Gouvernance

OCP, les secrets d’une réussite fulgurante

Le groupe OCP est devenu un géant mondial des phosphates, avec des pieds solidement ancrés dans le sol marocain où gisent pas moins de 70% des réserves mondiales de cette matière première non renouvelable. Mais la force de cette entreprise publique réside dans les réformes qu’elle a su mener depuis 2006.  

Voici une entreprise stratégique de l’Etat qui a fait l’objet d’un contrôle de la part de la Cour des Comptes et dont Mustapha Terrab, PDG du Groupe OCP, depuis 2006, n’a pas eu la moindre hésitation pour répondre à la demande d’audition de la Commission de contrôle des finances publiques de la Première Chambre du Parlement. C’est là un exemple de reddition des comptes dont devraient s’inspirer l’ensemble des responsables publics. 

En effet, ce fut l’occasion à Mostafa Terrab, « d’ouvrir totalement portes et fenêtres » de ce grand mastodonte mondial des phosphates, dont le mode de gestion antérieur était caractérisé par une grande opacité et des résistances au changement. La présentation de Mostafa Terrab permettra de dissiper beaucoup de brouillard hérité de l’époque antérieure et surtout de fixer les projecteurs vers l’avenir. L’importance stratégique et mondiale de cette entreprise est bien connue. Elle dispose de 70% des réserves mondiales de phosphates, soit 50 milliards de tonnes d’une ressource non renouvelable. 

Avant 2005, OCP produisait principalement de la matière première. Peu de transformation et donc peu de valeur ajoutée. 43% de ses exportations étaient de la roche de phosphates et à peine 9% d’engrais. L’entreprise était historiquement assujettie/soumise à cette division internationale classique du travail, basée sur le fameux principe des avantages comparatifs, où les pays du Sud devaient se cantonner à l’extraction et à l’exportation des matières premières vers les pays du Nord, seuls détenteurs de technologies et capables de transformer industriellement lesdites matières premières pour en réexporter une partie des produits finis vers les pays du Sud et récupérer ainsi ce qui a été initialement versé à ces derniers, avec une plus-value en plus, correspondant à la valeur ajoutée inhérente à la transformation. C’est tout le circuit de l’échange inégal qui enfermait les pays du Tiers Monde dans le «sous-développement», circuit minutieusement décrit par Samir Amin et d’autres économistes théoriciens de la dépendance (G. Frank, A. Emmanuel…). Or, le cours de la roche (matière première) était en stagnation, alors que celui de l’engrais (produit fini) s’envolait. Il fallait donc entamer une transformation qualitative du mode de production de l’OCP. D’où la nouvelle stratégie adoptée, après plusieurs diagnostics, dès 2006, et basée sur trois piliers : quadrupler la capacité de production d’engrais, en la faisant passer de 3 à 12 millions de tonnes par an, réduire les coûts, et mettre en place une politique commerciale flexible avec une diversification de l’offre au niveau international.

Lire aussi : OCP, une reddition des comptes sans complexe

Les réalisations immédiates et concrètes ne vont pas tarder, certes dans une conjoncture internationale favorable. Grâce à l’optimisation de l’outil industriel, le programme «Iqlaa» va permettre dès le début d’augmenter de 25% la production, soit 4 millions de tonnes pour une même capacité de production de 3 millions de tonnes. Par ailleurs, tout en maintenant le même niveau d’activité avec l’ONCF, les pipelines mis en place pour transporter la roche de Khouribga à Jorf Lasfar, vont permettre d’économiser 90% des frais de transport. 

Au niveau mondial, les coûts de production de l’OCP sont devenus les plus bas. Ce qui va renforcer les capacités compétitives d’OCP et lui conférer une position de leader international dans le domaine des phosphates. Au niveau de l’offre, OCP est passé de 3 formules d’engrais, en 2005, à 40 formules d’engrais customisés adaptés aux sols et aux cultures. L’investissement en recherche et développement et l’implication des chercheurs en agronomie, vont permettre à OCP de mieux répondre aux besoins spécifiques de fertilisation découlant des caractéristiques chimiques intrinsèques des sols. 

Une option stratégique

En fait, c’est surtout l’option stratégique de développement des activités de transformation industrielle à haute valeur ajoutée qui va permettre à OCP de « sortir sa tête de l’eau » et de se hisser sur le plan international. Le programme d’investissement 2007-2018 a nécessité plus de 70 milliards de dirhams avec 50% destinés à la création de nouvelles unités de transformation. Pour cela, OCP va changer de statut en devenant société anonyme, ce qui va lui permettre de lever de l’argent sur les marchés financiers et de se libérer des contraintes juridiques, tout en évitant le piège de l’endettement.

