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Meryem Alaoui : naissance d’une romancière

Sorti le 23 août en France, présenté le 5 septembre à Casablanca, le premier roman de Meryem Alaoui Mdaghri, « La vérité sort de la bouche du cheval » est sélectionné pour les Prix Stanislas du premier roman, pour celui du roman Fnac, remis ce vendredi 14 septembre et, cerise sur le gâteau, pour le Goncourt 2018. Lecture. 

Tahar Ben Jelloun avait annoncé la sortie du roman il y a quelques mois, comme il l’avait fait l’année dernière pour Leïla Slimani. « L’enfant » de Meryem Alaoui fait partie de la cuvée de la rentrée littéraire en France. Pas moins de 567 nouveaux romans dont 94 premiers romans. La concurrence sera donc plus que rude pour les grands prix, Goncourt, Renaudot, Fémina…. Les chanceux qui ont lu le livre, en exclusivité, ne tarissent pas d’éloges. Salim Jay, un fin connaisseur des arcanes de l’édition parisienne, note que « La vérité sort de la bouche du cheval », premier roman de Meryem Alaoui qui paraît chez Gallimard est tout à fait remarquable. Le texte le plus généreux et intrépide de la littérature marocaine de langue française depuis longtemps. »

Au delà de la prostitution !

Dommage que les premiers « critiques» le réduisent à la prostitution ! Un thème vendeur avec le contexte des faits divers «étalés sur nos unes, des reportages TV sur Marrakech et Agadir, la sortie du film de Nabil Ayouch et son interdiction, « Much Loved », du livre de son actrice Loubna Abidar… Le point Fr, republiant la lecture en diagonales de TBJ , sorti déjà sur le 360.ma, évoque au chapeau « le premier roman de Meryem Alaoui sur les bas-fonds de la prostitution marocaine.. » ! Mais « la vérité sort de la bouche du cheval » reste avant tout une fiction, bien construite, qui nous plonge dans l’imaginaire romanesque. L’auteure n’a pas choisi délibérément de pondre un pamphlet, un texte pour plaire à une curiosité occidentale toujours hantée par les odalisques des harems imaginaires ! Son opus est né des bruissements d’un quartier Casablancais, Mers Sultan, avec ses troquets, ses marchandes de sexe, ses gardiens de jour et de nuit et ses clients de cafés, attablés au long de la journée à jouer aux mots croisés, à relire le même journal une infinité de fois ou à regarder les interminables matchs de foot…

Ecrit sous forme d’un journal oral, Jmiaa, l’héroïne, s’adresse à la lectrice et au lecteur en les tutoyant. Une intimité se crée entre eux. On devient nous aussi à notre insu l’un des personnages ! Et on écoute les mille et une histoires de Jmiaa dont son fabuleux destin. Le destin d’une fille de Casablanca, originaire de Berrechid, qui, après un mariage raté et une fille sous les bras, Samia, sombre dans l’univers glauque de la prostitution bon marché et «populaire ». Dès la première page, elle plante le décor, «quand j’ai fini de travailler, je ne perds pas de temps. Je baisse ma jellaba, y lisse un pli et j’attends. Que celui du moment remonte sa braguette ou fume sa cigarette. Et qu’il descende pour que je retourne à ma place et en harponne un autre. » Insipide et première phrase dite à Halima, une nouvelle que Jmiaa initie au métier. L’histoire de cette dernière est racontée un peu plus loin.  Et ainsi de suite avec d’autres personnages, Houcine le maquereau, Bouchaib l’amant, Hamid le gardien du garage, Bachir l’épicier, Okaicha la voisine, Aziz le flic, Anissa et Mbarka les folles…et les filles Samira, Rabia, Fouzia, Hajar…Le quotidien de tout ce beau monde est raconté avec une observation pertinente et beaucoup d’humour. On navigue entre tragédie et comédie, rires et pleurs.

Du récit réaliste on plonge dans le conte de fée avec l’arrivée de Bouche de cheval. Chadia, de son vrai nom, est une jeune réalisatrice maroco hollandaise qui prépare son premier long métrage. Elle décide de le tourner dans les décors du quartier où habite sa tante. Mers Sultan, le marché, les rues adjacentes, le bar Pommercy…Elle contacte , via Hamid le gardien, Jmiaa pour la briefer pour que son histoire colle à la réalité. Sorties, beuveries et le scénario est ficelé. Mais Bouche de cheval n’arrive pas à trouver l’actrice idéale. Elle demande à Jmiaa de jouer le rôle. On suit le tournage et l’une des scènes les plus cocasses avec Mbarka qui perturbe pendant un moment le tournage…

Le film bouclé, Jmiaa retourne à ses habitudes et à son monde. Le temps passe et un de ces jours, elle reçoit un coup de fil de Bouche de cheval. Le film est sélectionné dans un festival aux Etats-Unis. La réalisatrice et l’actrice font le voyage ensemble. Jemiaa découvre éblouie le pays de l’oncle Sam et décide d’y vivre. Le film est primé à San Francisco et Jemiaa devient une star! De retour à Casa, elle est contactée par un producteur mexicain pour interpréter le rôle d’une belle orientale dans une série. Jemiaa est la première actrice arabe à jouer dans une novela… Le livre se referme sur le tournage au Mexique de l’un de ses épisodes et par cette chute: « Personne n’a compris comment j’ai fait pour apprendre vite. Et pourtant, depuis le début je leur dis que j’ai l’esprit vif. » The end !

On est loin de l’histoire, véridique celle là, de Raja Bent Elmellah, Raja Bensalem, premier rôle dans « Raja», 2003, de Jacques Doillon qui après avoir décroché le prix de la meilleure actrice au Festival international du film de Marrakech et le prix Marcello-Mastroianni à la Mostra de Venise, est retourné à Jemaâ El Fna pour y vendre des cigarettes au détail !

Un roman saisissant

Construit à la « Mille et une nuits», au long de 251 pages, avec un journal qui débute au mois de juin 2010 et qui se clôture au mois de mai 2018, les genres se télescopent, entre journal, scénario, synopsis…, et des histoires des uns et des autres qui se suivent, le lecteur est happé par ce monde mi réel mi imaginaire. Ces 8 ans que l’auteur a vécus dans le quartier restent aussi marqués par le retour du religieux, l’immigration clandestine, le terrorisme et les manifs liées au « printemps » arabe… 

Loin des clichés habituels, sans tabous et sans jugement moral, « La vérité sort de la bouche du cheval » reste en fin de compte un roman populaire qui, avec sa gouaille casablancaise, inspirée du fond de la jarre du dialecte marocain, et ses trouvailles stylistiques, vient enrichir, ô combien, la littérature dite francophone. Premier essai, premier coup de maître ! Une romancière est née, bienvenue dans la République… des Lettres ! 

 
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