Dossier

Les dispositifs médicaux : un business médical très rentable

Traiter la question des dispositifs médicaux entre dans le cadre de l’importance que nous accordons à la restructuration du secteur de la santé dans notre pays. L’accès aux soins et la lutte contre la précarité face à la maladie, continuent de constituer un défi pour les décideurs politiques et surtout pour les familles. Un long combat continue d’être livré contre la cherté des prix des médicaments et des dispositifs médicaux. L’auteur Anne –Marie Mol a écrit avec justesse en 2009, que «L’industrie est apte à développer des médicaments et des dispositifs qui changent de mains sur le marché. Mais qui est en position de développer des interventions de soins qui n’ont pas en leur centre un produit commercialisable ?
La première impression qui se dégage des prix d’acquisition de certains dispositifs médicaux par nos CHU, est qu’aucune logique ne préside à la fixation des prix. Le CHU de Rabat achète, à titre d’exemple, une valve cardiaque trois fois moins chère  que celle achetée par le CHU de Marrakech. Les tableaux illustrant ce dossier sont très significatifs des décalages entre les prix d’acquisition réalisés par des entités publiques opérant via les mêmes procédures au niveau de leurs achats. De même, que le tableau des prix des forfaits appliqués aux organismes gestionnaires de l’AMO ont subi une baisse de prix très importante, qui nous pousse à se poser la question des marges réelles ayant été à la base de situations de rente qui  ont duré pendant des décennies  et qui ,semble-t-il, continuent à faire des heureux gagnants.

La question des dispositifs médicaux au Maroc a été rarement au centre du débat public. Les médicaments et leurs problèmes ont dominé les écrits et le débat politique ces dernières années. De grands intérêts ont été et sont toujours en jeu pour revoir la structure des prix de ces produits et surtout de surveiller d’une manière drastique leur introduction sur le marché et bien sûr, dans le corps des Marocains. Si sur le plan des médicaments, une certaine avancée a été enregistrée dans la douleur, les dispositifs médicaux restent un terrain à investir profondément tant par les autorités publiques ( un premier travail a été réalisé), que par la société civile. Les enjeux financiers sont très grands et les dangers sur la santé des citoyens sont parfois très grands aussi. Au Maroc, le chiffre d’affaires du marché des dispositifs médicaux est estimé à 2 milliards de DH. Ce chiffre pourrait être nettement supérieur, mais les données sont encore rares dans ce domaine. Au niveau mondial, les données les plus récentes remontent à 2008 avec un chiffre de 167 milliards d’euros. Les USA occupent 40,7% de parts de marché suivis par le Japon (10,1%) et l’Allemagne (8,1%).

La traçabilité des dispositifs médicaux et la sécurité sanitaire
Les dispositifs médicaux sont très nombreux et ne sont pas aussi contrôlés que les médicaments et ce, partout dans le monde. L’expertise indépendante est souvent rare et la ligne entre la spécificité de ces produits à caractère médical et les autres produits qui se commercialisent librement, devient parfois invisible. La sécurité sanitaire constitue une grande préoccupation dans ce domaine. Les dispositifs sont souvent produits en Asie pour des sociétés européennes ou américaines et exportés vers les pays en voie de développement, sans possibilité de suivre la traçabilité. Même les Européens peinent à maitriser les circuits de commercialisation et à éviter les effets sur leur sécurité sanitaire. L’affaire des PIP(implants mammaires) est manifestement un exemple de la « souplesse» en matière de certification et partant, augmentant le niveau des risques encourus. Les prothèses de la hanche et des genoux ont eux aussi présenté un degré de danger sur la santé des malades au niveau de 60 hôpitaux en France.

