Tribune et Débats

Nouveau modèle de développement au Maroc : pour la création d’un exécutif économique

Alors que les premières estimations chiffrées de l’impact du COVID sur l’économie marocaine sont en train de tomber, penser ou repenser l’économie du Royaume est redevenue une priorité. L’annonce faite par SM Le Roi lors du 21ème discours du Trône d’un fonds de relance de 120 milliards de dirhams a remis au centre des débats la réflexion sur ce nouveau modèle de développement.

Quel cadre institutionnel pour le nouveau modèle de développement ?

Lors de son dernier discours appelant à un nouveau modèle de développement, le Roi précisait un point fondamental, à savoir la réflexion d’un modèle de développement maroco-marocain, ce qui logiquement doit prendre en compte une réflexion sur les institutions. Or, force est de constater que dans l’ensemble des propositions des groupes de réflexions et des agences publiques, l’emphase a davantage été mise sur les questions techniques et peu ou pas sur le pilotage politique du nouveau modèle de développement. Or s’il est une chose que l’on doit retenir de cette crise du COVID, c’est l’importance de la structure politique comme un facteur de la réussite d’impact.

En effet, si la crise du COVID-19 a révélé aux pays européens leurs vulnérabilités dans la chaine d’approvisionnement des industries jugées stratégiques, elle a révélé au Maroc deux choses qui doivent devenir le cœur de sa stratégie économique. L’efficacité d’un exécutif fort et le savoir-faire industriel du pays. Il ne fait aucun doute que la mobilisation du capital, la grande rapidité d’exécution des nouvelles politiques, tels le financement du secteur informel et l’efficacité de ces politiques sur le terrain ont pu être obtenus du fait de la verticalité du pouvoir qu’incarnait la décision royale. Le gouvernement eut beau avoir les mêmes objectifs et être constitutionnellement compétent, l’impact auprès du capital, de l’administration et même des Marocains aurait été différent. La nature constitutionnelle marocaine incarnée par cette dualité du pouvoir pose fondamentalement la question du pilotage économique du modèle de développement qui sera retenu. Quelle que soit la qualité des réflexions et des analyses qui ont été proposées à la commission Benmoussa, si l’on ne confie pas à la bonne instance institutionnelle la direction de ce plan, la mise en application de ces propositions au mieux n’atteindra pas son plein potentiel, au pire obtiendra des résultats inverses à ceux escomptés. Bien qu’au Maroc, nous sommes déjà dans une spécificité institutionnelle avec un gouvernement composé de ministres élus et d’autre nommés, il faut trancher et aller vers la création d’un organe indépendant responsable devant le Roi pour en garantir l’efficacité.

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Cette taskforce doit pouvoir créer la synergie essentielle entre le capital, l’administration, et le tissu économique qui à bien des égards, ont des intérêts divergents ce qui ralentit considérablement le développement économique. Ne nous y trompons pas, le Maroc qui a levé un fonds de 34 milliards de dirhams et qui a su produire des équipements médicaux de pointe en un temps record existait déjà avant le Coronavirus. C’est la simple synergie des trois grandes composantes susmentionnées qui ont permis au pays de se révéler à lui-même. Cette synergie opérée en temps de crise, a toutes les chances de s’essouffler si l’on ne crée pas un organe fort capable de la maintenir et de dégager un objectif commun tourné vers le développement économique du pays.

L’exécutif en charge de piloter le nouveau plan économique doit être à l’image du rassemblement qu’il tentera d’opérer. Pour des raisons de cohérence et d’efficacité, il ne peut donc être composé exclusivement de hauts fonctionnaires des ministères qui par définition, ont une vision homogène des modes d’implémentation des politiques publiques. Il faut en plus de ces hauts fonctionnaires qui maitrisent les rouages de l’Etat et son administration, des compétences du secteur bancaire et industriel pour pouvoir réussir cette convergence d’intérêts. Cet organe, qui peut prendre la forme d’une supra agence nationale ou d’un renforcement du Ministère de l’Industrie, doit en revanche être doté d’une force de frappe importante et être composé d’une équipe pluridisciplinaire. La tâche n’est pas mince, il s’agit de favoriser l’émergence d’une industrie nationale dans un pays qui s’est historiquement enrichi par le commerce plus que par la production.

