Tourisme

Maroc : 3 à 5 mois pour sauver la saison touristique !

Le Tourisme constitue l’un des secteurs les plus durement touchés par la crise du nouveau Coronavirus et tardera le plus à reprendre. L’absence d’intervention de l’Etat et de refonte de la Gouvernance du secteur risque, malgré sa résilience reconnue, d’entraîner son effondrement. Si aujourd’hui, la feuille de route 2020-2022 pour la relance du secteur du tourisme est prête, le marché international qui représente 70 % des recettes de l’économie touristique marocaine, reste en attente de visibilité pour programmer la destination Maroc pour la saison 2020/2021 qui démarre en novembre prochain.

Frappé de plein fouet par le nouveau Coronavirus, le tourisme marocain cherche à limiter les dégâts, en mettant l’accent sur de strictes mesures d’hygiène et en ciblant son marché local.  Depuis le début de la crise sanitaire, ce secteur-clé de l’économie nationale souffre déjà d’un manque à gagner de 8,3 milliards de DH, rien qu’entre mars et mai 2020, à cause de la pandémie. Sur le premier semestre 2020, la baisse des indicateurs d’activité avoisine les 60%.  Avec 550. 000 emplois directs, le secteur qui portait, jusque-là, la croissance économique du Royaume avec une contribution de 7% au PIB, est quasiment à l’arrêt depuis fin mars. C’est dire que le secteur, qui a multiplié les bonnes performances ces dernières années comme en 2019, durant laquelle les recettes de voyages ont atteint plus de  78 milliards de DH contre 73 milliards de DH une année auparavant, est en train de vivre sa plus grande crise depuis celle qui a suivi la guerre du Golfe en 1990. 

En effet, les mesures restrictives et de confinement mises en place pour contrer la propagation de la maladie, ont entrainé l’arrêt total et net de l’activité touristique. Résultat des courses : le secteur a connu un double choc de l’offre et de la demande, avec à la fois la chute soudaine et massive des arrivées touristiques et la fermeture des établissements et des activités associées au tourisme. Malgré les signaux prometteurs de reprise, l’activité reste limitée et il faudra du temps pour rétablir la confiance des voyageurs et retrouver les niveaux d’avant crise. Pour cela, les professionnels du tourisme qui ont remis leurs propositions à Nadia Fettah Alaoui, ministre du Tourisme, de l’Artisanat, du Transport aérien et de l’Economie sociale, depuis un peu plus d’un mois, attendent avec impatience, le plan de relance sectoriel promis par le gouvernement. On en sait un peu plus depuis sa présentation en Conseil de gouvernement, le jeudi 16 juillet. « Il est vrai qu’un document faisant état d’un budget de relance à hauteur de 16 millions de DH a circulé, mais tant que le Projet de loi de finances rectificative n’est pas adopté, on ne peut rien affirmer pour l’instant», indique une source proche du ministère du Tourisme. 

Deux scénarios d’évolution et de reprise

Mais, hormis le budget, la feuille de route du ministère de tutelle est déjà tracée, selon les indiscrétions. Le département de Nadia Fettah Alaoui a dressé deux scénarios d’évolution et de reprise. En termes d’arrivées touristiques aux postes frontières, le scénario le plus optimiste table, pour cette année en cours, sur une baisse de -70 %, ce qui signifierait que la destination Maroc ne recevrait que 4 millions de touristes (31 milliards de DH de recettes touristiques). Pour 2021 et 2022, ce chiffre atteindrait respectivement 11,8 millions de touristes (70 milliards de DH de recettes touristiques) et 13,2 millions de touristes (79 milliards de DH de recettes touristiques (contre 12,9 millions en 2019). Quant au scénario le plus pessimiste, celui-ci prévoit pour la destination Maroc 2,2 millions de touristes étrangers cette année, 8,8 millions l’année prochaine et 11,6 millions en 2021. Ainsi, tout compte fait, le tourisme national ne retrouvera ou ne se rapprochera de son niveau d’avant crise en termes d’arrivées  aux postes frontières (12,9 millions en 2019) qu’en 2021. 

