Interview

Najat Vallaud-Belkacem : « Restituer l’entreprise au cœur de la cité »

Najat Vallaud-Belkacem, directrice générale déléguée en charge du département « Etudes internationales et innovation sociale » d’Ipsos.

Depuis le 1er mars 2018, Najat Vallaud-Belkacem dirige le département « global affairs »  d’Ipsos qui se destine aux institutions internationales publiques, aux entreprises mais aussi à la communauté scientifique. L’ancienne ministre française de l’Éducation (de 2014 à 2017) revient dans cette interview sur ce projet de développement de l’Institut de sondage qu’elle trouve aussi ambitieux que passionnant.

Challenge : Voilà pratiquement une année, depuis le 1er mars 2018, que vous dirigez les études menées par Ipsos qui se destinent aux ONG et aux institutions et fondations internationales. En quoi consiste ce projet de développement qui vous éloigne un peu de la politique ? 

Najat Vallaud-Belkacem : J’ai rejoint l’institut Ipsos, qui est une grande entreprise multinationale, l’une des leaders dans le monde des études, parce que je voulais consacrer du temps à mieux comprendre, à l’échelle du monde, les phénomènes de société qui impactent aussi bien les citoyens que les consommateurs. Tout décideur, qu’il soit à la tête d’une entreprise, d’un gouvernement, d’une ONG ou d’une organisation internationale, a besoin de comprendre les ressorts qui animent les comportements des individus et des sociétés. Ipsos s’attache à fournir cette compréhension dans près d’une centaine de pays dans le monde, ce qui est absolument passionnant. Oui c’est un véritable pas de côté par rapport à la vie politique intense qui était la mienne ces dernières années, mais en réalité loin de m’éloigner de mes centres d’intérêt; cela me permet de les creuser davantage.

Votre mission, qui n’a plutôt rien à voir avec les sondages politiques, semble à la fois ambitieuse et  passionnante. En fait, quelles sont les questions sur lesquelles vous travaillez ?

Dans un groupe d’études comme celui-là, les missions sont en réalité très diverses. Certains parmi nous se consacrent à répondre aux besoins du secteur privé avec des études marketing ou des études de produits, par exemple. D’autres font, en effet, des sondages d’opinion qui peuvent être utiles aussi bien aux entreprises qu’aux gouvernements. Pour ma part, je dirige notre département « global affairs » qui se concentre, en effet, sur les enjeux et défis des organisations internationales, ONG, fondations publiques ou privées, c’est-à-dire tous ces acteurs qui ont un rôle et un champ d’action multinational et qui sont amenés à intervenir dans des sociétés et des contextes extrêmement variés qu’il est important de comprendre en profondeur pour rendre leurs politiques ou leurs campagnes plus pertinentes. Pour eux, nous faisons des études d’impact, de l’accompagnement à la communication, de l’évaluation de politique publique, etc.

Est-ce à dire que c’est cela qui vous a amenée à travailler avec la communauté scientifique dans le cadre de votre mission à Ipsos ? Quelles sont les disciplines de ces scientifiques ? Et quel est leur contribution dans les projets de votre département ?

Tout a fait. Là encore, je crois que vu de l’extérieur on ne perçoit pas forcément à quel point les métiers et les compétences  dans une entreprise comme la nôtre sont divers et de plus en plus nombreux. Pour analyser et comprendre les individus, les sociétés, les marchés, nous nous appuyons en fonction des sujets aussi bien sur des statisticiens ou des sociologues, que sur des économistes, des historiens, des neuro scientifiques, des weblisteners, ou encore des spécialistes de l’analyse d’images satellitaires. Une entreprise comme celle-ci est dans le fond un vaste laboratoire de recherche qui croise ses données et ses analyses pour fournir l’approche la plus complète possible.

Quelles sont aujourd’hui les institutions internationales publiques qu’Ipsos accompagne dans ce cadre ?

Elles sont nombreuses mais pour en citer une dans chaque grand secteur on pourrait évoquer la Banque mondiale, la fondation Bill et Melinda Gates ou encore le Haut commissariat des Nations-unies pour les réfugiés…

Généralement, quels sont les types de difficultés que rencontrent les ONG, institutions et fondations internationales dans la définition de leurs politiques, l’appréciation de l’efficacité de leurs actions ou encore pour une meilleure connaissance des citoyens ?

Il y a tout simplement des difficultés d’ordre culturel. D’une société à une autre, vous le savez, les codes ne sont pas les mêmes et le même message (par exemple pour lutter contre une pandémie) adressé de la même manière sera reçu de façon très différente. Si l’on veut voir concrètement cette maladie reculer et qu’il faut pour cela que la population adopte tel ou tel comportement, on doit pouvoir être efficace dans ses campagnes. Et pour cela, rien de mieux que des enquêteurs de terrain installés dans les pays concernés pour répercuter correctement les codes sociaux et culturels à considérer.

Il y a ensuite la difficulté naturelle à évaluer l’impact des décisions ou des investissements que ces organisations internationales prennent à l’autre bout du monde. En particulier, dans des pays en crise où l’Etat est absent ou si fragile qu’il ne peut même pas fournir de données basiques sur les besoins de sa population en matière de santé d’éducation ou d’infrastructures. C’est là que nous intervenons…

Les entreprises sont un autre public du département que vous dirigez. Qu’est-ce qu’Ipsos entend apporter à cette cible en termes d’innovation sociale ? Pensez-vous que les entreprises gèrent bien leurs relations avec leur environnement ?

Je crois que les entreprises comprennent de plus en plus que leurs consommateurs sont également des citoyens, qui portent sur elles un regard et des attentes de citoyens. Et qu’il est donc complètement dans leur intérêt de marquer leur environnement d’une empreinte positive grâce à une forme de responsabilité d’entreprise. Il en va bien sûr de leur image auprès des consommateurs (et on sait combien c’est important) mais aussi de leur attractivité à l’égard des futurs employés qu’elles chercheront à recruter ou encore de leur durabilité à long terme, car on défendra toujours plus une entreprise dont on a le sentiment qu’elle a, en plus de créer de la richesse, contribué à améliorer le sort d’un quartier, d’un pays, ou de la planète.

Le problème de ce qu’on appelle la RSE c’est que (dans tous les pays) parfois cela s’est apparenté à de la communication bien plus qu’à une action véritable. Et que rares sont les évaluations réelles et sérieuses permettant de valoriser véritablement les entreprises qui en font et d’étudier l’impact de cette action, ce qui pourrait donner envie à leurs concurrentes de s’y mettre à leur tour. Nous avons en effet, au sein d’Ipsos, développé cette spécialité que nous appelons « corporate sustainability » qui permet de ne pas se contenter d’une information sur l’investissement social d’une entreprise mais de mesurer pour elle l’impact dudit investissement sur le quartier, le territoire, la population qui en a été bénéficiaire. Je vois là une vraie occasion de valoriser davantage les entreprises qui méritent de l’être, d’inciter les autres à en faire autant, d’alimenter en idées les pouvoirs publics, car ces investissements innovants peuvent inspirer, à terme, des politiques publiques généralisées, et enfin de restituer l’entreprise au cœur de la cité, comme l’acteur vital qu’elle n’a jamais cessé d’être et qu’il faut qu’on apprécie à nouveau comme tel.

 

 
Article précédent

Crédit du Maroc : hausse de 61,2% du RNPG en 2018

Article suivant

Un nouveau laboratoire pharmaceutique à Ouled Salah