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Notariat : Une nouvelle loi entre craintes et promesses

Mustafa Ramid intervenant à Marrakech lors de la 1ère rencontre nationale entre la Cour de cassation et la Chambre nationale du notariat moderne.

Attendue depuis plusieurs années, la loi réglementant la profession de notaire entrera en vigueur dans quelques jours. Elle est pourtant loin de faire l’unanimité auprès des principaux concernés.

C’est le 23 novembre courant que la loi 32-09, relative à l’organisation de la profession de notaire, commencera à prendre effet. Et le ministre de la Justice et des Libertés, El Mostafa Ramid s’y est engagé. « tous les décrets d’application seront prêts avant cette date », a-t-il assuré lors de la rencontre organisée conjointement par la Cour de Cassation et la Chambre Nationale du Notariat Moderne au Maroc (CNNMM), les 2 et 3 novembre à Marrakech. Cela alimente les craintes des notaires qui ont peur d’être mis devant le fait accompli, avec des décrets qui seraient produits à la va-vite et sans concertation.
Et cela s’est traduit dans les recommandations émises à l’issue de ce colloque, notamment à travers la modification de plusieurs articles controversés. L’article 27 stipule que «le notaire est responsable de toutes les déclarations et mentions erronées qu’il aurait insérées dans les actes et écritures en connaissance de cause ou dont il aurait été en mesure d’en avoir connaissance». Les congressistes recommandent de remplacer ce paragraphe par « le notaire est responsable de tout ce qu’il insère dans les actes et écritures, à partir des documents qui lui sont présentés ». Dans l’article 37, la loi stipule que «le notaire s’assure, sous sa responsabilité, de l’identité et de la qualité des parties, de leur capacité de disposer, et de la conformité à la loi des documents produits». Une recommandation propose de limiter la vérification à l’identité, la qualité des parties et leur capacité à disposer «à travers les documents d’identité utilisés au niveau national et international selon le code civil». Cela permet de limiter la responsabilité des notaires au contenu des documents qui lui sont présentés et non à la vérification de leur véracité, qui ne relève pas de leur compétence.
Dans le même objectif de mieux encadrer la responsabilité des notaires, une recommandation propose de garder une partie du paragraphe 4 de l’article 34, qui interdit à tout notaire «de passer des actes concernant des biens qu’il savait inaliénables », en retirant la mention suivante : «ou qui ne pourraient être aliénés qu’après l’accomplissement de certaines formalités non réalisées ».
D’autres articles sont visés par les propositions de modification. Il s’agit notamment de l’article 46, qui concerne les documents à annexer à l’acte rédigé, ainsi que des articles 40 et 49, qui concernent l’établissement et la validité des actes.
Les recommandations concernent aussi la mise en place d’un vrai régime d’assurances visant le dédommagement immédiat des clients en cas de problème et l’accélération de la création de l’institut de formation des notaires. Sur le plan institutionnel, elles préconisent le renforcement de la collaboration avec le cabinet du procureur général, ainsi que la mise en place d’une commission mixte entre la Cour de cassation et la CNNMM, qui aura pour mission de suivre l’évolution de la profession.

 

Une loi controversée
Si les responsables de la CNNMM affichent leur enthousiasme vis-à-vis de cette loi, les notaires présents nourrissent déjà de grandes inquiétudes. La nouvelle réglementation prévoit, en effet, plus de contrôles renforcés, des sanctions disciplinaires, civiles et pénales renforcées en cas de faute ou de fraude. Elle leur assigne, en même temps, plus de responsabilités (véracité des documents fournis, aptitude physique et mentale des parties, etc.). Et cela ne manque pas d’attiser les craintes des notaires. « Nous serons désormais menacés de sanctions civiles et pénales à chaque acte que nous rédigeons, car il y a beaucoup de paramètres que nous ne maîtrisons pas», assure un notaire de la place.
Elle prévoit aussi l’ouverture de la profession aux autres professionnels du droit. Les notaires marocains, au nombre de 900 aujourd’hui, craignent une invasion de leur champ d’action par d’autres corps de métiers. Outre les conservateurs fonciers, qui disposent déjà d’une passerelle d’accès à cette profession, les inspecteurs des impôts chargés de l’enregistrement, les magistrats de premier grade, les avocats près la Cour de cassation, ainsi que les professeurs de droit. Tous seront dès lors dispensés de concours et devront juste effectuer un mois de stage dans une étude notariale. « Au lieu de protéger la profession, la nouvelle loi est en train de l’ouvrir à plusieurs autre professions, alors que celles-ci restent fermées aux notaires», déplore un autre notaire de la ville de Marrakech. Certains de ses confrères sont allés jusqu’à traiter cette loi d’anticonstitutionnelle.
Et dans un souci de transparence, l’argent des transactions devra, dès l’entrée en vigueur de cette loi, être consigné auprès de la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG), alors qu’il était jusque-là déposé par les notaires auprès des banques de leur choix. Selon ces derniers, cette institution « ne dispose pas des moyens nécessaires pour traiter toutes les transactions réalisées par les notaires du Maroc avec la réactivité nécessaire». De plus, le fait d’assurer aux banques un flux de liquidités régulier permettait jusque là aux notaires de jouir d’importants avantages en contrepartie, ce qui n’est désormais plus possible. Cela explique, en partie, leur mécontentement.

 

Organiser la profession
Cette loi était attendue depuis longtemps pour encadrer la profession, qui était jusque là régie par une loi coloniale datant de 1925. «Le notariat doit consolider sa position parmi les métiers juridiques», soutient Driss Dahak. Pour Amine Zniber, vice-président du Bureau régional de Rabat, «il s’agit d’une bonne chose, parce que cette loi va structurer la profession. Le notariat est comme une maison qu’il faut bien protéger». Mais il en appelle à l’adhésion de ses confrères pour que cette transition réussisse : «il faut maintenant traduire cela dans les faits. Sans la mobilisation des gens de la profession, rien ne va changer».
La loi 32-09 met en place l’Ordre national des notaires. Ce dernier doit regrouper «obligatoirement l’ensemble des notaires au niveau des ressorts des Cours d’appel». Elle renforce aussi le contrôle de la profession, dans l’objectif de réduire les erreurs et autres abus dont les clients peuvent faire les frais. Et la formation des notaires n’est pas en reste. Ces derniers devront désormais, après avoir réussi le concours d’accès, suivre quatre années de formation. Celle-ci consiste en une année au sein de l’institut de formation spécialisé qui reste à créer, ainsi que trois autres en stage pratique dans une étude notariale.

 

LE CHIFFRE : 

900

C’est le nombre de notaires au Maroc actuellement. Ce dernier pourrait se multiplier rapidement avec l’ouverture de la profession aux pratiquants d’autres métiers juridiques.

 

 

 
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