Dossier

Loi Organique des finances: L’amendement ou l’arbre qui cache la forêt

Mohamed Boussaid avec notre journaliste Driss Andaloussi lors de l’entretien qu’il a accordé à Challenge.

Après des jours chauds avant et pendant le ramadan, le projet de la Loi Organique des finances a été repris en commission et voté en plénière. Le projet continue son processus d’adoption au sein de la Chambre des conseillers. Les compromis ont été trouvés, les relations normalisées, mais le vote à l’unanimité et le pas en arrière des députés du PJD ont été enregistrés pour figurer sur le terrain de la lutte politique à la rentrée. Le ministre de l’Economie et des finances n’a pas apprécié la réduction qui a touché un grand projet de réforme de la gestion financière publique ni l’occultation des principes de bonne gouvernance qui font son essence. Challenge a eu un long entretien avec M.Boussaid, que nous avons préféré présenter comme un compte-rendu argumenté.
Dossier réalisé par Driss Al AndaloussI

Deniers publics et pratiques politiques
Les deniers publics ont toujours tissé des liens complexes avec le monde de la décision politique. Collecter des ressources est un acte qui a une importance sur les structures du pouvoir et sur les équilibres des forces à l’intérieur des Etats. Le degré d’évolution des pratiques démocratiques a toujours été transcrit dans la règle de droit ayant trait à la gestion de l’argent public. Voter un budget n’est pas un acte sans histoire ni racines dans des passés récents ou lointains. Accepter que d’autres forces que le prince accèdent au pouvoir de mettre en place les règles du jeu en matière des finances, a façonné les structures démocratiques. C’est de l’argent que dépend l’essentiel en matière de gestion de l’espace et des hommes. Toutes les fonctions qui se sont développées autour de l’argent public correspondent à des dénouements de crises ou des évolutions imposées par la force. Aujourd’hui encore, le pouvoir et son exercice se conçoit en termes d’allocation des ressources aux projets jugés prioritaires par les détenteurs des pouvoirs. La démocratie, en tant que moins mauvais des systèmes politiques, dessine les contours de la pratique financière en matière de prélèvement de l’impôt et d’affectation des ressources. Les structures de contrôle sont primordiales dans la pyramide des institutions constitutionnelles.
Les règles constitutionnelles ne peuvent tout mettre en place pour garantir le bon fonctionnement des institutions. Les pouvoirs disposant de la légitimité décisionnelle continuent le travail législatif en mettant en place des Lois Organiques qui précisent les règles du jeu dans des domaines présentant un haut degré d’importance pour le citoyen. Parmi ces Lois Organiques, figure celle relative aux finances publiques. Elle est tellement importante qu’on l’appelle « la petite constitution ». Comment dépenser, comment prélever la recette, comment présenter les documents budgétaires, quelles informations donner aux parlementaires, comment rendre compte d’une dépense, comment contrôler la dépense et la recette publiques, comment évaluer l’exécution de la dépense ……Tels sont quelques-uns des axes de cette loi.

Enfin, un processus d’approbation est enclenché
Après des années d’attente, le nouveau projet de la Loi Organique des finances est en train de parcourir la voie législative. Il est dans sa phase finale. La première Chambre l’a approuvé et la seconde a pris le relai pour achever le processus d’approbation. Les discussions qui ont eu lieu à la Commission des finances et du développement économique et le vote à l’unanimité d’un amendement relatif au regard que doit porter le parlement sur les comptes de trésorerie, a secoué la majorité et a donné lieu à des lectures diverses et variées et privilégiant la portée politique sur celle liée aux techniques budgétaires. Challenge a fait une lecture de l’évènement qui a eu lieu au parlement et a rendu compte du rapprochement entre les députés du PJD et ceux de l’Istiqlal. Les amours des lendemains de l’élection de 2011 ne sont pas totalement tombés dans l’oubli. En politique, les discordes ne sont pas irréparables et les retrouvailles entre « alliés » sont autant justifiées que les « coups de foudre » entre les « ennemis d’hier ». Après le vote à l’unanimité, dudit amendement, Challenge a eu des entretiens avec des députés de la majorité et notamment, avec certains représentants du PJD. A la question « allez-vous maintenir l’amendement tel qu’il a été voté ? » La réponse a été « Allahou Aalam- Dieu seul le sait ». C’est ainsi que tout l’édifice d’une des plus grandes attentes des hommes politiques, des citoyens et du gouvernement en matière de réforme s’est retrouvée réduite à la seule question de la gestion des comptes de trésorerie.

