Entreprises & Marchés

Loi de finances 2015 : décorticage des dispositions fiscales

Mohamed Boussaid, ministre de l’Economie et des Finances.

Le volet fiscal de la LF 2015 est dominé surtout par deux aspects importants, l’un est relatif à la mise à niveau du système fiscal pour permettre à l’Administration responsable d’entamer des échanges de données avec d’autres Etats et de parer à la fraude fiscale d’origine internationale, l’autre est afférent à la dématérialisation des prestations de services, notamment la généralisation de la télé déclaration et du télépaiement. Ces deux aspects pourraient constituer deux axes stratégiques complémentaires de modernisation de l’Administration fiscale. par Mohamed Amine    

Néanmoins, ce processus ne se déroule pas de manière paisible et linéaire. Des résistances sociétales à la transparence et à la modernisation persistent. Ce qui explique le retour en arrière et l’abrogation des dispositions introduites par la LF 2014 qui visaient la mise en place d’un registre obligatoire pour les contribuables, dont les revenus professionnels sont déterminés d’après le régime du bénéfice forfaitaire. Abandon total ? En fait, ce n’est que partie remise. De nouvelles dispositions introduites par la LF 2015 (article 246 bis) atténuent ce recul en prévoyant l’obligation de justifier les dépenses par les forfaitaires payant un impôt sur le revenu supérieur à 5000 dirhams et ce, conformément aux dispositions de l’article 246 du CGI. Une manière d’expliciter une obligation, mais aussi de segmenter et de cibler/isoler les faux forfaitaires et d’entamer une démarche progressive sans abandonner totalement l’objectif stratégique de transparence comptable et fiscale.
Une autre disposition de la LF 2015 a connu une levée de boucliers, mais est arrivée à passer : le replafonnement de déduction des cotisations correspondant aux contrats d’assurance retraite à 10% au lieu de 6% du revenu global imposable, mais en même temps la limitation à 50%, au lieu de la totalité, lorsqu’il s’agit de salaire net imposable. Cette mesure est certes défavorable à l’épargne, et à certains salariés, et donc aussi à l’investissement, mais elle concerne surtout les contribuables disposant d’un revenu et d’un pouvoir d’achat importants.
Par contre, la poire a été coupée en deux, pour ce qui est de l’abattement forfaitaire appliqué aux pensions de retraite. La LF 2015 prévoit un abattement de 55% pour la tranche inférieure à 168 000 dirhams et 40% pour la tranche supérieure à ce montant. Une dégressivité qui met une pincée d’équité dans le traitement des pensions de retraite, surtout pour la catégorie «classe moyenne des retraités».  Tel n’est pas le cas des acquéreurs à crédit de logements sociaux qui, pour les nouveaux contrats  conclus à compter du 1er janvier 2015,  se verront appliquer une TVA au taux de 10% au titre des intérêts payés à la banque. Ce n’est pas un mensonge si la TVA est traitée d’aveugle. Elle ne fait pas de distinction entre riches et pauvres, entre villa et logement social… Après cela, il est bon de boire une bonne tasse de thé, mais cette fois-ci au taux de 20% au lieu de 14%, taux certes allégé, pour le moment, par une baisse des droits de douane.
Un joli cadeau aux banques : celles-ci ne paieront plus mensuellement l’impôt dû, prélevé à la source, donc collecté, au titre des revenus et profits bruts de capitaux mobiliers de source étrangère. Le paiement se fera avant le premier avril après clôture de l’exercice. C’est là un crédit accordé gratuitement aux banques (et en devises !) au moment où, paradoxalement, le mode de paiement de l’impôt, prévu pour les petits contribuables tels que les auto-entrepreneurs, devrait être mensuel ou trimestriel. Néanmoins, cette mesure devrait permettre une meilleure coordination entre les banques et le fisc et un meilleur suivi des avoirs extérieurs. La fiscalité se met au vert : elle prévoit pour les véhicules à moteur électrique ou à moteur hybride l’imposition au tarif réduit prévu pour les véhicules à essence, au lieu du tarif appliqué aux véhicules gasoil. Pour les chauffe-eaux solaires, le taux prévu en matière de TVA sera de 10% au lieu de 14%.
Et l’art n’est pas oublié, car les associations artistiques reconnues d’utilité publique (ARUP) pourront bénéficier de dons en argent ou en nature, dons fiscalement déductibles au niveau des entreprises donatrices. Pourquoi cette précision ? La version antérieure était limitée aux ARUP «qui œuvrent dans un but charitable, scientifique, culturel, littéraire, éducatif, sportif, d’enseignement ou de santé ». L’art, ne fait-il pas partie de la culture ? La littérature n’est-elle pas création artistique ?
Des mesures prorogées : il s’agit de la mesure reconduite plusieurs fois et favorable à la transformation des personnes physiques ou morales relevant de l’IR en personnes morales relevant de l’IS, prévoyant l’exonération des plus values réalisées à la suite de cette transformation et celle permettant aux personnes exerçant une activité dans l’informel de s’identifier fiscalement sans crainte d’être régularisées fiscalement au titre des exercices antérieurs non prescrits.
Des mesures contre la discrimination qui s’inscrivent dans le cadre global de l’intégration de la population immigrée au Maroc : dorénavant, l’exonération fiscale prévue dans l’acquisition des logements à faible valeur immobilière et des logements prévus pour la classe moyenne bénéficie aussi aux résidents étrangers en situation régulière. La réduction de la durée d’exonération de 20 à 8 ans, prévue au profit de bailleurs de logements à faible valeur immobilière ou logements sociaux, a été compensée par une révision à la hausse des prix de location retenus comme critères pour bénéficier de ladite exonération (700 à 1000 dh/mois pour le minimum et 1200 à 2000 dh/mois pour le maximum).
