Economie

Maroc-Espagne : Les nouveaux enjeux économiques

Le Maroc et l’Espagne ont su dépasser les difficultés politiques et diplomatiques et tentent aujourd’hui d’insuffler une nouvelle dynamique à leurs échanges commerciaux, favorisés par la proximité géographique. Pour le lobby économique espagnol qui a bien joué sa partition dans ce changement de cap de l’Espagne, c’est tout bénef ! Idem du côté marocain. Mais, les entreprises marocaines ont beaucoup à faire pour tirer leur épingle du jeu.  

Le nouveau partenariat économique bilatéral, soutenu par une relation politique désormais tournée vers l’avenir, devrait permettre aux deux pays de maintenir dans le temps une dynamique durable des échanges commerciaux et de mettre en œuvre des projets de développement communs à forte valeur ajoutée. C’est dans ce cadre, d’ailleurs, que s’est tenue à Casablanca, le 12 mai dernier, l’Assemblée générale (AG) du Conseil économique Maroc-Espagne (CEMAES), avec Chakib Alj, Président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM)  et  Antonio Garamendi, Président de la Confédération espagnole des organisations entrepreneuriales (CEOE), avec la participation, notamment, de l’Ambassadeur du Maroc à Madrid, Karima Benyaich, et de l’Ambassadeur d’Espagne à Rabat, Ricardo Diez-Hochleitner Rodriguez.  Pilier important dans le rapprochement des hommes d’affaires des deux pays et le renforcement de la coopération bilatérale, le CEMAES, créé à l’initiative de la CGEM et de la CEOE, est un conseil d’affaires qui rassemble des entrepreneurs et des organisations économiques du Maroc et d’Espagne souhaitant développer un espace économique commun. A l’issue de cette AG, Adil Rais et Clemente Gonzales ont été élus co-Présidents du CEMAES.   Aujourd’hui, les deux patronats sont plus que jamais décidés à construire quelque chose de différent, en intégrant en priorité le volet investissement (voir interview).

Espagne : le niveau de PIB pré-pandémie atteint en 2023

En Espagne, si l’activité avait bel et bien rebondi en 2021 avec une croissance de 5,1%, après le trou d’air de l’année 2020 (-10,8%), fortement affectée par la pandémie de Covid-19, 2022 devrait connaître une croissance de 4,5% d’après les données de la Banque centrale espagnole. Ce chiffre est bien en deçà (-0,9 point) des dernières prévisions publiées en décembre par l’institution, qui tablait alors sur une croissance plutôt de 5,4%. C’est également bien inférieur à l’objectif du gouvernement qui prévoyait, dans son projet de budget présenté à l’automne 2021, une croissance de 7 % cette année. Un chiffre jugé bien trop optimiste par les institutions économiques et qui sera révisé ce mois-ci par le gouvernement, dans le cadre du programme de stabilité budgétaire européen. «Depuis le 24 février, date de l’invasion russe en Ukraine, les indicateurs ont été fortement dégradés», explique la Banque d’Espagne. Le niveau de PIB prévu avant la pandémie ne sera retrouvé qu’au troisième trimestre de 2023, estime-t-elle. 

L’idée est bien sûr pour les entreprises espagnoles de s’appuyer sur le réchauffement des relations entre le Maroc et l’Espagne pour trouver un appel d’air ou renforcer encore leur présence sur un marché proche et connu, mais bien plus dynamique que le leur. L’économie marocaine, quant à elle, devrait enregistrer un taux de croissance entre 1,5% et 1,7% en 2022, au lieu d’une progression de 3,2%, comme prévu au niveau de la loi des finances, selon le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch qui répondait à une question centrale à la Chambre des Représentants sur «la situation de l’économie nationale à l’aune des changements climatiques et géostratégiques», lors d’une séance plénière consacrée aux questions orales mensuelles adressées au Chef du gouvernement.

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Mais pour l’économie espagnole, le Maroc est un pays de cocagne, où ses exportations bondissent de près de 20 % par an, dépassant celles de la France depuis une dizaine d’années. En effet, le Maroc est confronté à un lourd déficit commercial global… avec notamment l’Espagne. Cette dernière est parvenue ainsi depuis 2012, à chiper la place de premier fournisseur du Maroc à la France tout en étant son 2ème client.  Mais, l’Hexagone reste de loin le premier partenaire économique du Royaume en termes d’investissements directs étrangers (IDE) avec près de 31% du stock d’IDE au Maroc. En 2020, les IDE français (20 milliards de dollars) ont pesé presque quatre fois ceux de l’Espagne (5,6 milliards de dollars), 3ème investisseur au Maroc, derrière les Emirats Arabes Unis (14 milliards de dollars).

