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Le grand invité constitutionnel du Parlement

C’était un moment tant attendu par certains parlementaires et même par le gouvernement. La venue du premier responsable de la Cour des comptes au Parlement a été au centre des évènements  du 21 mai. Les deux Chambres réunies ont écouté la présentation du Premier président Driss Jettou. Certains de ces parlementaires ne pouvaient voir dans cet exercice une simple manifestation constitutionnelle, d’autres attendaient que leurs adversaires soient pointés du doigt par cette instance constitutionnelle.

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es trois tomes du rapport de la Cour pour l’exercice 2012 livrent une lecture d’une partie de la gestion de nos finances publiques et certains des destinataires des « remontrances » des juges des comptes qui siègent au Parlement en tant que conseillers ou députés. Le gouvernement était à l’aise dans cet exercice, le Premier président est venu pour exposer, par ailleurs, d’autres rapports que ceux ayant été intégrés dans le rapport annuel. La compensation et la retraite sont de grands chantiers que le gouvernement tente de réformer et qui provoquent des critiques de la part de l’opposition et notamment, par les syndicats. Aller dans le sens du rétablissement des équilibres des comptes de la compensation et de la retraite a un coût politique certain. S’attarder sur l’évaluation des pertes en matière de l’étendue de l’assise politique et de l’impact sur le gros des électeurs est plus dangereux pour le pays. Le Premier président de la Cour des comptes est dans son rôle constitutionnel, mais aussi politique. Insister sur les réformes donne une certaine légitimité à l’action gouvernementale et conforte  la majorité.

 

Driss Jettou, président de la Cour des comptes, présentant le résumé du rapport de la Cour au titre de l’année 2012 devant une séance commune des deux Chambres du Parlement.

Messieurs les parlementaires, je vous parle au nom de la constitution

Le rappel est toujours bon pour le croyant et notamment, pour le politique. Les articles 148 et 149 de la constitution sont mis en relief dès l’entrée en jeu et avant l’étalage des différents axes traités par les juges des comptes. Celui qui s’adresse aux parlementaires est ancien Premier ministre et quelqu’un qui connait bien les détenteurs des mandats de la représentation nationale. Son passage par plusieurs départements ministériels et notamment, par le ministère de l’Intérieur lui donne les qualités de celui qui connaît beaucoup de coulisses et qui peut faire une pré-évaluation de l’impact de ses messages.

D’entrée de jeu, le Premier président lance une première critique au gouvernement. Le retard dans la production du rapport sur l’exécution de la Loi de Finances 2011 et de la déclaration générale de conformité entre les comptes individuels des comptables et le compte général du Royaume est attribué aux services du ministère de l’Economie et des finances. Les documents relatifs à l’année 2012 seront produits avant la fin de cette année.

Attention à la présentation des chiffres non conformes

Les observations relevées par la Cour des comptes concernant l’exercice 2011 ont été rigoureuses. Le gouvernement a raté sa prévision du déficit budgétaire qui s’est établi à 6% au lieu de 4%. Le non enregistrement de l’ensemble des recettes réalisées et leur délimitation aux chiffres nets sans éclaircissements sur les montants prélevés au profit de certains comptes spéciaux du Trésor au titre des remboursements des impôts, constitue une infraction aux dispositions de l’article 9 de la Loi organique des finances. Les faibles niveaux des rythmes de l’exécution des budgets d’investissements et les exagérations dans les virements budgétaires au niveau  de certains chapitres et l’utilisation des charges communes pour alimenter certains établissements publics ou certains comptes spéciaux du Trésor en crédits non programmés sont relevés, ainsi que la non transmission  des rapports sur l’efficacité de l’exécution des budgets sectoriels et celui du trésorier général du Royaume sur l’exécution de la Loi de finances. Le point le plus fort dans cette série d’observations a trait au volume des transferts au profit des établissements et entreprises publics, ce qui  enlève au Parlement la possibilité de contrôler leur programmation et leur exécution.