Des mesures visant à encourager l’emploi : il s’agit de l’exonération de l’indemnité de stage pendant une durée de 24 mois, conditionnée par le recrutement définitif d’au moins 60% des stagiaires. C’est aussi le cas des salaires mensuels bruts plafonnés à 10 000 DH, pour une durée de 24 mois, dans la limite de 5 salariés, au profit des nouvelles entreprises qui seront créées entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2019. Dans ce cas, le contrat doit être à durée indéterminée (CDI). Cette mesure est favorable surtout aux TPE et aux PME. Un système de déclaration a été mis en place pour assurer le suivi par l’Administration fiscale et éviter d’éventuelles dérives.
Des mesures favorables à l’investissement : en matière de TVA, l’acquisition de biens d’investissement était exonérée pendant les 24 premiers mois d’activité des nouvelles entreprises. Ce délai est dorénavant de 36 mois. De même, le montant des projets d’investissement, auparavant plafonné à 200 millions de DH, a été réduit à 100 millions de DH. En fait, cette mesure a surtout un effet sur la trésorerie de l’entreprise, car il s’agit en définitif d’une TVA récupérable.
Une mesure phare qui s’inscrit dans la lutte contre la fraude fiscale transfrontalière : c’est tout un nouveau chapitre V qui a été intégré dans le Livre II relatif aux procédures fiscales en matière de contrôle de l’impôt. Ce chapitre s’intitule : «Procédure d’accord préalable sur le prix de transfert ». C’est là, l’acquis principal de cette Loi de finances pour faire face à un mécanisme de fraude/d’évasion fiscale, mais qui reste à décliner par voie réglementaire en s’inspirant des meilleures pratiques internationales. Le prix de transfert est la valeur des marchandises ou services achetées ou vendues à l’étranger. La manipulation de ces prix lorsque les échanges s’effectuent entre des entités dépendantes l’une de l’autre, peut permettre l’évasion fiscale vers l’étranger.
Dans ce cas, l’Administration fiscale opère des comparaisons avec les prix pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement et peut réintégrer dans le bénéfice taxable les écarts injustifiés constatés.
Face à l’intégration croissante de l’économie marocaine dans l’ «économie monde», les risques d’évasion et de fraude fiscale d’origine internationale augmentent. C’est d’ailleurs, ce qu’a pu souligner récemment la Cour des Comptes dans l’un de ses derniers rapports.
Pour stabiliser les rapports avec ce type d’entreprises qui entretiennent des relations de dépendance avec d’autres entreprises à l’étranger, il s’est donc avéré nécessaire de mettre en place ce mécanisme qui consiste à conclure un accord préalable sur la méthode de détermination des prix des opérations effectuées avec lesdites entreprises situées hors du territoire marocain. La durée de cet accord est de quatre ans. Mais cet accord n’est pas figé. Il peut être remis en cause en cas de présentation erronée des faits, de dissimulation d’informations, d’erreurs ou d’omissions imputables à l’entreprise, ou en cas de non respect de la méthode convenue et des obligations contenues dans ledit accord par l’entreprise ou l’usage de manœuvres frauduleuses.
D’ailleurs, afin de limiter ce risque, le traitement fiscal prévu auparavant pour les sièges régionaux ou internationaux ayant le statut de « Casa Finance City », a été étendu aux bureaux de représentation des sociétés non résidentes. Cette extension permettra de retenir pour lesdits bureaux une base imposable au moins égale à 5% des charges de fonctionnement, à défaut d’un bénéfice supérieur à cette base. Une sorte de « minimum d’imposition ».
Enfin, et bien que s’agissant d’une dimension essentiellement technique dans la gestion de l’impôt, la LF 2015 a prévu la généralisation progressive du mode électronique de déclaration et de paiement. Ayant été entamée depuis 2010 pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 100 millions de DH, cette dématérialisation devra devenir obligatoire à compter du 1er  janvier 2017 pour les entreprises réalisant un CA annuel supérieur ou égal à 3 millions de DH. Ce sera aussi le cas des professions libérales pour lesquelles un arrêté d’application est prévu. Pour les auto-entrepreneurs, la déclaration et le paiement en ligne seront optionnels. Cette généralisation devra toucher aussi les droits d’enregistrement et de timbre et bien sûr, les actes notariés.
Cependant, et afin de dépasser cette vision restrictive et réductionniste de la dématérialisation qui ne voit dans le contribuable que la personne assujettie à la déclaration et au paiement de l’impôt dû, il est nécessaire d’intégrer dans ce processus d’autres prestations de services, telles que la délivrance en ligne d’attestations, la possibilité d’accéder et de consulter en ligne son propre compte fiscal, d’obtenir des informations, de faire des simulations de calcul d’impôt … C’est cette image interactive et moderne de l’impôt qui est la plus attendue, en particulier par les nouvelles générations dont l’esprit n’a pas encore été trop pollué par la poussière du passé.

 
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Elle fait l'actu : Meriem Bensalah Chaqroun, Présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM)

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