Entreprises & Marchés

Le Maroc peut-il relever le défi du foncier industriel ?

Avec l’épuisement des réserves foncières publiques, l’accès au foncier devient une contrainte qui pénalise tous les échelons de la société : les ménages qui sont de plus en plus confrontés à la cherté du logement, les communes qui n’arrivent plus à acquérir les terrains pour réaliser les équipements publics prévus par les plans d’urbanisme et les entreprises, en particulier les PMI et les PME qui peinent à trouver des terrains pour réaliser leur projet dans les secteurs attractifs et dont beaucoup finissent par déclarer forfait. En somme, c’est toute la dynamique de développement du pays qui risque de butter sur l’obstacle foncier. Ce constat, qui a été soulevé à maintes reprises par les professionnels du secteur et par la Banque Mondiale, revient en force à l’occasion des discussions de la deuxième phase du Millénium Challenge. par ABOUYOUNES

Le Compact MCA-Maroc est l’accord signé entre le Royaume du Maroc et la Millenium Challenge Corporation le 31 août 2007, à Tétouan, sous la présidence de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Le financement octroyé à l’époque au Royaume s’élève à 697,5 millions de dollars US. Le «Millenium Challenge Account» (Compte du Défi du Millénaire – MCA) est destiné à financer des initiatives visant à aider les pays en développement à améliorer leur économie ainsi qu’à relever le niveau de vie de leur population. Ils récompensent les mesures salutaires qui auront été prises en faveur de la croissance économique et de la réduction de la pauvreté. Il se fonde en effet sur le principe selon lequel l’aide au développement économique ne peut avoir de bons résultats que si elle est liée à l’application d’une politique saine par les pays bénéficiaires. En conséquence, des ressources seront distribuées aux pays en développement qui auront démontré leur ferme attachement aux principes suivants :

– une bonne gouvernance publique : l’éradication de la corruption, la défense des droits de l’homme et le respect de l’Etat de droit sont des conditions essentielles d’un développement durable; 

– la santé et l’éducation de la population: les investissements réalisés dans l’éducation, dans les soins médicaux et dans la vaccination de la population déboucheront sur une société faite de citoyens en bonne santé et bien éduqués qui deviendront à leur tour  les agents du développement ; 

– une politique économique judicieuse qui met l’accent sur la promotion de l’entreprise et sur l’esprit d’entreprise : l’ouverture des marchés, l’adoption d’une politique budgétaire soutenable à long terme et la promotion vigoureuse du développement fourniront l’élan nécessaire à l’essor de l’esprit d’entreprise et de la créativité, gages d’une croissance et d’une prospérité durables. 

Cet accord, géré par l’Agence du Partenariat pour le Progrès (APP), vise à renforcer la croissance économique du Royaume, à la stimuler en augmentant la productivité et en améliorant l’emploi dans les secteurs à fort potentiel. Les composantes de l’accord signé durant la première phase ont concerné L’Arboriculture fruitière avec 326 millions $US, la Pêche artisanale avec 120,7 millions $US, l’Artisanat et Médina de Fès avec 60,7 millions $US, les Services financiers avec 43,7 millions $US et le Projet «Soutien à l’Entreprise» avec 31 millions $US. 

Au terme de la première phase et après une évaluation d’impact sur la pérennité des entreprises et sur les revenus des porteurs de projets, une deuxième phase du projet a été lancée au profit de 3600 entreprises créées dans le cadre du programme Moukawalati et de 1800 activités génératrices de revenus. L’enveloppe budgétaire en jeu est de l’ordre de 400 millions de dollars.

1. Le foncier : un frein au développement des entreprises

Conduite par la présidence du gouvernement, en particulier la cellule de traitement des réclamations des investisseurs, les discussions pour la deuxième phase du Millénium Challenge associent trois ministères : le Ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie Numérique, ( Direction des Espaces d’Accueil Industriel ), le Ministère de l’Economie et des Finances, Direction des Domaines et le Ministère de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire national, Direction de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire. L’objectif de la deuxième phase est de contribuer à développer les secteurs productifs pour augmenter les revenus et lutter d’une façon durable contre la pauvreté. Pour atteindre cet objectif, le MCC avec la présidence du gouvernement a identifié le foncier comme l’un des obstacles majeurs au développement de l’investissement au Maroc et souhaite mettre en place une véritable politique d’intervention dans ce domaine pour libérer les initiatives des promoteurs.

Dans une première partie on rappellera les grandes lignes du constat établi, et dans une deuxième partie on examinera les propositions d’action dans ce domaine. 