L’ANAM et le ministère de la Santé et le processus de la baisse des prix
La question des dispositifs médicaux commence à recevoir un traitement politique responsable. La prison est exigée pour réprimer les fraudes dans ce domaine et notamment, la commercialisation informelle. Les prix de ces dispositifs et leur impact sur les équilibres financiers des organismes gestionnaires de l’AMO, ont poussé l’ANAM (Agence Nationale de l’Assurance Maladie) à mettre en place une commission d’évaluation économique et financière des produits de santé (CEFPS).
La question des prix n’a été soulevée que dernièrement et ce, après une période pendant laquelle beaucoup de dérapages ont été enregistrés. Les marges bénéficiaires étaient et restent, dans certains cas, très élevées et permettent à certains opérateurs dans ce domaine de profiter de situations de rente qui leur procurent de grands bénéfices. Le ministre a reconnu cet état de fait et a considéré que les prix des dispositifs dépassent le pouvoir d’achat des Marocains. Protéger ce pouvoir d’achat revient à mettre en place un système qui permet de s’assurer des marges réelles des opérateurs. Un système a été mis en place et comme pour le médicament, la détermination des marges avant de lui impliquer la TVA et autres frais et charges, reste un grand problème à résoudre. Les surfacturations entre maisons mères et filiales et tous les artifices comptables sont là pour sauvegarder la situation de rente. C’est d’une base de données exhaustives dont nous avons besoin pour déterminer le niveau des prix qui correspond à ce pouvoir d’achat des Marocains.

Il faut sanctionner les fraudeurs
Les questions relatives aux sanctions de différentes infractions aux dispositions de la loi 84-12 promulguée le 19 septembre 2013, sont détaillées. Le niveau des amendes reste modeste par rapport à la dangerosité des actes répressibles par la loi. Le seuil maximum de ces amendes est fixé à 1 000 000,00 de dirhams et pourrait atteindre 10 % du chiffre d’affaires. Le premier seuil débute à 60 000,00 DH . Les députés avaient demandé un durcissement des amendes qui étaient inférieures au niveau du projet de loi et ils ont le droit de s’inquiéter des effets néfastes que pourrait générer un manquement aux dispositions légales dans un domaine pouvant toucher à la vie des citoyens ou provoquer chez eux des blessures irréparables.

Les dispositifs et la baisse des prix des forfaits
Après des années d’attente et d’hésitation, le Gouvernement semble avoir ouvert un chantier très important. Les premiers pas de ce mouvement se sont traduits par une baisse des prix de 20 dispositifs médicaux au niveau des tarifs des forfaits applicables par les organismes gestionnaires de l’AMO. Les dispositifs concernés par cette baisse sont les plus utilisés au Maroc et constituent une charge importante pour l’assurance maladie. Ils portent essentiellement sur le segment des maladies cardiovasculaires, dont notamment les implants cardiaques et vasculaires , les prothèses internes actives, les défibrillateurs cardiaques, les sondes pour défibrillation et les neurostimulantes. La valve cardiaque a subi une baisse de son prix ayant atteint 7 000 DH soit 43% par rapport à son prix avant la décision de baisse. Le stent aortique a connu une baisse de 53% au même titre que les autres stents. C’est un début de soulagement pour les finances de la CNSS et de la CNOPS dans le domaine des prix des forfaits remboursés au titre des dispositifs. La voie est encore longue et la transparence dans ce marché est encore lointaine. Le ministre de la Santé a un programme ambitieux dans ce domaine et compte élargir la liste des dispositifs médicaux qui doivent revenir à la réalité des prix et cesser d’être à la base d’un enrichissement non raisonnable d’un grand nombre d’opérateurs dans ce secteur vital.

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Baisse des tarifs des forfaits concernant les DM de classe III (Prothèses internes)

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Un édifice juridique à mettre en application et notamment au niveau des prix
Le renforcement des outils juridiques de contrôle et de suivi avec le dahir et le décret d’application publiés respectivement en 2013 et 2014 nécessitent une mobilisation de l’ensemble des acteurs pour que les citoyens ne soient pas des victimes de magouilles de certains commerçants ou de certaines cliniques. Un dispositif qui intègre le corps d’un malade n’est pas facilement traçable et son prix est souvent exagéré. Les premières comparaisons que nous avons pu faire entre les prix d’achat d’un certain nombre de CHU, révèlent une réelle anarchie dans la fixation des offres de prix par les fournisseurs des dispositifs médicaux. A titre d’exemple, la valve cardiaque à double ailette a été acquise par le CHU de Rabat à 6 450 DH , par le CHU de Marrakech à 15 499 DH, par l’hôpital Cheikh Zayed à 15 000 DH et par le CHU de Fès à 10 415 DH. Il s’agit du même dispositif et pourtant, le prix varie du simple au triple. C’est ce qui dénote de la possibilité de réduire les marges des importateurs sans leur faire perdre leur confort financier. Les données portées sur les tableaux illustratifs des différences au niveau des prix, invitent à une analyse très profonde des circuits d’importation et de fabrication et une intervention de nos administrations fiscales et douanières pour vérifier les prix de transfert et de disposer d’une base de données sur les coûts des dispositifs médicaux et de leur qualité. C’est une question primordiale pour la sécurité sanitaire et pour le pouvoir d’achat des citoyens.

