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«Mon histoire avec les médicaments», une autobiographie de feu Omar Tazi [Chapitre 7]

Son enfance, sa bataille contre le trust des multinationales qui dominaient le marché des médicaments à l’époque, son militantisme pour l’industrie pharmaceutique marocaine, plus épanouie, innovante et compétitive, son engagement pour un entrepreneuriat citoyen et responsable…« Mon histoire avec les médicaments », l’autobiographie de feu Omar Tazi publiée à titre posthume, véhicule des leçons aussi bien dans le champ managérial que sur le registre des valeurs morales et citoyennes ou encore pour les perles sur l’histoire économique et sociale du Royaume, que vous propose CHALLENGE, à travers 19 chapitres. Capitaine d’industrie, feu Omar Tazi qui nous a quittés le 20 mars 2020, faisait partie de cette génération de grands industriels qui ont contribué à façonner l’industrie marocaine.

La première pierre à l’édifice


Quelques heures après l’heureuse nouvelle de l’acceptation de mon dossier par le ministère de la Santé, je commençais déjà mes repérages en quête d’un terrain convenable pour la future usine de Sothema. Lilly refusa qu’elle soit installée à la zone industrielle d’Aïn Sebaâ en raison de son taux de pollution élevé. Je prospectais donc la banlieue de Casablanca, surtout des régions vierges qui devinrent plus tard d’importantes zones industrielles. Mon dévolu se jeta sur la zone agricole d’Ouled Saleh dans la région de Bouskoura. Aucune industrie n’y était encore établie. Je commençais par acheter un terrain de deux hectares au prix de 13 DH le mètre carré. Un an plus tard, j’acquérais un second terrain collé au premier au prix de 17 DH le mètre carré. Quelques années plus tard, j’augmentais la superficie par l’acquisition d’un troisième terrain de deux hectares situé à côté des deux premiers. Cette dernière parcelle était la propriété de feu professeur Habib Kerdoudi, une sommité marocaine en neurochirurgie. Malgré une quasi-inflation des prix à cette époque, feu Kerdoudi réclama seulement 50 DH le mètre carré. Une bonne affaire pour moi. Lilly dépêcha au Maroc son principal architecte et lui fixa une mission urgente : valider le terrain et préparer un plan de construction en prenant en compte la taille prévue pour l’usine qui était de 2600 mètres carrés. Rigoureux sur le respect de la sécurité, de l’environnement et des aspects liés à l’ingénierie du futur bâtiment, l’architecte de Lilly faisait preuve d’une grande flexibilité. Il aimait se faire appeler le problem solver. Son dicton favori : il ne sert à rien de discuter des problèmes à moins qu’on parle de leur solution.

Une fois le plan élaboré, le chantier démarra. J’assistais à toutes les réunions avec les sociétés de construction représentant divers métiers. Ces dernières découvraient avec plaisir les spécificités d’un établissement pharmaceutique. Souvent à la fin de nos réunions, les représentants de ces entreprises m’exprimaient leur gratitude car, en travaillant sur le projet de Sothema, ils devinrent spécialistes des bâtiments pharmaceutiques. La plupart d’entre eux édifièrent les usines des confrères ouvertes des années plus tard. Parmi ces spécificités figurent, par exemple, l’interdiction  formelle d’utiliser du bois ou tout autre matériau créateur de particules quand on construit une salle blanche [1]. Les murs ne devaient pas non plus reléguer de particules dans l’air. Les surfaces devaient être lisses, de manière à être facilement nettoyables. Les hauts des murs menant vers les plafonds, ainsi que les parties basses menant vers le plancher devaient être arrondies afin d’éviter les contaminations. Les surfaces murales, le plafond, ainsi que l’ensemble des matières présentes dans ce genre de pièce devaient résister à des nettoyages par vaporisation de peroxyde d’hydrogène, couramment utilisé pour décontaminer l’ensemble d’un local de manière efficace et sans résidu. L’architecte de Lilly validait rapidement les différentes phases du projet. À ma grande satisfaction, le chantier avançait plus vite que je l’espérais. Mon enthousiasme ne dura pas longtemps puisque des obstacles inattendus émergèrent.

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La région d’Ouled Saleh n’était pas raccordée aux réseaux d’eau et d’électricité. Elle n’était pas non plus connectée au réseau des télécoms. Pour remédier à cela, je proposais aux patrons des quelques petites unités industrielles de la région de Sidi Mâarouf-Bouskoura de créer une association. Ils acceptèrent et m’élurent unanimement président. Avec cette nouvelle casquette, je me rendis à Rabat pour rencontrer Abdessalam Ahizoune, actuel PDG de Maroc Telecom, afin de lui demander la liaison au réseau téléphonique. Ahizoune était à l’époque un jeune cadre des PTT (Postes, télégraphes et téléphones). Lors de notre rencontre, il fut charmant et coopératif. Pour accélérer ma requête, Ahizoune me proposa de construire une centrale téléphonique à Bouskoura et une deuxième à Sidi Mâarouf. Il me promettait qu’une fois que ces deux bâtiments seront achevés, le raccordement au réseau des PTT se fera rapidement.

Effectivement, chacun de nous remplit sa part du deal et Ouled Saleh était enfin connectée au réseau téléphonique. Restait le problème de l’eau et de l’électricité. Pour le régler, il fallait l’intervention du gouverneur de Nouaceur auprès de l’Office National de l’Électricité. Moins réactif qu’Ahizoune, le gouverneur traîna les pieds pour répondre à ma demande. Je décidais alors de l’agacer par des réclamations répétitives. J’étais persuadé qu’il finirait par régler mon problème ne serait-ce que pour se débarrasser de moi. Ce fut le cas. Après des mois de rupture, le chantier put redémarrer.


[1] Une salle blanche est une pièce où la concentration particulaire est maîtrisée afin de minimiser l’introduction, la génération, la rétention de particules à l’intérieur, généralement dans un but spécifique industriel ou de recherche scientifique. Source : Wikipédia.

 
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