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Les espoirs déçus de la diplomatie des collectivités locales

L’irruption des collectivités territoriales sur la scène internationale, est l’un des faits marquants de ces vingt dernières années. Ce qui a été convenu d’appeler la diplomatie des collectivités locales, a suscité de grands espoirs comme levier complémentaire ou même alternatif à la coopération classique bilatérale ou multilatérale. Mais les résultats atteints sur le terrain restent pour l’instant largement en deçà des attentes. par A.Abouhani, Professeur à l’INA

La politique d’aide aux pays en voie de développement n’est plus une exclusivité des Etats. Durant les trois dernières décennies, de nouveaux acteurs tels que les ONG, les associations professionnelles et surtout les collectivités locales, jouent un rôle de plus en plus important dans la coopération au développement. La notion de coopération décentralisée désigne ces nouveaux  processus.
Parce qu’elle prend appui sur les collectivités locales, la coopération décentralisée est souvent présentée comme l’instrument le plus approprié pour dynamiser les initiatives locales de développement.  En tant que vecteur des valeurs de démocratie locale, elle est considérée par les nouveaux spécialistes du développement comme un modèle alternatif, moins formaliste sur le plan institutionnel, moins bureaucratique dans sa gestion et moins coûteux en termes budgétaires. Elle serait également plus efficace et plus souple, donc mieux adaptée aux besoins puisqu’elle se concentre sur des projets certes modestes, mais concrets.
Comparée aux initiatives étatiques, la coopération décentralisée présenterait un autre avantage : celui de susciter, par le biais des collectivités locales, l’adhésion des populations, car les projets de développement initiés localement sont les seuls pour lesquels les habitants ont la possibilité d’exprimer concrètement leur solidarité.
La coopération décentralisée aurait d’autres vertus : elle faciliterait  l’accès à des zones géographiques que la coopération entre Etats ne permet pas d’atteindre. Elle mettrait   en rapport des milieux économiques et des catégories sociales auxquelles les relations diplomatiques officielles n’ont toujours pas la possibilité de consacrer toute l’attention souhaitable  et dont le rôle est cependant important sur le plan local.
Ainsi, en élargissant le champ de la coopération à de nouveaux acteurs porteurs de besoins réels, la coopération décentralisée serait censée ouvrir de nouvelles perspectives à des actions ciblées mobilisant des ressources  financières non négligeables.
Néanmoins, si la coopération décentralisée dans les pays du Nord est le résultat d’un ensemble de mutations institutionnelles qui ont conduit à un renforcement des pouvoirs locaux sans affaiblir les Etats, dans les pays du Sud la coopération décentralisée va se développer dans un contexte de faiblesse et parfois même, de décomposition des structures étatiques.
Entamée sans encadrement institutionnel, la coopération décentralisée qui a suscité de grands espoirs, n’a finalement donné lieu qu’à des résultats limités sur le terrain.
C’est ce que montre l’examen du cas marocain. Les projets réalisés se sont révélés en réalité d’une portée bien modeste  et les limites structurelles de nos collectivités locales les empêchent de devenir des  acteurs actifs du développement local.

Des réalisations très modestes

Au Maroc c’est à partir de 1976, date de la promulgation de la charte communale, qui a renforcé et élargi les pouvoirs des élus locaux,  que les relations internationales des communes vont se développer et impliquer un nombre de plus en plus important de communes. Ce développement s’est fait dans deux directions : bilatérale par le développement des jumelages et multilatérale par l’adhésion des communes à des organisations non gouvernementales spécialisées et à des réseaux de villes.

1-La coopération bilatérale

La coopération bilatérale pratiquée par les collectivités locales a pris essentiellement la forme du jumelage. La philosophie du jumelage est bien connue : elle consiste à promouvoir des échanges culturels et sportifs et à ouvrir des espaces de rencontres qui peuvent favoriser le terrain pour le développement de projets de coopération plus importants entre les opérateurs économiques publics et privés.
La fièvre des jumelages s’est emparée des villes marocaines depuis 1976 et en moins de 20 ans, plus de 100 jumelages ont été conclus. Néanmoins, les résultats sont très limités : les jumelages ont été très pauvres en termes d’échanges économiques. Dans la plupart des cas, ils se limitent à des visites épisodiques que s’échangent les responsables municipaux des villes jumelées.
L’insuccès de cette forme de coopération s’explique par la faiblesse des moyens financiers qui lui sont affectés et aussi, par le choix hasardeux du partenaire et surtout  par une carence d’initiatives de nos collectivités locales et de nos opérateurs économiques. Mentionnons certaines exceptions  notables; c’est le cas du jumelage entre Casablanca et Bordeaux et qui a donné lieu à un vaste réseau d’échanges et de coopération entre les milieux institutionnels, les acteurs économiques et milieux culturels. La ville de Casablanca a également bien tiré profit de son appartenance à l’Association Internationale des Maires Francophones. Cette organisation a apporté une aide importante pour la réalisation de certains projets comme l’informatisation du marché de gros et la réorganisation des services de l’état civil de la ville….