Le constat 

Le diagnostic rappelle un constat qui est devenu une évidence pour tous les opérateurs, à savoir que le foncier devient de plus en plus rare et de plus en plus cher dans et autour des grandes agglomérations, c’est-à-dire dans les zones qui sont attractives pour l’investissement et dans les bassins d’emploi. Ce facteur pénalise les grandes entreprises et fragilise encore davantage les petites et moyennes d’entre elles. Selon l’enquête de la Banque Mondiale sur le climat d’investissement au Maroc effectuée en 2008, près de 40% des entreprises considèrent l’accès au foncier comme étant un obstacle majeur à leur développement. De même, sur un échantillon de 121 réclamations reçues par la Présidence du Gouvernement de la part des investisseurs, 38% se rapportent au foncier et l’identifie comme le facteur principal de blocage.

Ce constat a été confirmé lors des consultations faites avec le secteur privé et la CGEM, les Chambres d’industries et de commerce, la Fédération Nationale des Promoteurs Immobiliers, dans les différentes régions du Maroc dans le cadre de ce diagnostic.

Les conséquences de ce constat sont considérables sur l’économie nationale. La rareté du foncier devient ainsi un frein au développement des entreprises existantes et un obstacle pour la création de nouvelles entreprises, surtout les PMI. Les implications économiques pour un pays émergent sont alors évidentes :

– préjudice à la création d’emplois

– Préjudice au développement des exportations

– Impact négatif sur la croissance 

2. L’évolution des politiques publiques dans ce domaine

Avant les années 80: La période du laisser-faire

Jusqu’en 1980, l’étude relève une absence de planification spatiale dédiée au développement d’infrastructure d’accueil industrielle. Les projets industriels s’implantaient d’une façon spontanée au hasard des opportunités foncières qui se présentent sans équipement et sans planification préalable. La conséquence est qu’on a assisté durant cette période au développement de quartiers industriels ne répondant pas aux normes requises en matière d’aménagement de sites dédiés à accueillir les projets industriels. C’est le cas du quartier industriel d’Aïn Sebâa, de Berrechid de Tanger etc… Cette absence de planification donnait lieu à des situations aux conséquences graves à la fois pour les industriels et pour l’environnement : zones industrielles inondées, rejets directs dans la nature avec des risques graves pour les nappes phréatiques, les cours d’eau et le littoral…etc.

Esquisse d’une politique publique dans les années 80

Au début des années 80, les pouvoirs publics mettent en place le Programme National d’Aménagement des Zones Industrielles (PNAZI) avec la réalisation de plus de 60 zones réparties sur tout le Royaume. Néanmoins, ce programme a souffert de nombreuses limites dont:

– l’insuffisance de l’offre en terrains équipés dans les régions attractives de l’investissement, c’est-à-dire autour des grandes métropoles ;

– lotissements industriels ne disposant pas de services de maintenance, de gestion, ni de bâtiments prêts à l’emploi ainsi que de l’absence totale de structure de gestion.

– La distribution des lots industriels à des non professionnels ;

– Le faible niveau de valorisation des terrains et le recyclage des lots industriels dans le circuit spéculatif ;

– La transformation de nombreuses zones industrielles en zones d’habitat. 

« En fait, l’objectif était à l’époque de remédier à l’inexistence de terrains équipés notamment, dans les zones attractives de l’investissement. Mais assez vite, les limites de cette vision sont apparues aussi bien aux industriels, qu’au ministère de tutelle. Ce premier programme avait favorisé la spéculation. Les zones n’étaient presque pas équipées. Et certaines, notamment à Casablanca, étaient même devenues des espaces de non-droit en raison des marginaux qui les fréquentaient. » 

Livrés à des prix symboliques, les lots étaient distribués à des non-professionnels qui les ont rapidement revendus ou recyclés dans le circuit spéculatif. Par ailleurs , les équipements d’infrastructure comme les réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement, les transports,  les télécoms et la sécurité n’étaient pas disponibles. Les quelques industriels qui avaient pris le risque de s’y installer, faute de mieux, étaient livrés à eux-mêmes. L’une des rares zones industrielles à être réellement opérationnelle était celle de Tanger (route de Tétouan), prise en main par l’Association des copropriétaires (AZIT) regroupant l’ensemble des entreprises installées. 

