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Pétrole : la grande énigme de la chute des prix

La chute brutale des prix du pétrole de près de 50%, passant en quelques semaines de 110 à environ 50 dollars, a été à la fois la grande surprise de cette fin d’année 2014 et également la grande énigme que les économistes ont encore du mal à expliquer au début de l’année 2015. Qu’est-ce qui pousse l’Arabie Saoudite et son allié américain à accepter cette évolution, alors que toutes les prévisions des spécialistes tablaient sur un prix moyen de 100 dollars. D’ailleurs, toutes les Lois de finances de la plupart des pays ont tablé sur cette moyenne. par S.ALATTAR

De quoi s’agit-il réellement ? S’agit-il d’une bataille pour préserver des parts de marché et ruiner les investisseurs qui se sont lancés dans l’exploitation des schistes bitumineux? S’agit –il de ruiner la Russie et l’Iran ? Pourquoi les grands groupes pétroliers américains qui sont les grands bénéficiaires d’un pétrole cher n’ont pas encore réagi ?

L’hypothèse d’une guerre des prix pour freiner les investissements dans les schistes

Officiellement, l’Arabie Saoudite s’est dit prête à laisser chuter le baril jusqu’à 20 dollars et ce, pour préserver ses parts de marché face aux autres grands producteurs comme la Russie, le Brésil, le Canada et même les USA.  C’est la première fois que le puissant ministre saoudien du pétrole, Ali Al Naïm, désigne ouvertement les USA parmi les concurrents à abattre.  Dans un communiqué publié par  l’Agence de presse officielle saoudienne, il affirme: «Ce n’est pas dans l’intérêt des producteurs de l’OPEP de réduire leur production, quel que soit le prix … qu’il soit de 20 dollars, 40 dollars, 50 dollars ou 60 dollars, cela n’a pas de sens». Et le Ministre saoudien d’affirmer clairement, que si l’Arabie Saoudite  réduit sa production «le prix remontera et les Russes, les Brésiliens et les producteurs de pétrole de schiste américains prendront notre part». Officiellement, il s’agit donc bien d’une guerre des prix pour sauvegarder des parts du marché pétrolier dans un contexte mondial marqué par la surproduction. Alors que la demande mondiale n’augmente que faiblement (900.000 barils par jour de plus en 2015 selon la dernière estimation de l’Agence internationale de l’énergie), la production de brut des seuls États-Unis a augmenté de 2 millions de barils par jour en à peine deux ans. En maintenant, avec le cours à 60 dollars, voire beaucoup plus bas, les Saoudiens espèrent contraindre les nord-américains à fermer des puits non rentables et geler des projets trop chers. En effet, les spécialistes du marché pétrolier estiment  qu’un prix du baril durablement bas serait dommageable pour les compagnies américaines et canadiennes qui forent à des coûts souvent supérieurs à 60 dollars le baril. Les projets les plus chers d’exploitation de sables bitumineux au Canada ne sont rentables qu’à 100 dollars le baril, tandis que la plupart des barils saoudiens coûtent moins de 20 dollars à extraire. Ces données objectives du marché pétrolier semblent justifier  les déclarations du Ministre Saoudien du pétrole, Ali Al Naïmi.

Ruiner la Russie et l’Iran ?

Mais pourquoi les américains, dont l’économie pétrolière semble également souffrir de cette chute brutale des prix, ont laissé faire un allié dont la sécurité dépend de leur présence massive dans le Golf ? Pourquoi les grands lobbys du pétrole, si influents dans ce pays, n’ont pas encore poussé leur gouvernement à contrecarrer cette chute qui est préjudiciable ? Les Saoudiens sont-ils  capables d’agir en toute indépendance, dans un secteur aussi sensible pour l’économie mondiale, sans craindre de représailles occidentales, dans l’une des régions les plus instables du globe ? Nombre de spécialistes de la région du Golfe ont avancé l’hypothèse que cette chute brutale  et non prévisible des prix du pétrole est le résultat d’une entente entre  les États-Unis et l’Arabie Saoudite qui ont décidé de ruiner leurs deux adversaires communs, foncièrement dépendants des recettes pétrolières: la Russie et l’Iran.

Une chute durable ou de courte durée ?

Quoi qu’il en soit, la question que se posent les spécialistes  aujourd’hui, se rapporte à la durée de cette chute et son ampleur. S’agit-il d’une baisse passagère liée à une manœuvre géopolitique pour contraindre les Russes à faire des concessions sur les dossiers Syrien et Ukrainien ? Ou bien s’agit-il d’une donnée structurelle du marché pétrolier qui inaugure une période d’énergie bon marché? D’après les données de l’OPEP, d’ici cinq ans, la production de pétrole des pays de l’OPEP devrait décliner, faute d’investissements suffisants pour remplacer les vieux champs en voie d’épuisement. Si les recettes pétrolières s’amenuisent avec les cours, les marges de manœuvre pour investir dans l’exploration et les nouveaux gisements se réduiront aussi. Les petits producteurs disparaitront. La pénurie s’installe et les prix vont forcément augmenter. C’est peut-être ce qui est recherché par les Saoudiens, à moins que d’autres sources d’énergie non fossiles ne viennent remplacer progressivement le pétrole. En tout cas, d’après les déclarations du Président Poutine, la Russie devrait s’attendre au moins, à deux années de vaches maigres. On ignore sur quelle base il a établi cette projection, mais dans tous les cas dans cette affaire, tout est énigmatique et le Maroc, qui importe l’essentielle de sa consommation pétrolière, suivra cette histoire avec beaucoup d’attention et de passion. Il voit là, l’occasion à la fois pour soulager son économie et réduire les ardeurs d’un voisin turbulent. 

 
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