Dossier

Nouvelle Charte d’Investissement : Les ultimes arbitrages avant la promulgation

Promise pour fin 2017 avant d’être annoncée pour imminente en octobre 2018, la promulgation de la nouvelle Charte de l’Investissement tient en haleine le monde des affaires. Après une gestation de près de trois ans, le nouveau cadre d’appui à l’investissement serait-il à la hauteur des attentes des opérateurs économiques ou, à force d’être édulcoré dans l’athanor des arbitrages fiscaux et des sacro-saints équilibres budgétaires, déboucherait-il in fine sur une réforme aseptisée et à demi-teinte ? Plus que quelques  semaines d’attente pour le savoir… a priori !  

Presque trois ans de gestation, une consultation nationale inédite pour une réforme de ce genre, des va-et-vient interminables entre plusieurs départements ministériels. L’actualisation de la charte de l’investissement qui fait languir plus d’un opérateur dans les milieux d’affaires avait été hissée, dès sa présentation en juillet 2016, au rang des priorités de l’actuelle équipe gouvernementale.

Il faut dire que contrairement à celle adoptée en 1995, la nouvelle mouture du très attendu cadre global d’appui à l’investissement devrait se distinguer par des offres claires (tronc commun, sectorielles et territoriales), des avantages précis (fiscalité, foncier, accompagnement de l’Etat) et, aussi, une approche évolutive pour intégrer les réformes et stratégies sectorielles à initier. Et c’est sans doute là où le bât blesse, car avec des objectifs assez ambitieux et protéiformes, les arbitrages entre départements et l’inévitable aval du ministère de l’Economie et des Finances, se sont avérés beaucoup plus complexes et chronophages. D’où, à plusieurs reprises, des annonces d’une promulgation imminente qui ont fini par devenir l’arlésienne qui n’advient jamais.

Certes, plusieurs mesures initialement proposées par Othmane El Ferdaous, jeune secrétaire d’Etat chargé de l’Investissement et sponsor principal de cette réforme qu’il a érigée en cheval de bataille de sa mission gouvernementale, ont déjà été adoptées progressivement à partir de 2017, comme le statut d’exportateur indirect (qui fait bénéficier aux opérateurs qui peuvent s’en prévaloir des exonérations fiscales et taux d’imposition réduits au même titre que les exportateurs directs), l’IS (Impôt sur les Sociétés) à 0% pour les nouvelles sociétés industrielles pendant les cinq premières années de leur existence ou encore la mise en place d’une zone franche par région ; mais il n’en demeure pas moins que le mystère reste entier quant aux autres nouveautés qu’elle a introduites et qui, pour leur part, ne sont manifestement pas passées comme une lettre à la poste.     

Selon une source sûre, le projet qui a été transféré depuis plusieurs mois déjà au ministère de l’Economie et des Finances pour finalisation, bute encore sur certaines mesures que l’auteur du fameux hashtag #fikrainvest (par lequel un appel public aux idées avait été lancé en août 2017) souhaiterait adopter dans le cadre d’une part du soutien à l’innovation, notamment en faveur des TPME opérant dans les écosystèmes créés par le ministère de l’Industrie et, d’autre part, de la transmission d’entreprise. Plus concrètement, ce dernier a proposé d’accorder un « kit » d’exonérations et d’avantages fiscaux divers (IR, IS, Taxe professionnelle…) à un quota annuel d’entreprises innovantes sur la base d’une sélection faite par un Comité d’experts piloté par le ministère de l’Industrie.

Quant au volet de la transmission d’entreprise, le projet de réforme aurait visé à introduire des mesures incitatives pour la reprise des entreprises par des dirigeants internes et externes, sachant que l’une des causes de la mortalité élevée des PME marocaines, figure le taux de défaillance non moins élevé lui aussi des transmissions au sein de la famille fondatrice au-delà de la deuxième génération. Une mesure qui viendrait enfin faire droit aux multiples revendications de chefs d’entreprise relayées par les auteurs du Baromètre de la transmission d’entreprise au Maroc (une étude qui dresse régulièrement une cartographie des problématiques de transmission d’entreprise au Maroc et des leviers permettant de la faciliter) qui, lors de la dernière édition de 2017, avaient recommandé que  les charges d’intérêts sur le financement de la reprise des entreprises par des entrepreneurs dirigeants soient déductibles de l’impôt sur le revenu de l’acquéreur. Or de telles initiatives ont un coût fiscal non négligeable et posent, par ailleurs, notamment pour le « pack fiscal » aux entreprises innovantes, le problème de l’équité dans le choix des bénéficiaires. Sans compter qu’il est difficile pour ne pas dire impossible pour l’Argentier du Royaume d’octroyer des « cadeaux » fiscaux qui ne seraient pas financés par ailleurs par les temps qui courent, d’une gestion budgétaire confrontée à l’immense défi de concilier rigueur (notamment en ramenant le déficit budgétaire au-dessous de 3% du PIB, ce qui devait être le cas en 2016 déjà, au vu des promesses du précédent gouvernement) et accélération des programmes sociaux ayant pour objectif de réduire disparités sociales et territoriales.

En outre, les récentes études économiques en matière de mesures fiscales incitatives en faveur de l’innovation, démontrent que pour être efficaces, celles-ci doivent être appréhendées dans le contexte des politiques fiscales générales du pays et de l’ensemble des actions menées en faveur de l’innovation, notamment les systèmes d’aide à la R&D (Recherche & Développement). Un constat sur lequel insiste par exemple le dernier rapport sur le sujet de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) intitulé « Fiscal incentives for R&D and innovation in a diverse world » et qui fait le point sur le rôle des politiques publiques dans la promotion de la R&D, de la création, de la diffusion et l’utilisation de nouvelles connaissances et d’innovations.

Aussi, lorsqu’elles ne sont pas correctement conçues, ces politiques ont, à priori, des conséquences accidentelles, comme favoriser les entreprises en place, inciter les petites entreprises à entreprendre des activités moins efficientes ou ouvrir la voie à l’arbitrage et à la recherche de rentes.

Au demeurant, quand bien même la future Charte d’Investissement risque de subir un sérieux coup de rabot de la part du gardien des équilibres fiscaux et macro-économiques du pays, elle aura au moins le mérite d’avoir rafraichi un cadre devenu assez obsolète en y introduisant des mesures concrètes, réalistes et visant à encourager les initiatives privées et en améliorer le rendement de l’investissement. Espérons juste que sa promulgation intervienne le plus vite possible après une si longue gestation alors que le milieu des affaires a vraiment besoin d’un électrochoc pour surmonter la sinistrose ambiante.

 
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