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Organismes Génétiquement Modifiés (OGM): On ne vous dit pas tout

L’équipe du chercheur français Seralili, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen, a mené pendant deux années une expérience sur des rats soumis à un régime alimentaire à base de maïs transgéniquement modifié. Conclusion : les animaux sont atteints de tumeurs. Ce rapport a soulevé un mouvement de panique et de peur, mais aussi de controverse au niveau international. Chez nous, le département de l’Agriculture, ainsi que ses principales structures concernées par ce sujet, n’ont pas voulu se précipiter pour réagir, le sujet étant très sensible. Le département de Aziz Akhannouch s’est contenté de publier un communiqué le 25 septembre. On peut y lire « qu’aucune présence d’Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) n’est admise dans les produits importés destinés à la consommation humaine. Ils sont absents dans la production agricole nationale et également dans tous les intrants utilisés dans les cultures agricoles marocaines (semences…) ». Idem pour l’alimentation animale où « les variétés de maïs transgénique ciblées par l’étude française ne sont pas autorisées au Maroc ». Ce volet des OGM n’est en fait cadré que par une circulaire du ministère de l’Agriculture, datée du 11 août 1999. Un document, soit dit au passage, qui, selon toutes les personnes interviewées dans le cadre de ce sujet, n’a jamais pu être consulté. Un doute planerait-il alors sur l’application de cette circulaire ? Si, dans la pratique, plusieurs textes de lois sont transgressés, que dire alors d’une circulaire ? C’est ce qui fait dire à ce professionnel que malgré ce document, l’interdiction de l’utilisation d’OGM ou de composants transgéniques est à nuancer, surtout que la circulaire a un pouvoir davantage administratif que législatif. Il n’est donc pas insensé de penser que nous puissions consommer, même indirectement, des produits transgéniques. Un document publié par le Département de l’Environnement en 2009 sur le cadre de la biosécurité, le confirme d’une certaine manière. Ses rédacteurs soulignent que « le Maroc importe des denrées alimentaires des USA où l’étiquetage et la traçabilité ne sont pas obligatoires (céréales, huiles végétales, sauces, additifs) et du Canada (soja). En raison de la mondialisation de la chaîne alimentaire, l’importateur d’une denrée n’interdit pas l’incorporation d’ingrédients provenant d’OGM de certains pays (américains ou asiatiques) où la traçabilité n’est pas exigée». Un vétérinaire n’écarte pas non plus la possibilité que des produits importés pour l’alimentation animale soient aussi modifiés. Cherchant à vérifier l’information auprès de l’ordre des Vétérinaires, on se contente de nous dire : «il faudrait attendre qu’une commission se constitue pour vous répondre». Côté professionnels, les réponses convergent vers la réaction de l’administration. C’est le cas par exemple dans le secteur avicole. Youssef Alaoui, président de la Fédération Interprofessionnelle du Secteur Avicole (FISA) est catégorique. Il affirme que tout est régi par ladite circulaire du ministère de l’Agriculture et qu’il y a une totale interdiction d’utiliser des matières premières ou des semences transgéniques. « Les services concernés procèdent à des contrôles très rigoureux. Il ne peut y avoir d’échappatoire», lance Alaoui. Les volailles ne consomment-ils pas alors ce maïs américain, susceptible d’être transgénique ? « Nous importons majoritairement de pays comme le Brésil et l’Argentine, puis dans une moindre mesure des Etats-Unis et de la France », tient à tranquilliser Alaoui. Soit, mais n’oublions pas non plus que le Brésil par exemple, est devenu, en 2009, le deuxième pays en surface cultivée au monde en produits génétiquement modifiés (PGM).

Quel contrôle ? 
Dans le domaine agricole, un membre de la Confédération Marocaine de l’Agriculture et du Développement Rural (Comader), affirme aussi que le Maroc n’utilise pas d’OGM, que ce soit à la production ou à l’importation. Idem pour le cas des semences qui « proviennent en majorité de l’Europe », un continent où la production et la commercialisation des OGM sont très encadrées. Et pourtant, un témoignage d’un agriculteur qui préfère garder l’anonymat confirme l’utilisation de produits transgéniques, malgré leur interdiction. Il y a quelques années, il a mené, avec d’autres agriculteurs, une expérience où ils ont utilisé des semences transgéniques pour améliorer la productivité. « La première année, le rendement s’est amélioré. Mais nous nous sommes rendu compte que la deuxième année, en utilisant la graine, cela n’a rien donné, que des touffes d’herbe», atteste notre source. Le contrôle a donc une grande place à prendre. Bouazza Kherrati, président de la Fédération Marocaine des Droits des Consommateurs (FMDC) assure qu’à cause de la faiblesse au niveau du contrôle, il existerait bel et bien des produits OGM dans notre marché. « Nos laboratoires ne sont pas équipés pour mener les contrôles nécessaires. Même au niveau des postes-frontières, ce problème persiste. C’est une passoire », déclare t-il. Il poursuit : « peut-on faire par ailleurs confiance à l’étiquetage des produits ?». L’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA) a donc une grande responsabilité à assumer. Sollicité à plusieurs reprises pour répondre à nos questions, l’Office n’a pas donné de suite, sous prétexte que les responsables sont très occupés. L’Office a adopté la politique de l’autruche, laissant le soin à sa tutelle, le ministère de l’Agriculture, de publier un communiqué. Le sujet sur les OGM est aujourd’hui plus que d’actualité et doit le rester. Nous ne cultivons pas encore ce type de produits. Mais nous sommes concernés directement par la consommation de différents produits importés d’Amérique ou d’Asie qui pourraient contenir des composants transgéniques. Les autorités concernées, les professionnels, la société civile… ont le devoir de se pencher sérieusement sur ce dossier. « Tôt ou tard, le Maroc sera concerné par l’utilisation, le transit, la dissémination volontaire ou accidentelle et probablement la construction des OGM et doit se préparer à faire face aux risques biotechnologiques », peut-on lire sur le rapport de 2009 du département de l’Environnement. Les « Verts » Marocains, et depuis plusieurs années, souhaitent, eux, réglementer ce volet en adoptant des lois bien spécifiques tout en encourageant à la consommation des produits locaux. En attendant, c’est le principe de précaution qui reste appliqué. L’ancienne génération de nos grands-parents fait le lien entre notre alimentation (beaucoup de «cochonneries » avalées) et les maladies qui se développent plus rapidement. Les rats expérimentés, en tous les cas, le démontrent bien. Si le lien avec les produits transgéniques est avéré par les autorités sanitaires,
la théorie de nos grands-parents ne sera donc pas complètement fausse.

 
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