DGI a dû dépenser 143 millions de dirhams (quote-part DGI du budget de fonctionnement, budget d’investissement et compte spécial du Trésor), auxquels s’ajoutent les dépenses afférentes aux salaires, primes, indemnités de déplacement.., soit un total estimé à 1,3 milliard de dirhams. Ces dépenses représentent 1,02% du total des recettes fiscales recouvrées par la DGI (1,3/127). Cela veut dire que, pour 100 dirhams d’impôt recouvré, la DGI a dû dépenser presque 1,04 dirham. Pour chaque agent du fisc, la DGI dépense en moyenne 269.000 dirhams par an, 22.416 dhs par mois et 747 dirhams par jour (Salaires + primes + indemnités + bureautique + charges communes + matériel informatique….). Chaque cadre rapporte en moyenne, en recettes fiscales, 25.760.650 dirhams par an, 2.146.720 dhs par mois ou 71.557 dhs par jour. Nous sommes donc proches du coût de 1 dirham par 100 dirhams d’impôt recouvré.
Bien sûr, l’effort fourni est différent selon qu’il s’agit d’un recouvrement spontané (un peu comme la pluie) ou d’un recouvrement forcé (un peu comme l’irrigation). De même, il y a lieu de faire la distinction entre des impôts régulièrement/normalement versés et ceux recouvrés suite à contrôle fiscal ou à contentieux (accouchement naturel ou accouchement à la césarienne).
Par ailleurs, dans les 127 milliards de dhs, ne figurent pas les recettes des impôts locaux cogérés par la DGI et la TGR au profit des collectivités locales et dont la gestion mobilise pas moins de 30% de l’effectif de la DGI. Sans oublier les 30% de recettes de la TVA transférées aux communes.
Mais la DGI ne fait pas que recouvrer. L’argent entre souvent mais sort parfois. La DGI « dépense » directement et indirectement. Directement, sous forme de remboursement et de restitution de la TVA, de l’IS et de l’IR. En 2015, elle a dû débourser une somme totale de 6.283 millions de dhs. Ce qui a permis, surtout aux entreprises bénéficiaires du remboursement de la TVA, de disposer d’une source d’autofinancement non négligeable. Le remboursement de la TVA sera d’ailleurs appelé à connaître une hausse importante, compte tenu des nouvelles dispositions introduites par la Loi de finances 2016, en faveur des entreprises qui procèdent à des investissements.

Le coût de gestion des dépenses fiscales est aussi à évaluer
Indirectement, la DGI gère aussi les dépenses fiscales, en veillant au respect des conditions prévues pour que les contribuables puissent bénéficier légalement des dérogations fiscales. L’enjeu est énorme, car il porte sur une moyenne annuelle de 33 milliards de dhs, avec la TVA en tête (45,6%). Le secteur immobilier en est le premier bénéficiaire. C’est aussi le secteur où la fraude est florissante, de la petite fraude avec un chèque de TVA remis indûment à un bénéficiaire de logement social non affecté à son habitation principale, à la grande fraude des promoteurs immobiliers, à travers la pratique du « noir », légèrement contrecarrée récemment par le référentiel des prix de l’immobilier.
Mais la DGI ne se cantonne pas exclusivement à la gestion de l’impôt. Elle est aussi appelée à jouer un rôle de prestataire de services. Et c’est certainement cette dimension qui exige le plus de temps et d’efforts répétitifs, compte tenu du grand retard enregistré en matière de dématérialisation aussi bien au niveau de la gestion de l’impôt qu’au niveau des services aux contribuables (télé déclaration, télépaiement et délivrance des attestations…). Néanmoins, au début de cette année 2016, un grand pas en avant a été franchi, surtout avec les nouveaux modes de paiement en matière de TSAVA (Vignette automobile). Le nombre d’adhérents aux télé services a plus que doublé en 2015 par rapport à 2014, passant de 3.597 à 8.199. Plus de 64% de l’impôt est actuellement recouvré par voie électronique.

La résistance à l’impôt a parfois des racines dans l’inconscient collectif
Plus difficile encore est l’appréciation de la dimension qualitative de la gestion. Le stock des réclamations du contentieux a certes connu, en 2015, une diminution de 44,3%, passant ainsi de 29.380 à 16.360 réclamations. Mais cette situation demeure un indicateur important révélateur de la résistance sociologique à l’impôt. Elle échappe à la dimension technique et nécessite surtout une approche en termes de communication et de vulgarisation. Cette résistance à l’impôt trouve parfois ses racines dans l’inconscient collectif.
La DGI est aussi une institution qui souffre d’un manque important de ressources par rapport à sa mission et au potentiel fiscal réel de son environnement. L’effectif des ressources humaines indiqué dans la fin du rapport d’activité est très faible, comparativement à d’autres pays du pourtour méditerranéen. Il est au Maroc de 1,4 pour 10.000 habitants. Il est de 9 pour 10.000 habitants en France et de 4 pour 10.000 habitants en Tunisie.
Les cadres supérieurs de la DGI représentent 59% du total de son effectif total (4 930 en 2015). Mais à peine 10% des ressources humaines sont affectées au contrôle fiscal qui est pourtant le cœur du métier de cette administration. Il en est de même du recouvrement, avec 12% de l’effectif total, alors que 45% sont dédiés aux travaux dits d’assiette, une fonction anachronique, compte tenu du fait que c’est en principe le contribuable qui procède lui-même, ou par son prestataire (expert comptable ou comptable agréé), à l’assiette, à la liquidation et au versement spontané de l’impôt.
Cette situation est le prolongement de l’époque antérieure marquée par des résistances au changement et par la faible place faite aux nouvelles recrues mieux outillées pour innover et prendre la relève pour jouer un rôle fondamental dans la dynamique globale du changement.
Evaluer le coût de gestion de l’impôt peut être une piste intéressante à explorer pour mieux optimiser les dépenses publiques. Néanmoins, une démarche multidisciplinaire est indispensable pour mieux comprendre les résistances et agir « dans le sens du bon sens ».

 
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