2-L’Union européenne et la coopération décentralisée

L’Union Européenne a lancé à partir de 1990, sa politique méditerranéenne rénovée  en s’ouvrant aux collectivités locales, aux universités, aux médias et aux milieux d’affaires. L’idée de réseau sur lequel se fondent les programmes Med-Urbs-Campus-Invest et Médias, consiste à mettre en rapport des partenaires du Nord et du Sud de la Méditerranée pour favoriser l’échange de connaissances et de compétences dans les domaines de la gestion urbaine, de l’enseignement supérieur, du développement des PME…
L’Union Européenne finance au minimum 50% et au maximum 80% des dépenses justifiées pour la constitution du réseau. Néanmoins, le financement ne porte que sur les aspects immatériels de cette coopération. Le programme Med-Urbs a démarré en 1992 et s’est achevé en 1996. 42 réseaux se sont constitués, regroupant 226 villes. Avec 24 collectivités territoriales associées, le Maroc a occupé le premier rang parmi les villes du Sud. Les thèmes pour lesquels les villes marocaines se sont associées aux différents réseaux, portent essentiellement sur la réhabilitation des médinas, la résorption de l’habitat insalubre, le recyclage des déchets urbains…
Ces réseaux ont eu l’avantage de favoriser l’échange d’expériences entre municipalités, la formation des praticiens municipaux, la constitution et la consolidation de liens de solidarité  et de partenariats multiples.
On a reproché au programme Med Urbs  la faiblesse des financements et surtout, de ne pas déboucher sur des réalisations concrètes.
Plusieurs raisons expliquent la stérilité des réseaux Med Urbs :
-La contrainte de la durée et la limitation des financements à deux ans ;
-Le choix incident des partenaires ;
-L’hétérogénéité culturelle des partenaires ;
-L’éloignement des thématiques des préoccupations réelles des villes du sud ;
-Le faible engagement des partenaires du Nord dans la mesure où le réseau repose le plus souvent sur l’action isolée d’un élu ou d’un fonctionnaire.
-Le poids disproportionné de l’expertise Nord européenne, ce qui a permis de canaliser l’essentiel des flux financiers des programmes vers les pays du Nord.
A partir de 1996, l’Union Européenne a mis en place le Programme Méda qui a pour objet de  renforcer les protocoles de coopération antérieurs et de soutenir financièrement les réseaux mis en place ou à créer  et les projets de développement. Dans ce  programme, l’implication financière de l’Union Européenne est plus importante, ce qui  a donné lieu à l’affectation entre 1996 et 2003 d’1 milliard 181 millions d’euros qui sont destinés à soutenir les efforts de mise à niveau de l’économie marocaine et aussi  des projets qui concernent plus particulièrement les collectivités locales pour améliorer dans le monde rural les taux de dessertes en matière d’eau potable et  d’assainissement, les routes,  les pistes et les équipements de santé, l’environnement et le transport, la gestion des déchets.
Le règlement du programme Méda accorde une importance particulière à la coopération décentralisée. L’annexe II du règlement précise que le programme Meda vise, entre autre,  à renforcer la coopération décentralisée, en identifiant les bénéficiaires non gouvernementaux de l’aide communautaire, en encourageant la mise en réseau des universités et des chercheurs, des collectivités locales, des associations, des syndicats, des médias, des entreprises privées et des institutions culturelles.
En effet, plusieurs villes et collectivités locales ont été concernées par le programme Meda et d’importants financement ont été consacrés à de nombreux  projets  qui ont impliqué plusieurs collectivités locales. Les projets d’amélioration de l’assainissement et de la gestion des déchets  ont touché les villes de Marrakech, Essaouira, Mekhnès, Settat, Agadir.
La ville de Tanger a bénéficié d’un financement  pour un projet de résorption de l’habitat insalubre.
Dans le monde rural, le programme Meda soutient le programme national de généralisation de l’eau potable(le PAGER), l’amélioration des infrastructures dans l’Oriental, l’amélioration des routes et des pistes dans les provinces du nord.
Dans le domaine agropastoral, le programme Meda soutient des projets de développement participatif des zones forestières dans la province de Chefchaouen et du Moyen Atlas central, la mise en valeur de l’arganier et les aménagements hydro-agricoles du périmètre de Sahla au nord de la province de Taounate.
Reste que la concrétisation du programme Meda a buté sur beaucoup d’obstacles, comme la complexité des procédures mises en place et les négociations toujours longues et difficiles qui caractérisent le choix des projets à financer. Bien qu’elles soient concernées, les collectivités locales n’ont toujours pas les compétences nécessaires pour concevoir directement  des projets de coopération et remplir tous les protocoles financiers qui sont fort complexes.  C’est pourquoi le programme Méda a surtout bénéficié aux structures étatiques classiques : les ministères de l’Intérieur, de l’Equipement et de l’habitat. Les collectivités locales ne sont pas des acteurs du processus : ils sont le plus souvent de simples  bénéficiaires  de projets conçus et négociés sans eux.

