Interview

Omar Bakkou: « Bank Al-Maghrib dispose des canaux nécessaires lui permettant d’agir sur la relance de l’économie »

Le gouvernement prépare activement la reprise économique, après deux mois de confinement pour limiter la propagation de la pandémie du coronavirus. Quels scénarii pour la relance ? Quelle marge de manœuvre pour Bank Al-Maghrib pour accompagner cette reprise économique ? Omar Bakkou, Économiste et spécialiste des politiques de change, nous livre son analyse.

 Challenge : Selon vous, quel plan de relance pour les secteurs du tourisme, de l’immobilier et de l’industrie ?

Pour le Tourisme 

Le tourisme est l’un des secteurs économiques les plus touchés par la crise du Covid-19, en raison de la violence du choc subi : zéro arrivée de touristes étrangers depuis la fermeture des frontières le 16 mars dernier et fermeture par la suite de la quasi-totalité des hôtels. Ce secteur sera, en outre, très probablement l’un des derniers à redémarrer au regard d’une multitude de facteurs, notamment le maintien par les pays émetteurs de mesures limitatives du mouvement des personnes, la chute importante du pouvoir d’achat  de la population de ces pays, etc.  Cela requiert la mise en place d’un plan global de sauvegarde spécifique à ce secteur fondé sur l’amélioration des conditions générales de l’offre et sur la promotion de la demande adressée à ce secteur.

S’agissant de l’amélioration des conditions générales de l’offre, les mesures suggérées à cet effet concernent, d’une part, la prorogation des mesures du comité de veille économique jusqu’à la fin de l’année, notamment le report des échéances sociales, fiscales et bancaires et, d’autre part, l’exonération totale ou partielle des entités hôtelières des impôts et charges sociales durant les prochains mois, particulièrement pour les entreprises qui maintiennent leurs employés. Quant à promotion de la demande de ce secteur, les actions proposées à cet effet, concernent une batterie de mesures destinées à compenser l’affaissement de la demande étrangère adressée à ce secteur par celle intérieure  ( tourisme domestique qui représenté environ le tiers des recettes du secteur ), et ce, à travers  la baisse de la TVA (voir même sa suspension) et la mise en place (bien entendu après le déconfinement) d’un méga-plan de promotion des destinations touristiques internes, notamment en réallouant une partie du budget de promotion de l’Office National Marocain de Tourisme.

Pour le secteur immobilier

Le secteur de l’immobilier a été presque totalement paralysé sous l’effet de la crise sanitaire, et ce, comme en témoigne un faisceau d’estimations officielles: arrêt quasi-total des ventes et des chantiers, baisse de 95% de l’activité des architectes, des bureaux d’étude, des ingénieurs topographes, baisse de plus de 70% de l’activité du secteur des industries des matériaux de construction, etc. Ce secteur, qui vivait dans une véritable atonie durant les cinq dernières années en raison notamment de l’important stock de logements invendus, fera certainement partie des secteurs qui seront les plus touchés après le déconfinement sanitaire, et ce, en raison de la baisse générale du pouvoir d’achat de la population et particulièrement de celle demandeuse du logement économique qui constitue le véritable moteur de la dynamique de ce secteur. Cette décélération très probable de l’activité du secteur de l’immobilier aura des retombées économiques et sociales extrêmement importantes, du fait de la place qu’occupe ce secteur dans l’économie marocaine : environ 7% du PIB et 52% des salariés déclarés à la CNSS. Cela exige par conséquent la mise en place d’une stratégie globale de relance de ce secteur fondée sur l’adoption d’un ensemble de mesures destinées à soutenir l’offre et de la demande adressée à ce secteur.

Concernant les mesures visant à soutenir l’offre du secteur de l’immobilier, cela pourra porter  sur une batterie de mesures, notamment l’accélération des remboursements de la TVA pour les sociétés de promotion du logement social, l’accélération du paiement des factures en souffrance auprès des administrations et des établissements publics,  le report des échéances fiscales et sociales à fin décembre 2020, la facilitation de l’accès à la commande publique, etc. Quant aux mesures destinées à soutenir la demande adressée à ce secteur, cela pourra concerner la réduction des taux d’intérêt des acquéreurs et l’exonération totale ou partielle des droits d’enregistrement, timbres et de conservation foncière.

Pour l’industrie

Le secteur industriel sera touché d’une manière fortement disparate par les retombées de la crise sanitaire. En effet, les secteurs dont l’activité dépend fortement de la demande étrangère, notamment l’industrie automobile, le secteur minier, le textile, l’aéronautique seront plus impactés que les secteurs dépendant de la demande intérieure. De même, au sein de ces mêmes catégories, des disparités peuvent être observées : certains secteurs ayant des commandes de longue durée comme l’aéronautique par exemple sera probablement moins influencé que les autres secteurs.

Egalement, pour les entreprises dont la production est destinée dans sa majorité au marché intérieur, des différences en termes d’impact économique seront enregistrés entre les entreprises qui produisent des biens de première nécessité comme le secteur de l’agroalimentaire et ceux de « seconde nécessité », comme le secteur de la confection et du textile, etc. Par conséquent, ce secteur ne s’apprête pas à un plan de sauvetage uniforme, mais plutôt à une approche sectorielle ou les différentes mesures fiscales et monétaires ci-dessus suggérées seront dosées en fonction de l’urgence et la gravité des baisses d’activité constatées.

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Challenge : Que peut faire Bank Al-Maghrib pour accompagner la reprise économique et quelle est sa marge de manœuvre concrètement ? 

Bank Al Maghrib occupe une place privilégiée dans les deux principales composantes de la chaîne de valeur du financement bancaire de l’économie, à savoir la composante « refinancement des banques » ou marché du gros et la composante « distribution des crédits » ou marché de détail. Ainsi, concernant le rôle de BAM dans le marché monétaire du gros, ce dernier  réside dans le fait que cette institution peut délivrer de l’argent aux banques de manière illimitée « en théorie »  (elle peut battre la monnaie).

Cela s’opère sur le plan opérationnel à travers la livraison de liquidités aux banques sur le marché monétaire, c’est-à-dire, après centralisation des demandes hebdomadaires de liquidités par les  banques. Généralement, lorsque BAM envisage d’accorder plus de liquidités aux banques, elle baisse le taux auquel elle prête aux banques, appelé taux directeur. S’agissant du rôle de BAM dans le marché monétaire et financier de détail, il demeure lié au pouvoir règlementaire de cet organisme: il édicte les normes juridiques régissant distribution des crédits par les banques, appelées dispositions prudentielles et veille également au respect par les banques de ces normes.

Ces éléments permettent ainsi de montrer clairement les canaux à travers BAM peut agir sur la distribution de crédits par les banques, et partant, sur la relance de l’économie. En effet, l’institut d’émission peut agir à travers le canal du refinancement des banques en utilisant une batterie de mesures : abaissement  du  taux d’intérêt auquel elle fournit la liquidité aux banques, allongement de la durée de ces  refinancements aux banques, etc.  De même, BAM peut assouplir de jure ou de facto les dispositions prudentielles régissant la distribution de crédits par les banques,  ce qui permet de promouvoir la distribution de crédits et, partant, de doper la demande globale et l’activité économique d’une manière générale. 

 
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