Entreprises & Marchés

Les entreprises et établissements publics : des milliards de DH et un besoin de transparence

Ils sont présents dans tous les secteurs de l’activité économique, financière et sociale, ils sont derrière beaucoup de projets, et, parfois, à l’origine de beaucoup de dysfonctionnements dans la gestion des affaires publiques, ils emploient des milliers de personnes qui ne sont pas toutes des fonctionnaires publics, consomment beaucoup de crédits budgétaires, et contribuent très modestement aux recettes publiques ; il s’agit des entreprises et établissements publics.. par Driss Al Andaloussi

La question de la gouvernance de ces entités publiques a toujours posé un problème et continue de peser sur la maitrise des contours de leur gestion. La culture du contrôle financier a façonné le regard sur l’entreprise et l’établissement public  et a rarement été à la base d’un bouleversement de leurs statuts.

Trop d’autonomie …source de dysfonctionnements

 Contrôler une entité publique qui se situe dans un périmètre d’autonomie par rapport à l’administration et dont la création et la continuité de son rôle dépendent de logiques qui ne sont pas toujours liées à l’efficacité ou à l’efficience, ne peut qu’éloigner l’intégration de leur action dans le programme gouvernemental. Les affaires qui ont marqué l’histoire de certains établissements ou entreprises publics ont montré l’ampleur de l’autonomie de certains décideurs et le pouvoir qu’ils avaient. Les développements qu’ont connus certaines entités comme la CNSS, l’ONDA, la BNDE et tout récemment, la CDG et sa filiale la CGI montrent que le démembrement de l’action de l’Etat n’est pas toujours bénéfique, ni garantissant une meilleure gestion d’un secteur relevant des autorités publiques et engageant des deniers issus de l’impôt ou de l’endettement.
Lors de la présentation du PLF 2015 à la presse, le ministre de l’Economie et des finances, Mohamed Boussaid a fait une allusion à l’ «affaire de la CGI» tout en signalant que le ministère a pris les décisions qui s’imposent au niveau du retrait, par précaution, des actions de cette entité des transactions boursières. Le ministre a parlé lors de sa rencontre avec la presse, de la nécessité de repenser le domaine d’intervention de la CDG en évoquant un éventuel recentrage de son action sur des métiers qui correspondent à sa mission. Lorsque les tribunaux entrent en action pour traiter des affaires de gestion des EEPs, on découvre combien l’autonomie et même le pouvoir exorbitant acquis par certains dirigeants dépassent, parfois, celui des ministres. Les parlementaires ont commencé à lever la voix ces dernières années. Des commissions d’enquête ont été formées pour reprendre le pouvoir du législateur sur un champ qui est rarement maitrisé par ceux qui votent les crédits. Très récemment des établissements comme La RAM, l’ONEE et la CDG ont été convoqués devant les parlementaires pour décliner leurs politiques d’investissement et leur gestion.

Beaucoup de subventions et peu de recettes

Les efforts budgétaires traduits en subventions aux EEPs ont atteint au terme du mois de septembre 2014 un montant de 18, 566 milliards de DH contre 15,845 milliards de DH au titre de la même période une année auparavant. Ce montant est appelé à s’établir à un niveau plus grand au 31 décembre 2014. Les entités qui bénéficient le plus de ces subventions sont les académies de l’enseignement et de la formation (AREF) suivies par l’ONEE et les offices de mise en valeur agricole. Le contrat-programme devant permettre à l’office en charge du secteur de l’eau et de l’électricité de retrouver les équilibres financiers et faire face aux charges des investissements explique, en partie, l’évolution des subventions budgétaires aux EEPs. Les autres bénéficiaires des transferts de l’Etat sont nombreux et gèrent des secteurs comme le transport ferroviaire(ONCF) le secteur de la santé(CHU), l’audiovisuel (SNRT) et même l’appui aux entreprises (CCG).
Les versements faits par les EEPs au budget de l’Etat ne sont le fait que d’un nombre très limité parmi eux. Ce sont presque les mêmes, qui contribuent à alléger les flux au profit de la plupart des établissements publics. En 2014, les chiffres disponibles ( fin septembre) fixent le montant total encaissé par l’Etat à un montant de 7,392 milliards de DH, soit environ 68% des prévisions qui ont été fixés à 10,841 milliards de DH. L’année 2013 a été plus rentable pour le budget de l’Etat en termes de recettes provenant des EPPs avec un montant de 13,322 milliards de DH. L’OCP et la Conservation foncière ont respectivement apporté 5  et 2,7 milliards de DH. Les dividendes d’Ittissalat Al Maghrib ont rapporté pendant cet exercice 1,758 milliard de DH. En 2014, la baisse est notable et touche tous les compartiments de la recette provenant des EEPs. La contribution de l’OCP s’est limitée à 3 milliards de DH, alors que la contribution de la Conservation foncière n’est que de 500 millions de DH par rapport à des prévisions de 2,5 milliards de DH. La baisse va se poursuivre en 2015 selon les données du PLF. Les versements des EPPs ne dépasseraient pas un montant de 9,517 milliards de DH. Sommes-nous dans une courbe descendante qui ne pourrait se redresser sans une reprise de la hausse de nos exportations de nos phosphates et d’une intensification de la valorisation de cette matière première stratégique pour notre pays. Les transactions immobilières en berne depuis plusieurs semestres expliquent, en partie, la faible performance de la contribution de la Conservation foncière. Cette institution est presque une administration de «prélèvement ». Son poids dans l’inscription d’un acte est considéré comme exorbitant et pose la question de la relation entre le cout de son intervention et le «tarif» payé par ceux qui ont recours à ses services. Beaucoup d’éclaircissements sont nécessaires pour donner au législateur et aux citoyens les justifications des niveaux de contribution des différentes institutions publiques, qui figurent sur la liste des contributeurs aux recettes publiques. Bank Al Maghrib, notre institut d’émission, n’a contribué qu’à hauteur de 530 millions de DH jusqu’au 31 septembre 2014 contre 943 millions de DH au terme de l’année 2013. Les données disponibles n’offrent aucune explication sur les niveaux des contributions et sur le pourquoi des fluctuations qui touchent leurs montants.

