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L’Egypte reçoit en 3 ans ce que les 5 pays du Maghreb ont reçu de 1946 à 2010

L’avocat-blogueur Ibn Kafka a posté un commentaire très intéressant sur l’aide militaire US que nous reproduisons in-extenso. Il y a deux conclusions à en tirer.
Les alternances à Washington n’ont aucun impact sur les choix stratégiques. Ceux-ci, chiffres à l’appui, sont d’une permanence linéaire.
Le Maghreb ne fait pas partie des priorités américaines qui focalisent plus sur le Moyen-Orient et la sécurité d’Israël. Par contre pour l’Europe Méditerranéenne, c’est une région essentielle.
Il faut aussi signaler que les spécialistes considèrent que les FAR sont la deuxième armée en Afrique, après l’Afrique du Sud. La grande muette ne s’affiche pas, mais ses investissements sont très cohérents sans être budgétivores, s’appuyant sur la formation dont la qualité est reconnue par tous.

Un article intéressant sur PBS.org sur les montants d’aide militaire versés par les Etats-Unis en 2010 et depuis 1946 mérite quelques commentaires. Si Israël est numéro 1 sur toute la période, l’Afghanistan recevait plus en 2010, tandis que l’Egypte se trouve à la 3e place dans les deux cas.
Les montants versés à l’Egypte sont faramineux sur la période, plus de 57 milliards d’USD, même si ce montant pâlit par rapport aux 123 milliards d’USD versés à Israël.
Le cas de la Turquie est intéressant : si ce pays est 4e sur la période 1946-2010, avec 40 milliards d’USD soit 6,11% du total de l’aide militaire à l’étranger, il ne recevait que 5 millions d’USD en 2010, soit 0,04% seulement de l’aide militaire US à l’étranger cette année-là.
On retrouve d’autres surprises – le Soudan reçevait ainsi près de 127 millions d’USD en 2010 – mais c’était avant la sécession du Sud-Soudan, effective en 2011, et on peut présumer que l’aide militaire allait aux forces du SPLA constituant l’ossature de l’armée du Sud-Soudan plutôt que l’armée du nord, dirigée par le président Omar Bachir, dont les Etats-Unis ont obtenu qu’il soit inculpé par la Cour pénale internationale, sur saisine en 2005  du Conseil de sécurité. Le Venezuela reçoit quant à lui 329.000 USD et la Chine 190.000 USD. Dans ces deux cas, on peut présumer qu’il s’agit de la formation d’officiers de ces pays aux Etats-Unis ou des activités assimilées. Le montant que je ne parviens absolument pas à comprendre ce sont les 127 millions d’USD pour la Russie en 2010 – si quelqu’un a des explications à ce sujet, je suis preneur…

Et le Maghreb dans tout ça ?
Voyons de plus près les montants pour le Maghreb, d’abord en 2010 puis sur la période 1946-2010:
2010
1- Tunisie $ 20.313.000
2- Maroc $12.322.247
3- Algérie $1.015.000
4- Libye $ 469.000
5- Mauritanie $ 407.000
1946-2010
1- Maroc $2.334.870.797
2- Tunisie $1.776.127.354
3- Libye $ 99.662.397
4- Algérie $ 10.459.519
5- Mauritanie $ 4.453.616

Ces données conduisent à quelques remarques :
– Globalement, le Maghreb est une région peu importante dans le cadre de l’aide militaire US – au total, les 5 Etats du Maghreb ont reçu ensemble 0,67% de l’aide militaire globale des Etats-Unis de 1946 à 2010 – et cette importance est en chute libre, puisque ces 5 Etats ne totalisaient que 0,22% du total de l’aide militaire US en 2010. L’Egypte reçoit en trois ans ce que le Maghreb a reçu de 1946 à 2010. Cela choquera quelques Marocains et peut-être surtout quelques Algériens, mais le Maghreb n’est pas, militairement et stratégiquement parlant, au coeur de la vision US sur le monde qui les entoure – encore que l’évolution de la Libye pourrait changer la donne, même si l’aide militaire à strictement parler, ne semble pas d’actualité pour cet Etat pétrolier.
– Si le Maroc est le premier bénéficiaire de l’aide militaire US en valeur absolue, la Tunisie est bien évidemment la première par habitant, sa population représentant un tiers de celle du Maroc.
– Maroc et Tunisie, tous deux au régime conservateur sur le plan politique, libéral en matière économique et pro-occidental (depuis 1961 pour le Maroc) se partagent 97% du total de l’aide militaire US sur la période.