Aujourd’hui, selon une source proche du ministère du Tourisme, «les établissements d’hébergement touristiques ont commencé à rouvrir, 16% sont déjà ouverts,un guide sanitaire, regroupant des recommandations permettant de garantir la santé et la sécurité des personnes a été élaboré, et des campagnes massives de tests des employés sont lancées ». Il faut souligner que des signaux encourageants de redémarrage de l’offre et de la demande sont là. Un baromètre réalisé par l’ONMT pendant le confinement dévoile que 70% des marocains avaient l’intention de voyager après le déconfinement, et 60% d’entre eux allaient attendre 1 mois pour le faire. Plusieurs compagnies aériennes étrangères ont manifesté leur intérêt de reprogrammer des vols sur la destination Maroc. Les tours opérateurs souhaitent également redémarrer leurs ventes vers le Royaume aussitôt les restrictions levées.


Abdellatif Kabbaj, président de la Confédération nationale du tourisme (CNT)

Voilà deux mois qu’on demande au gouvernement de donner de la visibilité aux compagnies aériennes quant à la date de l’ouverture des frontières pour qu’elles puissent réserver leurs slots ( le slot horaire correspond à l’accord obtenu par le transporteur pour opérer son programme de vol vers et au départ d’un aéroport donné, NDLR) , sinon elles iront voir ailleurs. Ceci est valable également pour les tours opérateurs qui, eux aussi, doivent préparer leurs offres. Quand on disait cela, on était déjà au tout début du mois de juin. Et à cette époque, le Maroc était déjà très en retard. Les destinations touristiques concurrentes ont très tôt communiqué sur la réouverture de leur espace aérien et de leurs hôtels. C’est le cas de la Tunisie, de l’Egypte, de la Turquie et même de la Grèce. En donnant ainsi de la visibilité aux tours opérateurs et aux compagnies aériennes, ces destinations ont réussi à remplir leurs carnets de commandes. Dans le tourisme, la programmation se fait à l’avance. Pour la saison d’été qui a commencé le 1er avril, c’est raté pour espérer accueillir des touristes en provenance des marchés émetteurs. Quant au tourisme interne qui pèse pour 30 %, je ne pense pas qu’on pourrait réaliser ce ratio même avec des tarifs attractifs eu égard, entre autres, au fait que les ménages sont aussi impactés. Admettons même que le marché national soit au rendez-vous, c’est peu pour remplir les hôtels. Il n’est pas exclu que certains hôtels ferment à cause du faible taux de remplissage. Que reste-t-il de 2020 ? C’est la saison d’hiver qui démarre le 1er novembre. Et pour qu’on puisse en profiter, l’annonce de l’ouverture des frontières doit se faire au courant de ce mois de juillet. Après cette  date, il nous restera plus que la prochaine saison d’été qui débutera le 1er avril 2021.

Malgré tout, le niveau d’incertitude reste élevé, eu égard aux caractéristiques de cette crise sanitaire. Quand aura lieu la réouverture des frontières ? Comment sera caractérisée la reprise et la vitesse de retour aux niveaux d’avant crise ? D’où et vers où voyageront les touristes  (taille et nationalité des marchés émetteurs) ? Difficile de répondre à ces questions, car cette crise est d’une ampleur sans précédent : des niveaux de baisse jamais atteints au cours des 50 dernières années, tous les pays du monde sont impactés et des opportunités à saisir en perspective du changement en profondeur dans les déplacements et dans la consommation du produit touristique. C’est pourquoi aux yeux des opérateurs du secteur, le contexte de cette crise inédite nécessite une intervention soutenue des pouvoirs publics pour impulser le redémarrage, sinon les impacts pourraient continuer à se faire sentir au moins jusqu’à fin 2023.

Le dispositif de relance présenté par Nadia Fettah Alaoui, lors du Conseil de gouvernement, se fixe comme objectif de préserver le tissu économique et l’emploi, d’accélérer la phase de démarrage du secteur à travers le tourisme interne, la commande publique ainsi que la promotion ciblée sur les marchés émetteurs. Du côté du ministère, l’on indique que « compte tenu de l’urgence qui pèse sur la relance de ce secteur fortement impacté par la crise Covid-19, la feuille de route 2020-2022  pour la relance du secteur du tourisme est prête et pourra être déployée dans les meilleurs délais ». Selon certaines sources, le plan de relance sectoriel du tourisme devrait être validé la semaine prochaine par le Comité de Veille Economique (CVE). A noter que l’aide de l’Etat sera sous condition, selon ce plan. Par exemple, les entreprises touristiques devraient préserver 80% de l’emploi (et le pouvoir d’achat des salariés) sur la période et réintégrer 60% des intérimaires dans un délai de 6 mois. Elles doivent aussi sauvegarder et renforcer les compétences, faire bénéficier les travailleurs non déclarés du régime de couverture sociale de la CNSS, mobiliser les acteurs autour de la nécessité d’intégrer le secteur formel (faire bénéficier les travailleurs indépendants du régime de couverture sociale) et payer les salaires des employés et au minimum 30% des factures fournisseurs.


