Concurrence

Les sanctions contre les infractions des entreprises sont-elles dissuasives ?

Les sanctions contre les entreprises et leurs dirigeants prévues par le droit de la concurrence sont multiples. Elles sont à la fois d’ordre pénal et pécuniaire sans oublier la publication des décisions de sanction qui présente un grand risque pour l’image et la réputation de l’entreprise. 

Le droit de la concurrence présente une caractéristique essentielle, celle d’être foncièrement répressive. Ceci s’explique de notre point de vue, d’une part, par les dommages que causent les pratiques anticoncurrentielles à la fois à l’économie et au consommateur et d’autre part, par la difficulté de détecter les infractions au droit de la concurrence.

La lourdeur des sanctions et leur diversité sont adoptées dans un but essentiellement dissuasif. Certains parlent même de la «sur dissuasion» du droit de la concurrence. Dans certains pays, comme les Etats-Unis, la loi est plus sévère car la condamnation aux amendes ne fait pas obstacle aux actions privées en dommages et intérêts.

Le régime répressif du droit de la concurrence présente plusieurs points communs d’un pays à l’autre. Son axe principal est la sanction pécuniaire (amende au profit du Trésor de l’État) dont le calcul est souvent fait sur la base du chiffre d’affaires et en tenant compte de circonstances atténuantes ou aggravantes de l’acte anticoncurrentiel.

Le montant de l’amende peut faire l’objet d’une annulation partielle ou totale dans le cadre de la procédure de clémence qui encourage les entreprises à dénoncer les ententes illicites dont elles font partie. Dans certains pays, le calcul du montant de l’amende ne se base pas sur le chiffre d’affaires, il est arrêté en tenant compte du « gain illicite que l’entreprise espérait tirer ou a effectivement tiré de son comportement anticoncurrentiel».

Outre l’amende, certaines législations prévoient d’autres sanctions comme des sanctions pénales contre les dirigeants et les salariés, l’exclusion des marchés publics et les publications des sanctions.

La lutte anticoncurrentielle, une préoccupation mondiale

Selon les données de l’OCDE, la moyenne annuelle des amendes aux entreprises a atteint 12 milliards de dollars entre 2010 et 2015. Ce montant atteindrait 40 à 50 milliards de dollars à l’horizon 2020. La répartition géographique des amendes a évolué d’une manière très significative.

Dans les années quatre-vingt-dix, 98% des amendes pour entente illicite ont été infligées par les Etats-Unis et l’Union européenne. En revanche, durant la période 2010-2015, 44% des amendes ont été imposées dans l’UE (dont la moitié par les autorités nationales), 35% aux États-Unis et 21% dans le reste du monde. Il en ressort que les amendes prononcées par les autorités de la concurrence du reste du monde augmentent d’une manière très rapide, ce qui veut dire que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles devient une préoccupation mondiale.

Le régime des sanctions, prévu par le droit de la concurrence marocain s’inspire profondément du droit européen. Ainsi, les pratiques anticoncurrentielles (entente illicite, abus de position dominante et pratique de prix abusivement bas) sont sanctionnées par des amendes qui peuvent atteindre 10% du chiffre d’affaires. Et en cas de récidive dans un délai de cinq années, le montant de l’amende peut être porté au double.

Pour la détermination du montant de la sanction, le Conseil de la concurrence tient compte de la gravité des faits reprochés à l’entreprise et du dommage causé à l’économie. Mais lorsque l’entreprise ne conteste pas les griefs qui lui sont reprochés, le montant de la sanction est réduit de moitié.

De même, lorsque l’entreprise s’engage à modifier son comportement pour l’avenir, le Conseil en tient compte pour la fixation du montant de l’amende. D’un autre côté, l’entreprise qui dénonce au Conseil, l’entente à laquelle elle participe, peut bénéficier de l’exonération totale ou partielle dans le cadre de la procédure de clémence.

Une autre mesure de nature à porter préjudice à l’image et à la réputation de l’entreprise : le Conseil peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de la sanction pécuniaire selon les modalités qu’il fixe. Il a aussi la latitude de demander l’insertion de la décision de sanction dans le rapport annuel des gérants, du conseil d’administration ou du directoire de l’entreprise.

Outre la sanction pécuniaire et sa publication éventuelle, la loi marocaine de la concurrence comporte aussi une sanction pénale contre les dirigeants et les salariés de l’entreprise. Ainsi, toute personne physique qui prend part dans la conception, l’organisation et la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles (entente illicite et abus de position dominante), est punie d’un emprisonnement de deux mois à un an et d’une amende de dix mille à cinq cent mille dirhams.

Par ailleurs, les mêmes personnes sont passibles de sanctions pénales en cas de refus de collaboration avec les enquêteurs du Conseil de la concurrence. Il reste entendu que les décisions du Conseil sont passibles de recours judiciaire devant la Cour d’appel de Rabat.

En conclusion, on peut dire que le Conseil de la concurrence dispose d’une batterie de sanctions à même de dissuader les entreprises et leurs dirigeants de s’aventurer dans des opérations dont le but est de fausser le libre jeu de la concurrence. La grande question est de savoir s’il aura le courage d’user des pouvoirs que la loi lui confère. 

 
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