«L’amendement ne peut pas cacher la réforme ni la réduire»
Afin de suivre l’évolution de ce grand chantier et de ses principaux apports, Challenge s’est vu dans l’obligation d’informer ses lecteurs à travers un entretien avec Mohamed Boussaid, ministre de l’Economie et des Finances. Nous voulions faire un tour des questions financières et économiques qui sont sur l’agenda du ministre, mais nous avons jugé utile de consacrer l’entretien au chantier de la Loi Organique des finances.
M. Boussaid semble très apaisé par l’issue qu’a connue le projet devant les parlementaires. L’amendement en question a, selon lui, réduit le projet à une simple procédure de contrôle qui a déjà été réglée en 2013. La révolution managériale publique qui sera effective après l’adoption de la LOF s’est perdue dans la dispute sur le détail. Sur un plan psychologique, la caisse noire et son existence fait penser aux « mafias », aux opérations « illicites » et personne ne peut manquer le rendez-vous pour s’aligner sur ceux qui revendiquent la transparence et le nécessaire contrôle politique sur des fonds qui circulent en dehors des circuits officiels. Marquer une position de « principe » est semble- t-il rentable sur le plan politique.
Nous avons contribué à Challenge à lever le voile sur les incompréhensions qui se propagent entre les politiques et poussent beaucoup d’observateurs « paresseux » à confondre les comptes de trésorerie avec les comptes spéciaux du Trésor. Ces derniers ont toujours été présentés au parlement et votés par les députés et les conseillers. Les dépenses et les recettes qu’ils retracent dans leurs écritures sont soumises à tous les contrôles. Ils font même l’objet d’un rapport qui accompagne le projet de Loi de Finances de l’année. Leur gestion a été certes critiquée, mais continue à faire l’objet de beaucoup d’aménagements pour faciliter leur suivi et leur contrôle par le pouvoir législatif. Le projet de LOF introduit une série de règles qui vont modifier le fonctionnement et les créations de ces comptes, ainsi que les services d’Etat gérés de manière autonome (SEGMA). La complexité est un frein à la transparence et c’est pourquoi la simplification est mise au rang des priorités de la réforme.

La Loi Organique des finances ouvre une porte pour la vulgarisation des concepts financiers
Le projet de la Loi Organique des finances introduit de nouveaux mécanismes qui vont permettre de forger une nouvelle culture financière citoyenne. Aller au-delà du jargon financier « creux » qui met la fausse expertise au service de la marginalisation politique de nos jeunes citoyens, est l’objectif le plus profond d’un projet d’une telle envergure. Lors de l’entretien avec le ministre Boussaid, nous avons pu constater chez lui le souci de vulgariser les concepts et les procédures. Bâtir des ponts solides entre le citoyen et la politique passe par l’accès à l’information et au savoir commun. La Loi de finances doit cesser d’être ce document plein de chiffres et vide en informations. Le citoyen veut un projet dans sa région qui permet d’améliorer ses conditions de vie et ne veut pas entendre parler d’affectation de crédits à des fonctions qui n’ont pas toujours un lien avec son quotidien. La nouvelle Loi Organique des finances devrait, en principe, lever le voile entre le citoyen et son argent public. Le projet dans le quartier, la ville ou la région va acquérir une place dans la Loi de finances.
Bien que les intentions exprimées, il y a presque dix ans, soient réelles, le projet de Loi Organique des finances a pris beaucoup de retard. Les évènements de 2011 et leur couronnement par une nouvelle constitution mettant en avant les principes de la bonne gouvernance ont donné à la réforme du cadre de présentation et de suivi des Lois de finances un caractère primordial, voire très urgent. Après avoir effectué un maximum de négociation politique, le ministre a pu convaincre ses interlocuteurs qu’il s’agit d’un projet fondateur et qu’il n’est pas le protecteur de ceux qui gèrent « des caisses noires ou bleues » ni un adepte de la fausse transparence. En homme de terrain combinant une expérience dans l’administration territoriale avec les fonctions ministérielle et en connaisseur des règles du jeu politique, il aurait lu l’épisode du vote à l’unanimité de l’amendement de l’article 8 sous l’angle des positionnements politiques qui brouillent les pistes avant des échéances électorales ou des séances de « relooking » tant prisées ces derniers temps.
Reprenant son bâton de pèlerin, le ministre s’est présenté le 14 Juillet devant la Commission des finances, des infrastructures, du plan et du développement régional de la Chambre des conseillers. Il a rappelé que le projet de la LOF se base sur une approche participative et prend en compte la capacité des gestionnaires, tout en s’ouvrant sur les bonnes pratiques internationales. Après avoir décrit les différentes étapes de la préparation et des consultations qui se sont étalées sur les années 2011, 2012 et 2013, il a exposé les principaux objectifs du projet qui peuvent être résumés comme suit :
-Adaptation aux nouvelles dispositions constitutionnelles ;
-Consolidation du rôle de la Loi de finances en tant qu’instrument de mise en place des politiques publiques ;

