Entreprises & Marchés

Les marchés publics d’assurance, des procédures en mal à se roder

Assurance. La passation des marchés publics connaît actuellement des bouleversements notables avec la mise en œuvre du nouveau décret qui est entré en application à effet du 1er Janvier 2014. En quoi les collectivités publiques sont-elles assujetties aux récentes obligations de mise en concurrence pour la passation de leurs contrats d’assurances ? par Abdelfettah ALAMI

Il est d’usage que la période de septembre à novembre de chaque année, le secteur des assurances connaît une surchauffe inhabituelle et une pression forte chez les commerciaux des compagnies et intermédiaires d’assurances pour la course vers le chiffre d’affaires. Cette échéance est, en effet, cruciale puisqu’elle consacre le moment du renouvellent de la quasi-totalité du portefeuille des assureurs.

Pourquoi cette course effrénée et cette bousculade vers la prime touchent peu les marchés publics d’assurances qui présentent, pourtant, compte tenu des budgets qui leur sont consacrés, un enjeu financier de taille ? Ne sont-ils pas les intermédiaires d’assurances qui jouent, au fond, un rôle important, aident et incitent même les compagnies d’assurances dans leur souscription afin d’éviter que certaines aient la tentation de se retirer de ce créneau ?

 Quels réglages prévus pour passer des appels d’offres ?

Il est indéniable que le Décret précité a introduit des nouveautés majeures dans la commande des prestations du secteur public. En effet, selon l’article 1er,  la passation des marchés publics obéit aux principes : 

– de liberté d’accès à la commande publique ; 

– d’égalité de traitement des concurrents ; 

– de garantie des droits des concurrents ; 

– de transparence dans les choix du maître d’ouvrage. 

Elle obéit également aux règles de bonne gouvernance. La passation des marchés publics prend en considération le respect de l’environnement et les  objectifs du développement durable. 

Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation  des deniers publics. Ils exigent une définition préalable des besoins de l’administration, le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence et le choix de l’offre la plus avantageuse économiquement.

En fait, s’il est incontestable que les prestations d’assurances du secteur public sont soumises aux dispositions du nouveau décret sur les marchés publics, le dispositif juridique actuel n’a connu aucun changement par rapport au régime précédant la naissance du nouveau décret sur les marchés publics. De ce fait, il demeure parcellaire, peu clair et surtout truffé de dérogations heurtant, ainsi, de front non seulement les principes de transparence et de bonne gouvernance énoncés précédemment, mais aussi marquant peu d’harmonie avec les normes spécifiques  internationales et particulièrement européennes portant sur la passation des marchés publics de services. En plus, un régime aussi lacunaire de mise en concurrence présente l’inconvénient majeur de ne pouvoir prévoir les outils d’aide à l’expression des besoins, à la passation et l’exécution des marchés d’assurances des collectivités publiques.  

Un édifice juridique dérogatoire

Selon l’article 3 du Décret précité, plusieurs prestations du secteur public échappent au champ d’application de ce texte et par conséquent aux règles de la mise en concurrence, parmi lesquelles figurent «les conventions de droit commun».  

Les conventions ou contrats de droit commun sont  définis comme «des conventions ou des contrats qui ont pour objet soit la réalisation de prestations déjà définies quant aux conditions de leur fourniture et de leur prix et que le maître d’ouvrage ne peut modifier, ou qu’il n’a pas intérêt à modifier soit la réalisation de prestations qui, en raison de leur nature particulière peuvent être passées selon les règles de droit commun ». S’agissant des prestations d’assurances, l’article 4 en donne la liste comme suit :

– assurance des véhicules du parc automobile des administrations publiques ; 

– assurances des véhicules, de canots et d’engins de secours (canots de sauvetage, barges à fond plat) et des motos – marines type jet ski ; 

– assurance de la couverture médicale de base et complémentaire ; 

– assurance des fonctionnaires ou personnalités autorisés à emprunter la voie aérienne à l’occasion de mission officielle ; 

Contrairement à la réglementation européenne en matière de passation des marchés publics d’assurances où ces derniers ne sont pas soumis au code des marchés publics dès lors qu’ils sont inférieurs à certains seuils ( ce qui est compréhensible compte tenu du fait qu’il s’agit généralement de petites primes ne nécessitant pas le recours à une procédure lourde d’un appel d’offres), le Décret, a exclu, sans distinction de seuil, tous ces risques à l’application de ce texte. 