Un exécutif tourné vers l’industrialisation

Avec la crise du Covid-19 nous avons vu les talents marocains créer des respirateurs artificiels, des tests de dépistage et avec le nouveau partenariat public-privé, des lits d’hôpitaux aux standards internationaux. C’est là, la deuxième grande leçon que nous avons apprise durant cette crise. Nous avons le savoir-faire technique pour produire au Maroc par des entreprises marocaines une grande partie des biens industriels que nous consommons et que nous importons.

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Si au début des années 2000, il était nécessaire pour le Maroc de favoriser l’installation des entreprises d’industries étrangères sur son territoire, il faut maintenant impérativement capitaliser sur cette présence pour penser et planifier l’émergence d’une industrie nationale. Les défis sont d’autant moins grands que le savoir-faire et le tissu industriel sont présents, il faut que l’État stratège coordonne et accompagne les opérateurs économiques pour piloter cette émergence. Dans l’histoire économique, les États ont souvent été les pionniers de l’industrialisation des sociétés, que ce soit en Europe ou en Asie. Il est certain que ces pays avaient l’avantage de pouvoir instaurer des mesures protectionnistes pour protéger leur industrie naissante et ouvrir leurs économies au fur et à mesure de la montée en gamme de leurs industries. Le Maroc, du fait des nombreux traités de libre-échange signés, ne peut pas profiter de cet avantage. En revanche, le Royaume possède deux atouts qui, utilisés intelligemment, peuvent contrebalancer l’exposition des entreprises marocaines à la concurrence internationale.

Le premier atout est naturellement le coût de production, qui reste compétitif par rapport aux pays du nord desquels nous importons le gros de nos besoins industriels. À ce titre, le partenariat public-privé peut aider les entreprises à se reconvertir sur de nouveaux secteurs manufacturiers et s’assurer du marché de l’Etat comme un tremplin de développement. Ainsi, le lit d’hôpital de fabrication marocaine sera vendu 20 000 dirhams pièce, tandis qu’il était importé à 80 000 dirhams selon le ministre de l’Industrie. La création des écosystèmes favorisant l’émergence d’industrie nationale à des coûts compétitifs permet l’instauration d’un protectionnisme économique intelligent, sans contrevenir aux traités de libre échange dans lesquels s’est engagé le Maroc.

Le deuxième atout et pas des moindres est l’Afrique, qui offre aux industriels marocains des économies d’échelles et une production suffisante pour émerger comme de gros acteurs, à fortiori dans un continent où le coût reste le principal critère d’importation.

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Ainsi, l’industrie marocaine peut émerger grâce aux écosystèmes mis en place par l’Etat et grâce à la commande publique, avant d’attaquer un immense marché à forte croissance qui peut lui donner une taille critique. C’est cette taille critique qui permettra le redressement de la balance commerciale marocaine, précisément grâce aux traités de libre échange ratifiés.

À l’heure où le commerce international semble se reconfigurer plus que jamais, il est impératif pour le Maroc de passer d’une économie de flux à une économie de production. Il était sans aucun doute intelligent de jouer de l’atout stratégique du Maroc qui est sa géographie, mais même si la géographie est immuable les routes commerciales ne le sont pas, comme l’histoire en témoigne.

Comme chacun le sait, dans chaque crise réside une opportunité. La crise du coronavirus nous a révélé l’immense savoir-faire industriel du pays, ainsi que le processus politique efficace pour le faire émerger. Ajoutée à cela, l’opportunité du Maroc de se positionner comme une alternative pour la relocalisation de l’industrie stratégique européenne ; le Royaume connait là un alignement d’opportunités historique qu’il ne doit pas rater.

Par Anas ABDOUN 

Anas ABDOUN, est consultant analyste en risque géopolitique dans le secteur des énergies hydrocarbures. Après un Bachelor en Sciences Politiques de l’Université de Montréal et un Master en Relations internationales de l’Université Libre de Bruxelles, il rejoint Stratas Advisors, une compagnie de consulting spécialisée dans le secteur pétrolier, où il analyse les risques géopolitiques, sécuritaires, économiques et législatifs qui impactent les marchés énergétiques au Moyen-Orient, en Afrique du Nord ainsi qu’en Afrique Subsaharienne.

 
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