Par ailleurs, on note un flux régulier et croissant d’IDE du Maroc vers l’Espagne.  Mais côté échanges commerciaux entre l’Espagne et le Maroc, ceux-ci ont considérablement augmenté : c’est le paradoxe dans la brouille de quasiment une année entre les deux pays. Les relations commerciales n’ont aucunement souffert de la mésentente sur le plan politique. Et cela, ce sont les chiffres de l’ambassade d’Espagne au Maroc qui le confirment. En effet, selon ces statistiques, le Maroc a exporté en 2021 environ 7,3 milliards d’euros vers l’Espagne, en hausse de 14,6% par rapport à l’année précédente.  Au même moment, les importations marocaines en provenance du voisin ibérique se chiffraient à 9,5 milliards d’euros, enregistrant une croissance de 29,2%. 

En 2021, les exportations marocaines vers le pays ibérique étaient composées essentiellement de matériels de distribution électrique, de voitures, de vêtements, de poissons et de fruits.  Les importations portent, quant à elles, principalement sur les machines non électriques, les outils et appareils mécaniques, les matériaux de construction, les huiles végétales et les voitures. Ainsi, la balance commerciale demeure déficitaire vis-à-vis du premier partenaire commercial l’Espagne. Le déficit s’établit à 2,15 milliards de DH en hausse de 74,4% par rapport à 2020. Globalement, ces chiffres records enregistrés en 2021 représentent des quotes-parts de 3% et 2,1% de la part mondiale des exportations et des importations de l’Espagne. En comparaison avec la France, le Maroc enregistre un excédent commercial vis-à-vis de l’Hexagone : celui-ci était par exemple de 6,6 milliards de DH en hausse de 4,4 milliards de DH par rapport à 2019. Mais si ces chiffres avec l’Espagne s’expliquent en partie par d’importantes expéditions de produits pétroliers depuis les ports espagnols, ceux avec la France s’expliquent également par l’export automobile.

17 000 entreprises espagnoles concernées par le marché marocain

Côté entreprises, si quelques 800 sociétés espagnoles sont présentes au Maroc, ce sont pas moins de 17.000 entreprises ibériques qui ont des relations commerciales avec le Royaume. Elles sont quasiment dans tous les secteurs.

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L’industrie automobile nationale qui attire les leaders mondiaux du secteur, témoigne en effet de l’intérêt grandissant des entrepreneurs espagnols à l’investissement au Maroc.  Alors que l’installation de l’usine Renault de Tanger a propulsé l’arrivée d’une multitude d’équipementiers, le groupe espagnol Bamesa, par exemple, a implanté dans la foulée une usine de découpe d’acier à Tanger, pour un investissement de 20 millions d’euros, pour servir le marché marocain et surtout l’usine Renault.  Toujours dans l’automobile, l’entreprise Ficosa est aussi une énième success story en provenance du voisin ibérique, ayant inauguré un centre de production au Maroc pour un investissement total de 50 millions d’euros.  La spécialisation de ces groupes dans des activités de pointe et à forte valeur ajoutée, confirme la confiance de ces entreprises dans la plateforme industrielle nationale dont l’agilité, la flexibilité et la résilience constituent des atouts majeurs pour booster la croissance des entreprises accueillies et préserver leur compétitivité en cette conjoncture assez particulière.  

Le textile-habillement fait également partie des secteurs les plus prisés par les Espagnols, qui constituent les premiers investisseurs étrangers dans le secteur du textile et du cuir au Maroc. Dans ce secteur où l’optimisation des coûts et la qualité totale sont les maîtres-mots, les entreprises du voisin ibérique ont consolidé leur présence industrielle et noué des modèles économiques en mesure de consolider leurs positions concurrentielles.  C’est le cas, par exemple, de Zara-Inditex, qui représente d’importants volants d’affaires pour le secteur de la confection.  En effet, ce sont près de 300 entreprises de textile de la région de Tanger qui réalisent entre 60 et 70% de leur chiffre d’affaires avec ce groupe espagnol. Il y en a même qui travaillent exclusivement pour elle. La présence d’Inditex au Maroc date de plusieurs années, mais c’est surtout depuis 2009 que le groupe de La Corogne a décidé de renforcer sa présence au Maroc. Aujourd’hui, le Maroc est le second pays d’origine des approvisionnements du groupe, après la Chine. Cette évolution n’est pas due au hasard puisque le groupe espagnol était à la recherche de lieux de production situés à 24 heures de transport de ses boutiques espagnoles et à moins de 48 heures du reste de l’Europe. 