Un contrôle politique nécessaire

Les EEPs et leur gestion posent le problème très important de leur autonomie par rapport aux décideurs politiques et rétrécissent la vision d’ensemble qu’on pourrait avoir sur la gestion des deniers publics. La discussion qui a eu lieu à la Chambre des représentants sur le projet de la Loi organique des finances (LOF) a permis de relever la volonté des députés à intégrer le suivi et le contrôle des EEPs dans le champ de l’autorisation budgétaire. Le gouvernement a estimé que cette ouverture est difficile, voire impossible. La seule possibilité qui reste est le renforcement du rapport sur les EEPs par des données plus détaillées sur la gestion. Concernant les subventions, il y a une possibilité pour le parlement et notamment, ses commissions spécialisées d’exiger des justifications et de discuter de l’opportunité des opérations de dépenses des EEPs subventionnées. Dépenser des milliards en subventions n’est pas une chose qu’on peut laisser en dehors du contrôle politique. Beaucoup de travaux, de réunions et de remodelages du cadre des rapports entre le gouvernement et les EEPs ont été mis en place, sans que l’efficacité de ces institutions soit réellement améliorée. La course contre la montre des contrôleurs d’Etat pour viser des actes ou veiller à la conformité des actes de dépenses n’est plus stratégique. Les différentes formes du contrôle posent le problème de la limite d’une vision basée sur la conformité et rend impérieux la généralisation des contrats-programmes et la mise en place d’un réel instrument d’évaluation. Le dirigeant d’un établissement public doit rendre des comptes et présenter un projet d’entreprise avant sa nomination. Le Parlement doit avoir un rôle dans l’examen des dossiers de nomination à la tête de nos EEPs stratégiques. Les technocrates, les vrais, sont une denrée encore rare. Les recruter pour une meilleure performance de la gestion est légitime, mais il faut surtout leur imposer une culture de la responsabilité politique. Beaucoup de ministres trouvent des difficultés à communiquer avec des PDG ou des DG et à leur imposer de suivre une ligne conforme au programme gouvernemental dans le secteur dont ils ont la charge. Pire encore, la création d’établissements ou d’entreprises publiques est souvent synonyme de coûts supplémentaires et de charges pour le budget de l’Etat sans garantie en matière d’efficience. Le rapport préparé par la direction en charge des EEPs et des participations au sein du ministère de l ‘Economie et des finances permet de lire les nouvelles créations et la liste des entités publiques en voie de liquidation. Cette opération s’étale souvent sur plusieurs années et occasionne des charges additionnelles. Certaines entreprises dont la mort a été déclarée depuis plusieurs années, sont toujours dans le circuit de la liquidation, comme la BNDE, Air Sénégal International, Charbonnages du Maroc, l’Office du développement Industriel (ODI), la RAD de Casablanca, la RAID de Tanger ou la chaîne hôtelière SAFIR.

Hésitations dans la réforme…. C’est toujours pour demain

Dans ce contexte de non-maitrise du portefeuille de l’Etat dans les différents secteurs, on continue de promettre une solution dans l’avenir pour «consolider l’ouverture et la compétitivité de l’économie marocaine, la diversification des sources de croissance…ainsi que l’amélioration de la situation financière du portefeuille public en termes de rendement des fonds propres, d’amélioration des résultats, de maitrise des risques et des transferts budgétaires….un dispositif juridique ,institutionnel et procédural de gestion active du portefeuille public sera mis en place afin d’assurer un meilleur pilotage du portefeuille public dans le cadre d’une approche globale et intégrée d’optimisation et de rationalisation de ce portefeuille…» (Rapport sur les EPPs page 10). Ce n’est pas rassurant. Tout le diagnostic est dans les lignes qui précèdent. Le manque d’optimisation, de rationalisation et l’absence d’un dispositif institutionnel, juridique et procédural. Cette situation est inquiétante et nécessite un deuxième rapport « Jouahri » (en référence à son premier rapport de la fin des années quatre-vingt).
Nos Entreprises et Etablissements publics sont certes stratégiques pour notre économie et pour la qualité de nos services publics. Mais ne sont pas tous nécessaires, ni porteurs de valeurs ajoutées. Beaucoup d’entre eux, nous coûtent cher en subventions et en impacts sociaux. Il est temps de regarder autrement la gestion financière publique à travers nos entreprises et établissements publics. Leurs performances rejaillissent sur l’Etat et leurs faiblesses coutent au budget des milliards et des «casseroles» à payer pendant des années. Un rapport de l’IGF française en 2012 a recommandé au gouvernement français de «produire une analyse stratégique sur la justification du recours à de telles entités pour conduire des politiques publiques». C’est une recommandation que nous pouvons légitimement adopter pour avoir un maximum de lumière sur nos Etablissements et Entreprises Publics.

 
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