 A la fin des années 90 on assiste à l’émergence d’une nouvelle approche basée sur :

– Le partenariat avec des opérateurs relevant du secteur privé, des collectivités locales, des chambres professionnelles;

– La lutte contre la spéculation foncière à travers la mise au point de nouvelles clauses de valorisation dans les cahiers des charges ;

– La diversification de l’offre et son adaptation aux besoins spécifiques de l’investisseur (zones franches, parcs industriels, zones industrielles, …) ;

– L’implication des opérateurs économiques dans la gestion des espaces industriels à côté de leurs missions d’aménagement, de commercialisation et de promotion

On s’oriente alors vers la définition d’un programme de réhabilitation des zones industrielles, qui a pour objectif la mise à niveau des anciennes zones afin de les ériger en espaces répondant aux normes internationales. Dès lors, un nouveau concept d’espace d’accueil a été développé, à partir de 2008, dans le cadre du « Pacte National pour l’Emergence Industrielle»: il s’agit des Plateformes Industrielles Intégrées (P2I), qui sont des projets destinés à attirer les investisseurs étrangers et nationaux.

Depuis le début de la décennie 2000, la politique d’aménagement des zones d’activités a évolué par rapport aux pratiques des années quatre vingt. Désormais, on ne parle plus de zones industrielles, mais de plateformes industrielles intégrées (P2I) spécialisées selon les secteurs (généraliste, automobile, aéronautique ou offshoring). 

Par ailleurs, les parcs doivent être dotés de tous les équipements d’infrastructures liées à l’énergie, l’eau, l’assainissement, notamment les stations de traitement. Ils doivent être confiés à des développeurs professionnels privés. Ainsi, les P2I comportent obligatoirement des services d’exploitation des zones telles que : maintenance, sécurité, services généraux, télécoms, restauration, service de santé, banque, business center tout comme des espaces logistiques. Outre le service guichet unique, les principaux services administratifs sont présents, à l’instar de l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC) et certains services communaux… Les représentations des Centres régionaux de l’investissement (CRI), de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et des impôts y sont prévues. Dans ce cadre l’Etat, à travers son propre budget et également avec le soutien du Fonds Hassan II, doit financer les équipements hors sites comme les infrastructures liées à l’énergie, l’eau, l’assainissement (notamment les stations de traitement) tout en procédant à un suivi et une évaluation des développeurs retenus.

Actuellement, on compte trois P2I qui sont opérationnelles. Il s’agit de Casanearshore, Rabat Technopolis et la Technopole d’Oujda, tous aménagés par MedZ, filiale de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG). Le nouveau concept P2I a été suivi à la lettre dans ces nouvelles zones. Onze autres du même genre, y compris des zones franches, sont en cours d’aménagement dans plusieurs villes dont Fès, Tétouan, Oujda, Marrakech et Settat. En tout cas, les plans d’aménagement de Casanearshore et de Rabat Technopolis, montrent toute la nouveauté et tout l’intérêt de la nouvelle politique des espaces d’accueil des activités qui se démarque nettement des pratiques antérieures. Reste le plus difficile, c’est-à-dire attirer suffisamment d’investisseurs pour occuper les espaces qui sont disponibles et éviter de se retrouver avec des espaces d’accueils hyper-équipés, mais totalement vides comme celui qui vient d’être aménagé entre Cabo-Négro et la Ville de Tétouan. En d’autres termes, il faut que les aménageurs s’appuient sur des études de besoins des investisseurs et des tendances des marchés et que les emplacements doivent être dictés par la compétitivité des pôles et non seulement par les opportunités foncières.

En définitive, on compte jusqu’en 2012 quatre vingt espaces dédiés consacrés à l’accueil des entreprises, disséminés à travers le pays, avec une superficie de 4 600 hectares aménagés pour un total de plus de 11 600 lots. Mais il ne s’agit pas d’un ensemble homogène. Bien au contraire. On y trouve à la fois des parcs industriels intégrés, un aéropôle, des zones d’activité économique, des zones franches. L’essentiel de ce parc est constitué de zones industrielles lancées dans le cadre du plan national d’aménagement des zones industrielles (PNAZI) mis en œuvre à partir de 1980. Leur répartition semblait répondre aux besoins exprimés à l’époque avec une absence de spécialisation. 

Actuellement, le plan d’accélération industrielle 2014-2020 table sur une augmentation substantielle de la part de l’industrie dans le PIB, passant de 14% en 2013 à 23% en 2020. Ceci, devrait se traduire par une plus grande pression sur la demande du foncier industriel. Pour soutenir ce plan, l’Etat s’est engagé à mettre à la disposition des promoteurs industriels une assiette foncière de 1000 ha (terrains domaniaux et collectifs) destinés à accompagner la stratégie de développement des Parcs Industriels Locatifs.