-Renforcement de l’efficacité et de l’efficience des politiques publiques et amélioration de la qualité des services publics et de la capacité des gestionnaires ;
-Renforcement des équilibres financiers et de la transparence des finances publiques et simplification de la lisibilité du budget ;
-Renforcement du rôle du parlement dans le contrôle des finances publiques et de l’évaluation des politiques publiques.

Le ministre a expliqué au représentant de Challenge, son attachement à faire apparaitre les apports de la LOF dans les domaines de l’amélioration de la gestion publique à travers la programmation pluriannuelle et l’établissement de liens solides entre la dépense et le résultat et surtout entre la responsabilité et la reddition des comptes et l’évaluation. Il a par ailleurs, insisté sur le renforcement des principes de transparence et sur l’enrichissement de l’information présentée au parlement. Les données seront plus nombreuses et pourront couvrir beaucoup de domaines liés à la dépense et à la recette publique. Une attention particulière sera accordée aux réaménagements des délais d’études des Lois de finances, ainsi qu’à l’encadrement des agendas de préparation et de dépôt des lois de règlement.

L’information en tant que clé de lecture et de compréhension de la Loi de finances
L’information est certes nécessaire et le nombre de rapports accompagnant la Loi de finances va augmenter et permettre un accès à ceux parmi les parlementaires qui peuvent lire les rapports. Nous avons soulevé dans de précédents papiers de Challenge, le problème de la capacité de beaucoup de parlementaires à accéder à une compréhension raisonnable pour ne pas dire minimum, de l’information financière. Les conseillers des parlementaires ou leurs adjoints sont une nécessité institutionnelle au moment où notre scène politique fait beaucoup de place aux notables et à ceux ayant les voix de ténors dans leurs partis et néglige ceux qui ont le seul « pouvoir « du savoir et de la compétence ». Les rapports sont d’une utilité pour les observateurs et la presse, beaucoup plus que pour une grande partie des parlementaires qui boudent les travaux des commissions par handicap cognitif. A noter, que suite à certaines requêtes des députés, le gouvernement a accepté d’enrichir la liste des rapports susvisés par des documents sur les impacts financiers et économiques des mesures proposées dans les projets de Loi de finances, sur le budget basé sur le résultat à travers l’approche genre et sur le foncier public affecté à l’investissement. Deux notes supplémentaires seront, par ailleurs, présentées aux parlementaires en plus de celle relative à la présentation du PLF. Ces notes porteront sur les charges communes et sur la répartition régionale de l’investissement. Cet effort est louable, mais nécessite un travail d’amélioration du contenu des notes et rapports. L’analyse et l’évaluation des données présentées sont encore absentes. L’exemple des dépenses fiscales est notoire. L’Etat enregistre annuellement des milliards de dhs en exonérations, abattements et différentes facilités fiscales sans pouvoir évaluer leur l’impact sur les différents secteurs ciblés. Ces évaluations se révèleraient très importantes en matière décisionnelle et permettraient de rompre avec les pratiques qui s’apparentent à des situations de rente. Ce travail incombe aux ministères dont relèvent les secteurs bénéficiaires.
En plus des documents qui accompagneront les PLF, les ministères seront dans l’obligation de faire accompagner leurs budgets d’une série de rapports sur les projets programmés dans le cadre des comptes d’affectation spéciale et des SEGMA, sur la programmation pluriannuelle sectorielle des établissements et des entreprises publics sous leur tutelle et bénéficiaires de dotations ou subventions de l’Etat. La loi de règlement sera par ailleurs, accompagnée par une série de rapports et d’annexes qui permettront de faire du moment de l’examen de cette loi un réel rendez-vous de débat politique basé sur des données précises et évaluées. Les ressources mises à la disposition des collectivités territoriales feront partie des données qui sortiront de l’ombre pour être examinées par les représentants de la nation.

