Interview

Noureddine Boutayeb : « le chemin de la généralisation du préscolaire est bien entamé »

La «première enfance», est cette transition qui prépare l’être humain à apprendre à vivre en société. Noureddine Boutayeb est pleinement conscient de cette responsabilité sociétale et stratégique. Il est avant tout armé de volonté et de bon sens pour relever ce défi. Son expérience diversifiée de terrain, dans le privé, puis dans le public, et actuellement dans la société civile, l’immunise contre les dogmes. Nommé à la tête de la « ruche » FMPS (Fondation Marocaine pour la Promotion de l’enseignement préscolaire), en 2021, sa démarche a déjà commencé à donner de bons fruits. Challenge est allé à la rencontre de cet homme « génétiquement modeste » et bien connu pour son esprit innovateur. 

Challenge : Le «préscolaire» a une place centrale dans la vision stratégique de réforme du système d’éducation nationale. Existe-t-il aujourd’hui, un état des lieux de la situation du préscolaire aux niveaux national et régional/local ?  

Noureddine Boutayeb : Le préscolaire joue un rôle important dans le développement psychomoteur, cognitif et social de l’enfant et constitue la base d’une éducation réussie. Le préscolaire est considéré aujourd’hui, comme une étape indispensable dans le processus d’apprentissage des enfants. Suite aux Hautes Orientations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’Assiste, un programme de généralisation du préscolaire a été lancé en 2018 ayant pour objectif la généralisation du préscolaire à l’ensemble des enfants de la tranche d’âge 4 à 6 ans, à l’horizon 2028.

Les données communiquées par le Ministère de tutelle montrent que le taux d’inscription dans le préscolaire toutes catégories confondues (public, privé, traditionnel et non structuré), au niveau national, est de 72,5%, selon le bilan de septembre 2021. Cela concerne 910 428 enfants, dont 425 148 filles et 318 479 enfants issus du milieu rural. Le préscolaire public représente aujourd’hui 43% du total des enfants inscrits et de l’ordre de 30% des enfants de la tranche d’âge 4 à 6 ans.

Par ailleurs, sur l’ensemble des enfants inscrits dans le préscolaire, le préscolaire «traditionnel » et non structuré a vu sa part diminuer au profit du préscolaire public en passant de 63% en 2017- 2018 à 37% en 2021-2022. La part du privé a également régressé en se situant aujourd’hui à 20%. La FMPS gère actuellement un réseau de plus de 12000 unités de préscolaire accueillant près de 250 000 enfants, soit 60% de l’offre préscolaire public.

Challenge : Existe-t-il actuellement une stratégie spécifique au « préscolaire », à décliner en programmes, au niveau national, et dans chaque région, pour mieux tenir compte des spécificités régionales ? Quelles sont les grandes lignes de cette stratégie ?

Comme mentionné, le 18 juillet 2018, le ministère de l’Education Nationale a lancé le programme National de développement et de généralisation du préscolaire à l’horizon 2028, en adoptant deux approches :

– Concentrer les efforts du ministère à travers les Académies régionales et les directions provinciales dans les zones urbaines et périurbaines ;

– S’appuyer sur l’INDH pour la généralisation du préscolaire dans le monde rural et les zones enclavées en raison de l’avantage de proximité que permet le dispositif de l’INDH, et pouvoir ainsi accélérer la généralisation dans le milieu rural où le taux de préscolarisation est le plus faible.

Dans ce cadre, le déploiement du programme de généralisation du préscolaire lancé par l’INDH, en 2019, s’est appuyé sur deux opérateurs qui sont la FMPS (80% du total), et la Fondation Zakoura. Ceci a permis de construire un modèle structuré pour le développement du préscolaire, à même de garantir la qualité de l’éducation en faveur des jeunes enfants. Suite à l’évaluation réalisée par le Ministère, trois années après le lancement du programme de généralisation et qui a démontré l’efficacité du modèle FMPS, adopté au niveau du monde rural, le MENPS a décidé de s’appuyer sur la FMPS, en tant qu’acteur national de référence, pour mener et accélérer la généralisation d’un préscolaire de qualité.

Ainsi, une convention de partenariat a été signée le 07 avril 2022, à travers laquelle le MENPS délègue la gestion de près de 70% du préscolaire public à la FMPS, selon une démarche bien spécifique et détaillée, qui comprend un ensemble d’actions à mener aux niveaux national, régional et local. 

Ce partenariat porte sur 4 volets :

• Gestion directe de près de 70% du préscolaire public, avec une démarche assurance qualité ;

• Mise en place et en œuvre d’un dispositif de formation pour les éducateurs du préscolaire ;

• Mise en place et en œuvre d’un dispositif de labellisation pour attester de la qualité du préscolaire ;

• Mise en place et en œuvre d’un dispositif d’évaluation des acquis des enfants ;

Challenge : Quelles devraient être selon vous les priorités ?