La retraite est aussi une question qui intéresse l’équilibre financier public

Le Premier président de la Cour des comptes a fait une belle transition entre l’examen des Lois de finances et l’équilibre financier public. Le Parlement est responsable autant que le gouvernement de cet équilibre. Ce système se trouve aujourd’hui dans une situation difficile au regard des dangers qui guettent le système des retraites dans notre pays. Le rapport de la Cour sur ce dossier s’inscrit dans la ligne des rapports ayant tiré la sonnette d’alarme sur les dangers qui peuvent le mettre en péril. Les engagements du système ont atteint en 2011 un montant qui avoisine le PIB. Il s’agit de 813 milliards de DH. Le retard pris dans la réforme de la retraite dans notre pays pourrait conduire à une  rupture des paiements des pensions dans l’avenir. Quelle que soit la situation, le budget  de l’Etat ne pourrait jamais pouvoir remplacer les caisses de retraite pour payer les pensions. La référence aux évolutions enregistrées au niveau international est utilisée pour donner à l’analyse de la Cour des comptes son poids, et au gouvernement l’appui pour faire ce que font les autres gouvernements à travers le monde. Les paramètres relatifs à l’âge, à la durée de cotisation et au niveau des prélèvements ne sont plus des tabous dans beaucoup de pays. Les actifs dans beaucoup de pays sont âgés de 65 ans et même de 67 ans. 

La Cour des comptes a lancé un appel à tous les acteurs politiques pour prendre conscience de la gravité de la situation et de prendre les décisions qui s’imposent à travers une démarche participative et consensuelle, à l’image de ce qui s’est passé dans notre pays depuis quelques années, lorsque le Premier président de la Cour était Premier ministre. Le pouvoir d’achat des retraités doit être préservé, la pénibilité de certaines professions doit être prise en compte et la généralisation de la retraite doit être entreprise.

 Compensation : des bénéficiaires inattendus

Les dépenses de la compensation sont aussi importantes que les problèmes de la retraite. L’année 2012 a enregistré un montant de 56 milliards de dhs alors que 2013 a vu ce montant reculer à 42,6 milliards de dhs, soit 5% du PIB. Ces montants ont un impact direct sur l’investissement et sur le rythme de réalisation des projets structurants de notre économie nationale. La Cour a préparé, en vertu de ses attributions constitutionnelles, un rapport qu’elle met à la disposition des pouvoirs exécutif et législatif pour apporter la solution qui s’impose dans ce domaine. La compensation qui devait cibler les catégories pauvres s’est transformée en un système dont les deux tiers de ses aides profitent aux entreprises publiques, à l’Etat, aux producteurs et aux professionnels. La compensation a été déviée de sa fonction première pour donner lieu à une situation qui cache la réalité des prix et la vérité des coûts de production et notamment, dans les secteurs des transports et de l’énergie. 

Le Premier président a bien pesé ses propos en présentant les recommandations dans ce domaine. « En attendant de mettre en place un mécanisme efficace et permettant la sécurité (Aa‘mina) », il est recommandé de séparer  les produits à caractère social (farine, sucre et gaz butane) des autres formes de l’appui qui peut être levé progressivement sur les produits pétroliers et orienté vers l’investissement public dans l’agriculture et les transports. Une des recommandations qui peut alléger le coût de la compensation du gaz butane est relative à l’accélération de la construction du réseau de distribution du gaz dans les villes, et dans les zones industrielles. Un code du gaz naturel doit être mis en place. La réforme doit toucher l’Office national de l’électricité et de l’eau dont les difficultés ont été cachées et qui n’a pu réaliser son programme d’investissement qu’à hauteur de 20%. Enfin, un comité de veille stratégique doit être mis en place pour suivre la compensation et au-delà, toutes les questions relatives au stock de sécurité et la délimitation des conditions de son financement et de son contrôle.