– La Libye et l’Algérie ont reçu très peu. Pas seulement en raison de leur régime politique et des choix diplomatiques qui en ont découlé, mais aussi surtout en raison de leur caractère d’Etats rentiers, avec de très fortes entrées de devises issues des exportations d’hydrocarbures. Ceci n’empêche pas des liens sécuritaires très bons entre l’Algérie et les USA.
– La Mauritanie paie bien évidemment des choix politiques malheureux vu de Washington, l’alignement sur l’Irak en 1991, et sans doute aussi une très faible capacité d’absorption de ses forces armées, de très loin les plus faibles des cinq Etats maghrébins.
– Ces chiffres devraient être complétés par les statistiques de ventes d’armes sur la même période pour donner une image complète des liens militaires avec les Etats-Unis, mais ça ne bouleverserait pas véritablement le classement, car la Tunisie et surtout le Maroc s’équipent auprès des Etats-Unis mais également auprès d’autres pays de l’OTAN, surtout la France et l’Espagne pour le Maroc.
– On constate, à lire les statistiques de SIPRI sur la période 1950-2012, que l’Algérie a acheté 20 de ses 24 milliards USD d’armes auprès de l’URSS/Russie. Pour la Tunisie, sur 1,9 milliard d’USD d’achats d’équipements militaires sur la même période, 768 millions d’USD sont achetés aux USA, 482 millions à la France, 217 à l’Allemagne et 134 à l’Italie. Les pays de l’OTAN ou de l’UE représentent 96% des achats d’armement tunisiens. La Mauritanie, qui n’a dépensé que 323 millions d’USD sur cette période, en a acheté environ un tier hors UE/OTAN, mais son premier fournisseur est la France, son deuxième l’Espagne et son troisième la Chine. Pour la Libye, les compteurs explosent : 31 milliards d’USD d’achats d’équipements militaires, avec la part du lion détenue par l’URSS/Russie, avec 23,5 milliards, une honorable deuxième place pour la France (3,3 milliards) et une troisième place à l’Italie (1,4 milliard), des chiffres probablement en voie de changer avec le changement de régime. Pour le Maroc, qui n’a pas la rente hydrocarbures de la Libye ou de l’Algérie, le montant n’est «que» de 9,5 milliards, dont 90% achetés auprès de fournisseurs de l’OTAN ou de l’UE, la France (3,4 milliards) et les Etats-Unis (3,3 milliards) étant au coude à coude, loin devant les Pays-Bas (508 millions) et l’Espagne (500 millions). On notera les faibles montants pour ces cinq pays, des ventes britanniques et allemandes.
– Plus intéressant encore pour la pérennité des liens militaires, la formation des militaires est probablement l’élément le plus efficace pour nouer des liens personnels et politiques entre armées étrangères (d’où l’active politique marocaine de formation de militaires de pays francophones d’Afrique de l’Ouest, notamment à l’Académie royale militaire de Dar Beida à Meknès). On sait le rôle politique fondamental dans le régime politique algérien de l’armée, des anciens officiers de l’armée française ayant rejoint le FLN (assez tard pour certains…) les DAF, alors que la majeure partie des officiers des générations ultérieures aura été formée en Egypte ou en URSS. Si les autres armées maghrébines ne semblent pas traversées par des rivalités aussi prononcées, difficile de se pronconcer là-dessus en l’absence de données chiffrées et crédibles.
– Enfin, les liens avec l’OTAN – si on sait que le Maroc est le seul des 5 pays maghrébins à être officiellement un «major non-NATO ally» aux yeux du gouvernement étatsunien, l’OTAN a lancé en 1994 le Dialogue méditerranéen, qui vise, selon son document de base, à nouer des relations de coopération militaire et politique avec les pays méditeranéens. Quatre des cinq pays maghrébins en font partie, à l’exception de la Libye, invitée à participer en 2012 cependant. De nombreux exercices et manoeuvres communs ont ainsi été menés entre armées de l’OTAN et armées maghrébines, surtout le Maroc, mais également l’Algérie. Source (PBS.ORG)

 
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