Hamid Bentahar, Président du Conseil Régional du Tourisme (CRT) de Marrakech

Même s’il ne faut pas s’attendre à des miracles avec le tourisme interne, celui-ci reste important. Nous avons besoin aussi bien du marché international que du marché national. C’est une chance pour le Maroc de pouvoir compter sur son tourisme interne qui représente 30 %. C’est mieux que rien. D’ailleurs, il faut continuer à le développer. Ce taux de 30% dont tout le monde parle actuellement, n’est pas bien réparti. Les destinations balnéaires vont attirer plus les touristes marocains. Toujours est-il qu’il n’existe pas de secteur économique qui peut se passer de 70 % de son marché. C’est pourquoi, les professionnels attendent avec impatience l’annonce de l’ouverture des frontières. Autrement dit, dès qu’on aura cette visibilité on pourra lancer rapidement les ventes grâce au digital. Le plus tôt serait le mieux. Il faut savoir que les clients n’ont pas perdu l’envie de voyager, ils sont seulement empêchés aujourd’hui. Déjà avec l’ouverture partielle des frontières aériennes et maritimes du Maroc, nous avons une visibilité sur le segment des MRE.

Si les dés sont jetés pour la saison de l’été et le tourisme interne, le marché international reste en attente de visibilité pour programmer la destination Maroc pour la saison 2020/2021 qui démarre en novembre prochain.  Des charters, des brochures, des contrats hôteliers à signer, ne peuvent être programmés tant que le Maroc n’a pas confirmé sa stratégie d’ouverture finale.  Turquie, Egypte, Espagne, Grèce, Tunisie sont déjà sur le marché et les ventes de novembre et décembre sont en cours. Pour beaucoup de professionnels du secteur, «le  Maroc est à la traîne et la destination n’est ni proposée ni poussée par les réseaux de vente».  Si les occupations des hôtels sur juillet sont nulles et que août décolle trop faiblement, le tourisme national risque alors de le payer cher entre septembre et décembre.  Si cela se confirme, le tourisme marocain aura connu 9 mois de casse et un risque majeur sur les recettes en devises.  L’urgence est d’éclairer la date maximale probable d’ouverture pour programmer le Maroc et sortir du wait and see, pousser les opérateurs à relancer leurs ventes et enfin mettre l’ONMT au travail agressif de placement rapide de la destination.


Guillaume Géry, PDG de la société Hertz Maroc et en charge du développement des filiales de location en Afrique

La crise a directement impacté notre entreprise à hauteur de 90% de baisse de notre chiffre d’affaires.  Aujourd’hui, nous sommes toujours confinés puisque les frontières ne sont toujours pas rouvertes. Nous n’avons pour l’instant aucune visibilité sur le futur. Nous attendons le 10 août, la possible annonce de la réouverture des frontières. Nous pensons à un redémarrage en juin 2021 à hauteur de 75% de ce qui existait  avant le Covid et retrouver les 100% pas avant 2022. Pour l’entreprise du secteur, ça serait de moins dépendre du tourisme, se rééquilibrer et d’être un acteur un peu plus local et de l’activité B to B.  C’est en fait la stratégie globale actuelle du pays, qui, bien évidemment ne suffit pas. Il va falloir maintenir la mise à niveau de nos offres, stimuler notre demande, puis sur du plus long terme, réussir à lancer de nouveaux chantiers pour devenir plus attrayants face à un Maghreb qui se réveille avec l’ouverture des frontières. Tout un travail très compliqué nous attend et pour redémarrer la machine il va falloir travailler de façon groupée.  

 
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