La dette publique : une gestion à améliorer 

La gestion de la dette publique a reçu son lot de critiques. Le volume de celle-ci atteint 678 milliards de dhs, soit plus de 76% du PIB en 2013. Le service de la dette s’est élevé quant à lui à 151 milliards de dhs, soit 17% du PIB. Il est reproché aux gestionnaires de ne pas disposer de mécanismes de détermination du seuil acceptable de l’endettement. Un vide juridique caractérise ce domaine. La précarité de la dette est relevée en l’absence d’un système de  suivi et  d’analyse. L’accent n’est mis que sur le suivi de la dette directe du Trésor. La dette concessionnelle n’est pas suffisamment utilisée. Des montants importants sont annulés par manque de suivi ou de faiblesse du rythme d’exécution des projets. Un manque notoire de coordination est relevé entre les gestionnaires de la dette et les responsables des projets objets des financements obtenus dans ce domaine.

Le recouvrement des pénalités, des montants des condamnations à caractère financier et autres dépenses judiciaires relevant du ministère de la Justice est très faible. Les travaux de la Cour des comptes ont pu relever que 95% des amendes ne sont pas prises en charge par les tribunaux ce qui les rend susceptibles de tomber sous le coup de la déchéance.  Les montants non recouvrés par le ministère de la Justice ont dépassé 4,5 milliards de dhs à la fin de 2013. 

Le problème du médicament: une question à suivre

L’allocution de M. Jettou est revenue sur un des points forts du rapport 2012 à savoir, la gestion du médicament. L’absence d’une politique dans ce domaine a donné lieu à plusieurs dysfonctionnements, tant au niveau du stockage, qu’au niveau des autorisations  et de la détermination des prix. L’examen de la gestion du ministère est pointé du doigt au niveau de la mauvaise estimation des besoins par rapport aux besoins, de l’accumulation des stocks et de la péremption qui touche une part importante des médicaments stockés. Le sommet de cette mauvaise gestion est constitué par l’usage d’un grand magasin de stockage qui a couté en 1993 13 millions de Dollars  et qui s’est transformé en un dépôt pour médicaments périmés. L’affaire de l’acquisition de deux vaccins est remise au débat des parlementaires. Les vices de forme et de fonds concernant cette acquisition ont été amplement développés dans le rapport de la Cour des comptes. Cette affaire a pris une tournure politique dans la relation entre le PJD et l’Istiqlal. Les réponses du ministère de la Santé sont allées dans le sens des observations de la Cour, alors que les anciens responsables du ministère ont choisi la presse écrite pour se défendre contre toute allégation de mauvaise gestion. Cette affaire n’est pas totalement oubliée, elle pourrait resurgir à n’importe quel moment.

L’allocution du Premier président de la Cour des comptes a couvert aussi des questions relatives aux finances des collectivités territoriales. Le nombre de missions est appelé à connaître un rythme plus important pour couvrir des échantillons plus représentatifs de communes. Les finances des partis politiques ont intégré le domaine de l’audit effectué par la Cour. Les déclarations de patrimoine ont enregistré le non-dépôt d’environ 20% de déclarations. Les 100.000 déclarations ne peuvent être efficacement suivies avec les moyens dont dispose la Cour. Des dépôts de stockage plus grands et plus sûrs sont nécessaires pour bien gérer ce dossier que beaucoup de citoyens considèrent comme une avancée dans le domaine de la moralisation de la gestion publique. L’état actuel de la gestion de ce dossier nécessite une reformulation des objectifs et une délimitation claire des responsables soumis à cette formalité. La déclaration de patrimoine ne doit pas concerner tout le monde et doit servir les objectifs de transparence et de réédition des comptes. 

Dans certains  pays développés, le nombre de déclarations ne dépasse pas 7000, alors que chez nous, le choix a été inflationniste pour enlever toute crédibilité à cette opération noble et politiquement importante.

La Cour des comptes compte investir son domaine d’intervention dans les années à venir avec efficacité et des moyens humains plus adaptés. Les défis à relever en matière de contrôle des finances publiques et de l’évaluation de leurs impacts, ainsi que dans le domaine de l’accompagnement du Parlement et du gouvernement dans les différents chantiers de structuration de l’édifice institutionnel financier resteront grands. 

 
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