En référence à la liberté des prix qui est consacrée même dans le secteur des assurances, et pour une meilleure cohérence entre les principes énoncés par le décret et cités précédemment, en particulier celui de l’obligation de la mise en concurrence et le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, il aurait été plus judicieux que  notre réglementation ait fait la distinction dans  les procédures de passation des appels d’offres en fonction des seuils des prix des marchés publics d’assurances.  

Autre dérogation instituée par le Décret concerne les marchés reconductibles qui peuvent être passés  «lorsque les quantités peuvent être déterminées, aussi exactement que possible, à l’avance par le maître d’ouvrage et présentent un caractère prévisible, répétitif et permanent.

Les marchés reconductibles sont conclus pour une période déterminée n’excédant pas l’année en cours. Les cahiers des prescriptions spéciales comportent une clause de tacite reconduction. Les marchés reconductibles sont reconduits tacitement d’année en année, dans la limite d’une durée totale de trois années consécutives pour les prestations suivantes :

Assurances contre : 

– les accidents de travail et la responsabilité civile du personnel, étudiants et élèves ; 

– les explosions et incendies des bâtiments, magasins et entrepôts ; 

– les dégâts des eaux. 

– assurance de matériel et engins roulants et flottants de servitudes des ports ; 

– assurance des aéronefs et passagers ; 

– assurance et frais maritimes ou aériens de transport de marchandises ;

Si le Décret détermine une durée maximale, de trois ans, de vie à ces marchés publics d’assurances, le pouvoir adjudicataire doit prévoir dans le cahier des charges et conserver l’annualité pour leur résiliation ou leur renouvellement. D’ailleurs, on peut regretter le fait que le Décret n’ait pas inclus ce droit dans le dispositif prévu pour ce genre de contrat bien qu’en fait, c’est le code des assurances qui s’applique en l’absence de dispositions expresses prévues par la collectivité publique dès le lancement du marché. 

Des souscriptions opaques et éprouvantes

En dépit de ces dérogations,  la pratique était connue depuis plusieurs années. Si certaines collectivités publiques avaient pris l’habitude volontairement de souscrire leurs contrats d’assurances par voie d’appels d’offres, d’autres continuent à profiter du système en passant, par voie directe, ce genre de prestations aux intermédiaires de leur choix.

Cette situation est d’autant plus préjudiciable pour l’adjudicataire public qu’il est rare de trouver dans les cahiers des charges et parmi les critères d’attribution, la notation financière de la compagnie d’assurances, la qualité des prestations de services et ses capacités à gérer les sinistres. 

En plus, compte tenu du caractère aléatoire de la souscription dans le cadre de ces marchés publics, du temps qu’il faut y consacrer et du coût qui en résulte, certains assureurs s’interrogent sur l’intérêt qu’ils peuvent avoir à répondre à des appels d’offres. A cela, s’ajoutent le manque de transparence qui entoure ce type d’opérations, le caractère pesant des procédures qui ne les incitent guère à s’investir dans ce créneau. Dans ce genre de situation, il n’est pas rare de constater que ce sont les intermédiaires d’assurances qui encouragent les compagnies à rester sur le marché. 

En amont, ils jouent le rôle de conseil en auditant et en analysant les cahiers des charges préparés par les collectivités publiques selon des matrices communes  et attirent leur attention sur les points délicats, en particulier s’il ya risque de sous ou sur-assurance qui coûteraient cher à l’assuré public. De l’autre côté et pour les mêmes raisons, en étudiant et en sélectionnant les offres des compagnies d’assurances, ces intermédiaires d’assurances évaluent les chances de  succès.

Reste une grande interrogation pour le développement de ces missions d’audit et de conseil des intermédiaires : le traitement réservé par le code des assurances à leur rémunération reste problématique puisque leur prestation de conseil n’est pas prise en charge. 

 
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