Les questions qui retiennent l’intérêt sont nombreuses et notamment…
Lors de l’entretien avec M. Boussaid, les questions relatives à la règle d’or ont été jugées très importantes. L’interdiction d’affecter les ressources issues de l’endettement à des dépenses autres que celles liées à l’investissement, constitue une avancée très importante. Il est politiquement très important d’éviter de s’endetter pour faire face à des dépenses courantes et de le montrer dans un bilan politique comme celui qui vient d’être fait par le Chef du gouvernement devant les deux Chambres. Les bailleurs des fonds du Pays et les agences de notation accordent une importance particulière à la clarté des règles du jeu en matière budgétaire et le font savoir à travers des taux et des notes.
L’image du pays auprès de ses partenaires est d’un grand intérêt, semble-t-il, pour tous les acteurs politiques
Le ministre a tenu à souligner que la pratique budgétaire subit souvent des pressions qui surviennent après le vote de la Loi de finances. L’envol des coûts des matières premières ou la volatilité des taux de change peuvent alourdir les charges budgétaires et aggraver les déficits. Les hypothèses qui servent de base à la formulation d’un projet peuvent être remises en cause, tant par des facteurs exogènes, qu’endogènes. Les autorisations budgétaires sont parfois dépassées et certains corps de contrôle et notamment, la Cour des comptes relève ces dépassements et les considère comme étant non conformes aux dispositions de la règlementation en vigueur. Le gouvernement aura, avec la prochaine Loi Organique des finances, la possibilité de disposer d’un cadre souple pour présenter dans des délais raisonnables, des lois rectificatives et donner ainsi une légitimité aux modifications des autorisations parlementaires. Le délai de vote de la loi rectificative est fixé à 15 jours pour les deux Chambres.
La question des primes des fonctionnaires du ministère des Finances ne pouvait rester en dehors de cet entretien avec le ministre Boussaid. Ces primes, dont l’existence dépasse 50 ans correspondent à la spécificité du travail effectué dans des conditions souvent difficiles par les agents du ministère. Le ministre a utilisé un terme que partagent tous les responsables ayant été en charge du département des finances avant lui. Il s’agit de la « sécurité financière » qu’assurent des agents des impôts, de la douane, de la Trésorerie générale des finances, de l’Inspection générale des finances et des autres entités chargées du domaine de l’Etat et du budget. Cette rétribution des agents des finances existe dans presque tous les pays. Cette question a toujours été présentée comme étant « mal gérée » et ne présentant pas un degré acceptable en matière d’équité. Le ministre semble déterminé à mettre de l’ordre dans la gestion de ce dossier. Les parlementaires lui ont fait part de leurs attentes dans ce domaine et ont eu l’engagement du ministre pour veiller lui-même sur les opérations concernant l’ordonnancement des opérations sur les comptes de trésorerie qui constituent le support budgétaire des primes. Les syndicats scrutent de plus en plus l’inéquité flagrante du traitement du dossier des primes et exigent la transparence et l’équité nécessaires.
Les différents axes du projet de loi font appel à des principes qui doivent guider la gestion des deniers publics. Il s’agit de la recherche du «résultat » dans toute action de dépense ou de recette, de la «responsabilité » de tout gestionnaire face aux objectifs préalablement tracés aux programmes et projets dont il a la charge et de « l’évaluation des performances et de réédition des comptes». Ce cadre permet d’introduire une nouvelle culture des finances publiques et implique, en conséquence, la mise en place de nouveaux mécanismes de gestion, de contrôle et de suivi politique et citoyen de l’utilisation de l’argent du peuple. 

 
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