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L’illusion qatarie

Un petit émirat qui joue les superpuissances régionales, le phénomène intrigue les observateurs. Qatar fait feu de tout bois, mais ce n’est qu’une illusion.

La population autochtone du Qatar ne dépasse pas les 200.000 habitants, tous des rentiers repus. Le pays dispose de réserves gazières énormes et du poids financier équivalent.

Le nouvel Emir, après avoir renversé son père, a esquissé, avec le soutien de son Premier ministre Jassem, que l’on dit être un Richelieu en plus redoutable, un projet national surdimensionné. Sur le plan économique, la réussite est là parce que la partie était jouable. Même si certains investissements servent d’autres objectifs que la rentabilité, les financiers s’accordent sur la puissance et la pertinence des fonds souverains du Qatar.

Mais l’Emir a aussi des ambitions politiques et pas des moindres. Il veut être le patron d’un nouvel ordre arabe et compter à ce titre, parmi les grands de ce monde.

Cela a commencé par la création d’Al Jazeera, qui n’est qu’une pièce du puzzle mais qui va se révéler un redoutable instrument par la suite. Cette chaine, vite devenue leader dans toute la sphère, a joué un grand rôle dans tous les événements de la région. « C’est un véritable outil dirigé par des services de renseignement au profit d’un agenda ». C’est ainsi que l’un de ses journalistes vedettes la définit, une fois qu’il l’a quittée. Au passage, il révèle que les rushs des reportages sont livrés à la CIA et au Mossad et que c’est ce qui a permis des frappes localisées contre Al Qaïda ou les dirigeants du Hamas.

Le Qatar soutient l’invasion de l’Irak, alors qu’ « Al Jazeera » épouse le point de vue de la rue Arabe et passe en boucle les manifestations hostiles. La chaîne donne la parole, quasi exclusivement aux intégristes de tous bords, gonfle les oppositions dans les pays arabes au nom de la démocratie dans un pays qui n’en fait pas un credo. Dans le même sillage, Doha crée un centre pour le développement des médias, le confie à Robert Menard ancien président de Reporters sans frontières et actuel candidat à la Mairie de Paris, soutenu par l’extrême droite pour financer la presse dans certains pays.

Cette sphère d’influence est au service d’une ambition, celle de devenir l’interlocuteur privilégié de l’Occident. La diplomatie Qatarie va s’y employer, très activement sans craindre les paradoxes, les contradictions. Le meilleur moyen c’était de se saisir de la question palestinienne. Doha abrite une ambassade Israélienne. Pourtant, lors de la tuerie de Gaza c’est la capitale Qatarie qui reçoit un sommet arabe dit de «résistance» auquel ont participé Kadhafi et Bachar El Assad, alors qu’un autre était prévu au Caire. Hamas a soutenu celui de Doha.

Aujourd’hui, le Qatar est pour les Américains le « porteur » de la proposition Arabe de paix, au grand dam de l’Arabie Saoudite, dont le Souverain avait été l’auteur du document. John Kerry qui tente de réanimer le processus de paix, s’appuie sur Doha, parce qu’il constate comme tout le monde, que la ligue arabe est morte.

Profitant de l’affaiblissement de l’Egypte, c’est Doha qui mène le jeu dans les négociations inter-palestiniennes entre le Fatah et le Hamas. Enfin, le Qatar propose la création d’un fonds pour Al Qods, alors que Beït Mal Al Qods existe depuis plus d’une décennie et que le comité Al Qods, dirigé par le Maroc, est chargé de la question par un sommet Islamique. 

Cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani, Emir du Qatar.

L’Agenda Américain

Tous les sommets, toutes les réunions se tiennent à Doha. C’est que ce pays a joué un grand rôle dans ce que l’on a appelé le printemps arabe. Profitant de l’authentique révolution tunisienne, l’Emir de Qatar avec la France et l’Angleterre ont réalisé un projet commun, établi un an auparavant pour des raisons liées à l’exploitation du gaz Libyen et à la dénonciation par Tripoli d’un accord, celui d’abattre Kadhafi.

Dans ce que l’on appelle la crise syrienne, c’est Doha qui paye la facture matérielle, l’humaine est du ressort exclusif du peuple syrien. C’est aussi Qatar qui se veut le parrain d’une opposition qu’il ne réussit ni à unir, ni à imposer comme représentant réel des combattants de l’intérieur.

Doha a financé et encouragé par le biais d’Al Jazeera, les mouvements islamistes qu’ils soient wahhabites ou non. C’est elle qui finance les sunnites d’Irak, ceux-là même qui ont farouchement résisté à l’invasion américaine. Qatar n’est pas à une contradiction près, parce que stratégiquement la diplomatie inscrit son action dans le cadre du projet américain, d’un nouvel ordre au Moyen-Orient et par extension du Monde Arabe.

Les relations denses avec la France, encouragées par Sarkozy, perpétuées par Hollande, ne sont que la partie visible de l’iceberg. C’est le couple Londres-Washington qui constitue la carte maîtresse du Qatar. Enivré par ses succès, l’émir du Qatar se prend déjà pour le nouveau patron du Monde Arabe, une sorte de Nasser des temps de la reddition arabe. L’Occident veut y croire et s’appuie dessus, sauf que c’est une illusion.

Dans son environnement régional, l’Arabie saoudite se rebiffe déjà. L’Egypte, malgré ses difficultés actuelles, n’a pas abdiqué. Le Maroc, voire l’Algérie ne sont pas disposés à se laisser faire. Plus stratégique encore, l’agenda américain, celui de pouvoirs Islamistes light constituant un rempart contre l’extrémisme, le terrorisme, tout en assurant les bonnes affaires, ne tient pas la route.

Le processus déclenché n’en est qu’à ses débuts. En Tunisie, en Egypte et en Libye toutes les contradictions sociales sont exacerbées. En Syrie, les enjeux géostratégiques, l’implication de Téhéran et de Moscou laissent présager une issue très éloignée et une facture très lourde. Sans que l’on puisse présager de l’issue. Quant au processus de paix, il bute d’abord sur l’arrogance israélienne et ensuite sur l’insoluble question des réfugiés. Le printemps arabe est une boîte de pandore ouverte à toutes les perspectives.

Le Qatar pèche par vanité. Il a l’argent mais il n’a ni le poids démographique, ni la puissance militaire, ni la profondeur historique, ce n’est qu’un Etat fantoche, créé de toutes pièces par les britanniques il y a 40 ans. Ses services de sécurité n’ont pas les moyens de contrôler les milices qu’ils arment. Un signal qui ne trompe pas, bien qu’influente « Al Jazeera » perd de l’audience. Mais surtout le Qatar et ses sponsors ont réveillé les vieux démons. Le conflit entre chiites et sunnites est déjà armé en Syrie, en Irak et au Liban. Il est patent au Bahreïn. C’est ce conflit qui façonnera le paysage. L’Orient est décidément trop compliqué pour les Occidentaux. Aux USA, les analystes soixante ans après, reconnaissent que le coup d’Etat contre Mossadaq en Iran en 1953 était une erreur dramatique. La tendance étant celle de régimes nationalistes réformateurs, ce coup d’Etat est à l’origine de l’emprise des mollahs sur la révolution iranienne. Après avoir soutenu des régimes vermoulus, au  nom de la lutte contre le communisme, puis des dictatures, les Occidentaux s’essayent au jeu des révolutions contrôlées. 

Sauf que les peuples, quand ils font irruption sur la scène de l’histoire, tracent leur propre trajectoire. Ni les USA, ni le Qatar n’y peuvent rien, à long terme. 

 
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