Au niveau touristique, plusieurs groupes espagnols sont attirés par le potentiel énorme que recèle le Royaume en la matière, à l’instar du groupe Barcelo ou d’Iberostar qui détient de nombreux hôtels dans plusieurs villes du Royaume. Le partenariat dans ces secteurs est promis à de belles perspectives, vu la position de l’Espagne qui figure parmi les principaux marchés émetteurs pour le tourisme national.

La présence des entreprises espagnoles s’étend même aux secteurs dits d’avenir, où la transition vers une économie verte et moins polluante est érigée en tête des priorités. Parfaite illustration de cette orientation, l’inauguration par Siemens Gamesa d’une nouvelle usine de pales d’éoliennes portant sur un investissement de 1,1 milliard de DH.

Dans l’agriculture, si le secteur espagnol a toujours eu le Maroc comme l’un de ses plus féroces concurrents en Europe, ces dernières années, de plus en plus d’hommes d’affaires espagnols du secteur se sont installés dans le Royaume et y ont implanté leurs entreprises agricoles. Ces dernières sont désormais présentes dans de nombreuses régions du Maroc. Cependant, elles se concentrent à deux endroits : la région du Gharb et surtout la vallée du Souss.  Ces entreprises cultivent les haricots verts, des poivrons, des courgettes ou des fraises, c’est-à-dire des produits à forte valeur marchande, partant en Espagne depuis Agadir. En plus de ces fruits et légumes, elles cultivent des fleurs, des noix, du riz et même des olives.  Les avantages que le Maroc offre sont évidents :  un terrain plus abordable (bien qu’il soit sur une base locative : les étrangers ne peuvent pas l’acheter), une main-d’œuvre beaucoup moins chère, un climat favorable, de bonnes communications et les accords commerciaux dans de nombreux pays du monde.

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Aujourd’hui, la présence des entreprises espagnoles au Maroc s’accroît dans des secteurs tels que l’énergie, le traitement de l’eau et les infrastructures. Et le marché va croître au cours de la nouvelle étape sur laquelle les deux pays se sont mis d’accord.  Déjà, du 13 au 16 juin, seront organisées des rencontres entre les entreprises espagnoles avec des professionnels du secteur agroalimentaire marocain. 

Quatrième fournisseur de produits pétroliers du Maroc avec plus de 1,5 milliard de DH et premier de gasoil et de fuel oil (8,6 milliards de DH), le voisin ibérique est parti pour renforcer ses expéditions sur ce segment depuis ses ports. En effet, l’Espagne va prochainement acheminer le gaz vers le Maroc. Alors qu’Alger a cessé fin octobre d’alimenter le Maroc en gaz via le Gazoduc Maghreb Europe (GME), sur fond de crise diplomatique entre les deux pays autour du différend du Sahara marocain, l’Espagne a décidé de permettre au Maroc de se fournir à travers ce même tuyau reliant l’Algérie à l’Espagne via le Maroc.  Concrètement, Rabat va pouvoir acheter du gaz naturel liquéfié (GNL) sur les marchés internationaux, se le faire livrer en Espagne où il sera regazéifié avant d’être acheminé au Maroc via le GME. 

En tous les cas, les opérateurs marocains se doivent d’être plus offensifs sur le marché espagnol pour réduire le déficit commercial avec le voisin ibérique, surtout qu’il y a à faire, à en croire Euler Hermes. Selon ce dernier, dans un contexte de normalisation des échanges internationaux, la demande étrangère additionnelle adressée au Maroc cette année s’élèverait à environ 28,3 milliards de DH et plus d’un quart des gains potentiels à l’export à saisir pour les entreprises marocaines se trouvent en Espagne (+4,61 milliards de DH) et en France (+3,67 milliards).

C’est dire qu’au sortir d’une crise économique et sanitaire sans précédent, le Maroc et l’Espagne qui partagent de profonds liens historiques, se voient offrir de belles perspectives au niveau de leur partenariat économique et commercial, ce qui ferait la part belle aux opérateurs économiques des deux pays, en partageant les fruits d’une coopération économique durable et fructueuse.

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Logique que le lobby économique espagnol ait bien joué sa partition dans ce changement de cap de l’Espagne et il compte peser encore de son poids pour pousser son gouvernement à entretenir de bonnes relations avec le Maroc et, ainsi, protéger ses intérêts économiques. Les grandes multinationales espagnoles entendent bénéficier de cette nouvelle embellie dans les relations bilatérales, notamment au niveau des futurs grands projets que le Maroc est en train de lancer dans les provinces du sud et dans d’autres régions du Royaume. Une circonstance qui ne se donne pas en Algérie dont l’économie est toujours fermée aux investissements étrangers et où la présence espagnole est toujours faible.

 
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