En 2008, avec l’envolée des cours de phosphates, OCP, contrairement aux années 1970 où elle ressemblait à un tonneau des Danaïdes, va en profiter pour renforcer ses fonds propres et donc ses capacités d’autofinancement. En une année, 60 milliards de dirhams de revenus seront engrangés. Ce joli pactole va renforcer les capacités d’autofinancement d’OCP et permettre de financer son option stratégique d’investissements ciblés. La moitié des dépenses d’investissement ont été puisées dans les fonds propres. La valorisation du groupe OCP passera de 32 milliards de dirhams à 100 milliards de dirhams en quelques mois. 

Les résultats sont édifiants. La capacité de production de la roche est passée de 27 millions de tonnes, en 2005, à 44 millions de tonnes en 2018, celle de l’engrais a quadruplé de 3 à 12 millions de tonnes. Le groupe OCP est ainsi devenu 1er producteur mondial d’engrais, alors qu’il était 4ème, en 2005. Sa part dans le marché mondial est passée de 9% à 22%. Le chiffre d’affaires annuel est passé de 17 milliards de dirhams, avant 2005, à près de 50 milliards, à partir de 2007. Auparavant constamment déficitaire, OCP réalise depuis 2006, des bénéfices supérieurs à 5 milliards de dirhams.

Mais OCP n’est pas une entreprise publique isolée. Elle est aussi à l’origine d’écosystèmes où plusieurs entreprises s’articulent et se complètent horizontalement et verticalement. 63% des dépenses d’investissements (70 milliards de dirhams) ont profité à 400 entreprises industrielles marocaines. 8400 emplois stables ont été créés dont 1350 ingénieurs. La contribution à l’Etat est passée de 700 millions de dirhams, en moyenne annuelle, avant 2007, à plus de 5 milliards de dirhams, après cette année.

La dimension environnementale n’est pas négligée. Elle a été structurellement intégrée dans les processus de production. La part de l’eau usée et dessalée est passée de 2%, en 2005, à 30%, en 2018. L’électricité produite par la vapeur et les éoliennes a atteint 70%, en 2018. Les mines fermées ont été réhabilitées par la plantation d’arbres et la culture de l’olivier, de l’arganier, le caroubier et le quinoa.

Le poste Recherche et Développement est appelé à devenir l’une des missions stratégiques du Groupe OCP. Mais la vraie dimension stratégique d’OCP Groupe réside dans l’investissement en Recherche et Développement. L’avenir est dans le développement de la « matière grise » de cette entreprise nationale. Et des premiers pas ont été entamés dans cette direction, avec la création de l’Université Mohammed VI de Benguerir, constituant un écosystème multidisciplinaire. Cette Université travaille avec plusieurs partenaires nationaux et étrangers sur le développement de produits spécifiques, le traitement du cadmium et les métaux lourds, le recyclage des déchets et le développement durable. C’est là qu’est engagé un processus irréversible de transformation de la quantité en qualité. OCP Groupe appuie aussi d’autres structures de recherche, en particulier dans le domaine agricole. Le chantier des nouvelles technologies des informations et de la communication (NTIC) représente aussi un grand défi. En 2018, OCP Groupe a consacré 150 millions de dollars en Recherche et Développement, soit 42 fois le montant dépensé en 2005 (3,5 millions de dollars).

Le renforcement du Groupe OCP dans le continent Africain est aussi une dimension à souligner. Son expertise est mise à la disposition des pays africains dans une logique de coopération Sud-Sud et de renforcement de la souveraineté économique, en particulier au niveau de la sécurité alimentaire. 

Et ce n’est qu’un début. Dans un an, OCP ambitionne de faire passer la production d’engrais à 15 millions de tonnes, avec la création de 1270 emplois hautement qualifiés et stables. Les objectifs fixés pour les prochaines années sont très ambitieux, mais réalistes. Cette réussite est due en particulier à la volonté et au talent d’un stratège disposant d’une équipe dynamique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si M. Terrab a été désigné par le Souverain parmi les membres de la Commission spéciale du nouveau modèle de développement.

 
Article précédent

Ces projets verront le jour en 2020

Article suivant

« Ach Waqe3 » : l’actualité décryptée par Jamal Berraoui