 

Entretien avec Hazim Jilali,JILALI-HAZIM
Directeur Général de l’ANAM (Agence Nationale de l’Assurance Maladie)

Pourriez-vous nous rappeler tout d’abord les principales missions de l’ANAM ?
L’ANAM est chargée, entre autre, d’initier et de conduire les négociations entre les organismes gestionnaires de l’AMO et les représentants des professionnels de santé, de veiller à l’équilibre global, de proposer les mesures de régulation du système, en particulier la liste des médicaments et dispositifs médicaux remboursables, les protocoles thérapeutiques

S’agissant du volet médicaments et dispositifs médicaux, nous savons que l’ANAM a mis en place deux Commissions en vue de renforcer ses outils de régulation, pouvez- vous nous expliquer davantage le rôle et l’impact de ces deux commissions ?
Effectivement, à travers la création de la Commission d’Evaluation Economique et Financière des Produits de Santé (CEFPS) et la Commission de Transparence (CT), l’ANAM ambitionne de renforcer les mesures de régulation dans le cadre de l’AMO, en particulier celles relatives aux médicaments et produits de santé.
Par ailleurs, et afin de procéder à une évaluation et une mise à jour continue de la liste des dispositifs médicaux (DM) remboursables au titre de l’AMO, l’ANAM a mis en place la CEFPS, pour qu’elle soit une instance chargée d’admettre ou retirer les DM de la liste des DM remboursables, ainsi que leurs tarifs de remboursement. Ainsi, cette commission a pour charge de procéder à l’évaluation et la mise à jour continue de la liste des dispositifs médicaux (DM) remboursables au titre de l’AMO.

Quelles sont les actions qui ont été enregistrées au niveau des dispositifs médicaux ?
Dans ce sens, il est important de signaler que la liste des DM a connu une évolution importante depuis le démarrage de l’AMO. Ainsi, trois listes ont été publiées par arrêté du Ministre de la Santé faisant passer le nombre des DM remboursables au titre de l’AMO de 173 à 869 DM remboursables actuellement.
Cependant, et bien que la liste actuelle présente plus de dispositifs médicaux que la précédente, elle a néanmoins quelques insuffisances et demeure peu exhaustive d’une part et n’a pas été accompagnée par des mesures permettant d’apprécier le volume des dépenses de remboursement. Dans ce sens, les membres de la CEFPS ont décidé de réviser la liste des DM remboursables figurant sur l’arrêté du Ministre de la Santé n° 2314-08, tout en accordant une priorité à la classe III relative aux implants internes. Ainsi, les travaux de la commission ont abouti à la diminution du forfait de remboursement de 20 DM utilisés en chirurgie cardio-vasculaire. Il s’agit entre autres, du défibrillateur cardiaque qui est passé de 117200 DH à 85000 DH soit une baisse de 27%. De même, le stent aortique, rénal, iliaque ou fémoral est passé de 11700 DH à 5500 DH soit une baisse de 53%.
Il est à souligner, que même pour le Régime de l’Assistance Médicale «RAMED», les DM les plus chers sont également pris en charge au niveau des CHU et des Hôpitaux relevant de l’Etat. Il s’agit notamment, des implants cochléaires, les stents, les stimulateurs cardiaques…

Quels sont les chantiers à ouvrir pour réviser les prix des dispositifs ?
Pour le secteur des DM, je tiens tout d’abord à rappeler que c’est un élément essentiel du système de santé. Sa meilleure organisation est un grand défi pour notre pays. L’arrêté ministériel N°4217-15 du 14 Janvier 2016, relatif aux modalités de fixation du prix de vente public et du prix de facturation des dispositifs médicaux de classe III, permettra sans doute de renforcer l’encadrement de ce secteur au Maroc.
Dans un premier temps, la priorité est accordée à la révision du reste de la liste des DM remboursables et qui englobe 869 DM. Cette révision concernera la normalisation des libellés des DM, ainsi que les tarifs de remboursement.
Nous envisageons l’intégration de nouveaux DM nécessaires à la prise en charge des affections chroniques également et couteûses, après leur évaluation médicotechnique par la CEFPS.

 
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