En somme, l’équipe du projet relève que des avancées ont été réalisées grâce au développement des plateformes industrielles intégrées (P2i) et que le Maroc a accumulé de l’expérience en matière de mise en place d’Espace d’Accueil Industriel, mais les efforts accomplis n’ont pas permis de résoudre de manière structurelle la problématique d’accès au foncier pour les opérateurs industriels, en particulier à proximité des grandes métropoles. Par ailleurs, de nombreuses zones industrielles restent en friche faute de valorisation. Dans ce sens, un besoin important est ressenti au niveau de la définition d’un nouveau modèle de gestion précisant les étapes à suivre en vue de réaliser ou de réhabiliter les Espaces d’Accueil Industriel.

Les solutions préconisées.

L’équipe du projet préconise des solutions d’ordre stratégiques, juridiques, et financières.

Dans le registre des solutions stratégiques, on propose quatre actions majeures : il s’agit de 

– Création d’une agence foncière

Mobiliser le foncier à louer à proximité des centres urbains et prévoir les budgets nécessaires pour la prise en charge par l’Etat des travaux Hors site

– Réhabiliter et mettre à niveau les infrastructures des ZI existantes. Intervention du FDI créé dans le cadre de la stratégie 2014-2020 

– Concevoir un modèle d’incitations permettant d’attirer les développeurs privés vers les opérations de réalisation et la gestion de parcs industriels

La création d’une agence foncière dédiée à l’industrie est une idée novatrice. Cet opérateur aura la tâche de planifier les besoins à court, moyen et long terme, de constituer des réserves foncières, d’aménager et d’équiper les zones industrielles. Probablement, l’équipe du projet s’est inspirée du modèle tunisien où l’existence de cet opérateur a permis effectivement d’atteindre des résultats probants. De même, le développement d’un secteur locatif destiné à l’industrie est une proposition qui va certainement contribuer à faire évoluer le débat. La location permet d’éviter la spéculation sur le foncier et de ne livrer le terrain qu’à des professionnels qui veulent investir immédiatement. La location a un deuxième avantage : elle soulage le budget de l’investisseur  qui n’est plus pénalisé par les coûts d’acquisition du foncier et peut consacrer l’essentiel de ses fonds au développement de ses activités. La location a enfin un troisième avantage : c’est que l’Etat peut récupérer le terrain au bout d’un certain temps et le réaffecter à d’autres usages. En effet, la durée de vie d’une zone industrielle est de quarante ans en moyenne. Durant cette période, on assiste à un double mouvement : d’un côté il y a le phénomène de la reconversion industrielle, de l’autre côté l’urbanisation a fait que les zones d’habitat commencent à encercler la zone industrielle. Dans tous les cas, le foncier reste entre les mains de l’Etat et peut le mobiliser pour lancer des opérations de rénovation urbaine comme c’est le cas dans les pays industriels.

Sur le plan financier, l’étude préconise la mise en place d’un fonds de financement dédié à l’aménagement des zones d’activités avec des mécanismes de financement adaptés à chaque type d’industrie et d’entreprise.

Sur le plan juridique, l’équipe du projet propose en vrac l’élaboration d’une loi sur les espaces d’accueil industriel pour mettre en place un dispositif de cadrage relatif à l’aménagement, à la commercialisation et à la valorisation assorti d’un manuel de procédure. On préconise également une réforme des textes régissant l’apurement du foncier public et des textes régissant les modalités d’intervention de l’Etat pour l’acquisition des terrains. 

Enfin, et surtout l’étude propose un système de préfinancement de l’ouverture à l’urbanisation pour accroître l’offre foncière. En effet, il existe aujourd’hui plus de 70000 hectares qui sont ouvertes théoriquement à l’urbanisation par les plans d’urbanisme. Mais en fait, cette offre foncière reste gelée faute d’aménageur. Or, les travaux de viabilisation sont très coûteux et dépassent largement les capacités des collectivités locales. On ne peut donc résoudre le problème qu’en mettant en place un dispositif d’aménagement concerté qui associe l’Etat, les collectivités locales et les propriétaires avec des montages financiers croisés. Et c’est l’objectif du projet de loi en cours d’élaboration au Ministère de l’Urbanisme et de l’Aménagement du Territoire.

En tout cas, en mettant l’accent sur le foncier le MCC contribuera certainement à faire avancer l’adoption de certains projets de lois, qui trainaient dans le secteur depuis des décennies et dont l’aboutissement avait peut être besoin d’une impulsion exogène. 

 
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