Je pense aujourd’hui que les priorités ont été bien définies, mais c’est toujours utile de les rappeler :

1. L’anticipation et la planification : recensement des besoins avec suffisamment d’anticipation (au moins deux années), en visant les populations le plus dans le besoin, afin de permettre la préparation des infrastructures d’accueil, des équipements et des ressources humaines dans les délais ;

2. Un bon processus de sourcing qui permet d’adresser les candidats dans les localités et qui répondent au profil recherché;

3. Un dispositif de formation initiale et continue de qualité. Ce processus commence une année avant la rentrée scolaire, afin de mieux préparer les nouvelles éducatrices et éducateurs et leur permettre de bénéficier de stages de mise en situation;

4. Mettre en place et améliorer continuellement un système de supervision et d’encadrement des éducateurs adapté et de proximité.

5. Disposer d’outils de pilotage performants pour une meilleure gestion et coordination (SI, ERP…)

6. Mettre en place un dispositif d’évaluation des acquis des enfants au niveau national, qui servira à évaluer les programmes et leur mise en œuvre

7. Mettre en place un dispositif de labellisation pour garantir et maintenir la qualité du préscolaire et assurer ainsi, une réelle équité pour tous les enfants.

Il est à rappeler, que l’Etat a fait preuve d’un fort engagement depuis le lancement du programme de généralisation du préscolaire, et a mis à disposition des moyens importants qu’il est essentiel de maintenir dans le temps pour satisfaire ces prérequis et garantir ainsi, un préscolaire de qualité.

Challenge : Le «préscolaire» nécessite la formation de profils pédagogiques spécifiques et la mise en place de nouvelles infrastructures préscolaires adaptées. Ces préalables nécessaires existent-ils aujourd’hui ?

Il est important de souligner que le chemin de la généralisation du préscolaire est bien entamé, et que grâce à l’initiative du Conseil Supérieur de l’Education avec d’autres partenaires de créer la FMPS en 2008, ce programme peut s’appuyer aujourd’hui sur le know-how cumulé par la fondation sur toute la chaine de valeur nécessaire à une généralisation de qualité. La FMPS maîtrise tous les prérequis de mise en œuvre du programme, et a construit une réelle «machine» de déploiement depuis l’acquisition des équipements et matériels pédagogiques, le sourcing et la formation des éducateurs et des encadrants pédagogiques, jusqu’aux dispositifs de gestion, de suivi et d’évaluation.

Le processus de généralisation est en marche et le modèle continuera à s’adapter et à s’améliorer chemin faisant, avec comme priorité l’amélioration continue de la qualité, qui passera forcément par l’adaptation régulière des programmes de formation des ressources humaines, et le renforcement des dispositifs d’encadrement et d’évaluation des acquis des enfants. 

A ce titre, je rappelle la deuxième convention de partenariat signée le 7 avril 2022 entre le MENPS, le MIEEC, le MEF, l’INDH et la FMPS qui vise à renforcer la formation initiale des éducateurs du préscolaire, en portant le nombre d’heures de formation initiale de 200h à 400h. Par ailleurs, la FMPS va assurer, pour les nouvelles recrues 2022/2023, en plus des 400h de formation initiale qui seront déployées en juillet/août, 550h de formation complémentaire durant leur première année d’intégration.

La FMPS dispose d’un centre de formation dédié qui assure l’ingénierie de formation de son staff pédagogique qui compte plus de 400 formateurs internes, dont 92 formateurs permanents. La FMPS travaille ainsi continuellement à l’amélioration de ses process et outils. Elle compte, avec le MENPS, renforcer le dispositif d’évaluation pour permettre au ministère de disposer d’informations pertinentes en temps réel, à même de permettre le suivi et l’amélioration continue des programmes pédagogiques.

Challenge : Quels sont les principaux acteurs concernés par ce chantier et quels mécanismes d’implication, de coordination et de suivi à mettre en place ?

La tutelle du préscolaire est aujourd’hui unifiée et centralisée au niveau du ministère de l’Éducation Nationale, du Préscolaire et des Sports, qui porte la stratégie de mise en œuvre du programme, pilote et garantit sa mise en œuvre, au niveau central et à travers ses académies régionales et ses directions provinciales. Dans ce cadre, le ministère a mis en place un cadre référentiel du préscolaire, et a arrêté le dispositif de formation initiale des éducateurs.

Concernant le mode opératoire, la stratégie du MENPS est, je le rappelle, de s’appuyer sur l’INDH – pour généraliser le préscolaire dans le rural, et les ONG, notamment la FMPS, qui est considérée aujourd’hui comme acteur national de référence pour accompagner le ministère dans l’accélération du rythme de la généralisation du préscolaire, tout en priorisant la dimension qualitative.

La fondation est aussi chargée d’accompagner le ministère dans la mise en place d’un système de labellisation qui permettra de généraliser le dispositif de formation, de supervision et d’évaluation à tous les autres acteurs, pour garantir un préscolaire de qualité égale à tous les enfants marocains. Il est à rappeler que les conventions signées le 07 avril ont institué un comité de pilotage, chargé d’assurer la coordination du programme, ainsi qu’un comité de suivi, chargé d’assurer le suivi de la mise en œuvre du programme.

 
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