3-Le cas spécifique de la coopération décentralisée avec la France

La coopération décentralisée est très dense avec la France. On dénombre plus d’une trentaine de coopérations décentralisées actives entre collectivités françaises et marocaines. Au total, depuis 1996 plusieurs dizaines de millions d’Euros  ont été affectés par le ministère des Affaires étrangères à la coopération décentralisée franco-marocaine.
La coopération décentralisée touche de nombreux domaines : l’administration locale, l’environnement, les services urbains, l’urbanisme, l’habitat, le patrimoine, le développement économique, le développement agricole, l’artisanat, le tourisme, l’action sociale et sanitaire, l’action culturelle, la coopération universitaire, les échanges scolaires, la vie associative, les nouvelles technologies de la communication.
La réussite relative de la coopération décentralisée avec la France tient à la qualité des relations entre les deux pays, à la proximité culturelle des élites municipales, à la connaissance du terrain et surtout à l’appui des services de la coopération de l’Ambassade de France à Rabat. Des demandes de cofinancement peuvent être directement déposées auprès du SCAC qui dispose d’un budget réservé aux projets de coopération décentralisée. Le SCAC peut aussi aider au démarrage de projets, en prenant en charge des missions d’identification et d’expertise préalable. Le service responsable de la coopération décentralisée au SCAC assure la promotion des actions de coopération décentralisée et le lien entre les collectivités locales partenaires, traite les dossiers de demande de cofinancements et assure le suivi des projets cofinancés. Il apporte enfin, un soutien à la mise en réseau des collectivités partenaires par l’organisation ponctuelle de rencontres.

II-Les limites structurelles de la coopération décentralisée

Si la coopération décentralisée a du mal à se développer, c’est surtout en raison des limites structurelles qui empêchent les collectivités locales marocaines de construire des partenariats et de profiter des possibilités d’échange avec les villes du Nord.

1-Inexistence de structures spécialisées

A la différence des pays du Nord, il n’existe pas encore dans notre pays d’organisme spécifique chargé de la coopération internationale des collectivités locales. En l’absence d’une telle structure, les collectivités locales s’engagent seules avec des moyens modestes en s’appuyant sur des liens personnels qu’ils entretiennent avec leurs homologues étrangers. Les partenariats se font au hasard des rencontres et les projets tantôt aboutissent, tantôt échouent.

2-La lourdeur de la tutelle étatique

La coopération décentralisée demeure encore largement subordonnée à la tutelle de l’Etat qui impose toute une série de limitations qui ralentissent ou bloquent les initiatives des collectivités locales.
Par ailleurs, la scène locale est souvent le lieu de confrontation entre les élus et les représentants de l’Etat, quant au pilotage de telle ou telle action de coopération. Etant donné  le prestige et le surplus de légitimité que procurent les actions de coopération internationale, l’Autorité locale ne peut admettre d’en être exclue ou d’y jouer un rôle de figurant. Bien au contraire, elle cherche à être présente dans toutes les phases de la coopération internationale.
Or, les élus tiennent à leur autonomie et veulent négocier seuls les différentes phases de la coopération en se contentant d’informer les autorités locales.
Ces luttes et ces tensions  créent un environnement local qui n’est pas propice à l’épanouissement des initiatives des collectivités.

3-Les contraintes financières

L’action internationale des collectivités locales est largement limitée par l’absence de support financier adéquat. Outre la tutelle politique, la coopération décentralisée affronte de nombreux obstacles financiers et comptables. En règle générale, les collectivités locales ont des ressources propres très limitées  et leurs budgets sont alimentés par des subventions de l’Etat, dont l’essentiel va aux dépenses de fonctionnement. Dans ces conditions, les collectivités locales peuvent difficilement conclure des partenariats équilibrés et crédibles avec d’autres villes étrangères. Le plus souvent, les collectivités locales sont dans une position de celui qui cherche plus de l’aide et de l’assistance que le partenariat.

4-Déficit de qualification des acteurs locaux

Le niveau de formation des élus est encore très faible. La plupart des élus ne parlent pas les langues étrangères, ce qui limite considérablement leur capacité d’échanges. En outre, les collectivités locales ne disposent pas de cadres spécialisés dans la diplomatie et les relations internationales.
Par ailleurs, les élus ont une faible capacité de mobilisation auprès des milieux d’affaires économiques, associatives et culturelles.  Très peu de relations existent entre les ONG et les élus et entre ces derniers et le patronat local.
Souvent, les partenaires du Nord ne trouvent pas de vis-à-vis crédibles et motivés  au Sud. Les collectivités locales n’arrivent pas à saisir les opportunités qu’offrent les réseaux d’acteurs avec lesquels ils sont en relation. 

 
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