Tribune et Débats

Pour une politique de relance budgétaire

La pandémie du Covid-19 produit et produira encore et davantage dans les semaines et mois à venir des conséquences socio-économiques et humaines désastreuses et sans précédent. Ainsi, des pans entiers et stratégiques de l’économie nationale (tourisme, textile / habillement, bâtiment…) sont complètement sinistrés entrainant des niveaux de faillites historiques, des chutes drastiques des revenus, un chômage record…

Autant d’éléments extrêmement inquiétants qui imposent aux pouvoirs publics des actions et des mesures vigoureuses et colossales afin d’une part, de faire redémarrer l’outil de production et d’autre part, de relancer et de dynamiser l’activité économique. Si la première phase de l’action publique doit s’inscrire dans l’urgence et dans le court terme, la seconde doit se situer dans la durée et à moyen et long termes. Dans cette double perspective, la stratégie de l’Etat doit s’appuyer fortement sur une politique budgétaire expansionniste accompagnée par une politique monétaire très accommodante. Ainsi, les différents volets de cette politique budgétaire doivent être utilisés à fond et de manière complémentaire, parallèle et cohérente.

L’action par les prélèvements obligatoires

Il s’agira essentiellement dans ce cadre, de réduire la charge fiscale et sociale sur les entreprises et sur les ménages afin de recréer et d’accroitre aussi bien la demande d’investissement que de consommation. 

Au niveau des ménages, l’objectif essentiel attendu est de reconstituer en premier lieu, et augmenter en second lieu, la demande privée en agissant sur le revenu disponible et la consommation afin de répondre favorablement au redémarrage de la production et permettre aux entreprises de reconquérir les marchés perdus à cause de la pandémie. Ainsi, cet accroissement de la demande ira en parallèle avec la remise en marche progressive de l’outil de production permettant de réduire le chômage et mettre la population au travail. Un cercle vertueux peut être ainsi enclenché et qui a besoin d’être maintenu et renforcé dans le temps.

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Dans cette optique, l’Etat doit consentir des baisses et / ou des reports d’échéances fiscales et sociales au niveau principalement de l’impôt sur le revenu et de la TVA qui exercent des effets importants sur le pouvoir d’achat des ménages et sur leurs capacités de consommation et de dépense. Il est certain que l’impact de ces exonérations n’est pas tout à fait mécanique et total, néanmoins, leurs conséquences sont réelles et demeurent essentielles et efficaces. Il est vrai qu’une partie de leur action positive sera absorbée et atténuée partiellement par la propension à épargner des ménages qui est forte dans cette période très difficile et tout à fait incertaine et compliquée.

Au niveau des entreprises, l’objectif central est de soulager significativement leurs trésoreries fortement asséchées par la crise et de reconstituer leurs marges bénéficiaires anéanties par cette pandémie. Ce qui leur permettra de reprendre leurs dépenses d’investissement dans un premier temps et de les accroitre dans un second.

 Ainsi, l’Etat doit consentir d’importantes exonérations et avantages fiscaux et sociaux en termes de reports des échéances et / ou de réductions et suppressions des paiements fiscaux, de réductions de charges sociales selon le degré de sinistralité du secteur concerné…. Le non-paiement de l’impôt sur le revenu et surtout de l’impôt sur les sociétés et des cotisations sociales permettra aux entreprises de pouvoir disposer de plus de ressources de financement indispensables pour redémarrer l’entreprise à court terme et réaliser des investissements à moyen et long termes, afin de retrouver leurs situations d’avant la crise.

L’action par la dépense publique

L’autre volet de la politique budgétaire expansionniste est la réallocation et / ou l’augmentation des dépenses publiques qui sont de nature à agir sur la nature de la dépense et sur le niveau de l’investissement public et partant, sur l’effet et le volume de la demande publique.

La réaffectation de la dépense de fonctionnement doit constituer l’une des grandes priorités de toute stratégie de relance économique dans un contexte de grave crise et de difficultés budgétaires. Ainsi, la structure des dépenses de fonctionnement du budget de l’Etat doit être revue dans le sens de réduire au strict minimum les dépenses de matériel, les dépenses diverses ainsi que les charges de certains comptes spéciaux du Trésor qui apparaissent très élevées, particulièrement dans le contexte actuel de crise socio-économique profonde. Par conséquent, de larges économies peuvent être réalisées au niveau de ces dépenses qui seraient transférées vers la partie investissements de l’Etat qui doivent être renforcés et encouragés. L’austérité à ce niveau est une nécessité absolue. D’autant plus que le potentiel pour faire des grandes économies à ce niveau est large et inexploité. L’occasion est véritablement inespérée pour introduire et appliquer une nouvelle politique au niveau de cette catégorie de dépenses de l’Etat.

Il faut ajouter que cette impérieuse rationalisation de cette catégorie de dépenses est d’autant plus aisée, qu’il s’agit en partie de dépenses liées au missions, voyages, réceptions et autres séminaires qui ne sont pas , par ailleurs possibles à engager dans un contexte de fermeture des frontières, de distanciation sociale, de rencontres à distance…Ce qui facilitera toute politique active et rationnelle de réallocation de ces dépenses.

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L’investissement public constituera certainement un facteur fondamental dans toute véritable stratégie de relance économique et un puissant mécanisme de toute politique budgétaire expansionniste. La commande publique doit jouer un rôle central dans l’appui et l’accompagnement rapide et soutenu de l’activité des entreprises dans ces deux phases : atténuer les effets de la récession et la forte baisse de la demande globale et retrouver les voies et moyens de la croissance économique. Dans ce cadre, l’allègement des procédures au niveau du processus des marchés publics qui a été mis en place représente un facteur utile et facilitateur.

Une politique tous azimuts d’augmentation sans précédent de l’investissement public est devenue une urgence absolue et l’une des principales priorités du moment, afin de relancer l’activité des entreprises particulièrement dépendantes des marchés publics. Ceci est d’autant plus efficace, que ce sont des dépenses qui exercent des effets multiplicateurs les plus importants et un impact très large sur l’ensemble de l’économie. 

Dépasser les orthodoxies économiques 

La sortie de cette grave crise impose ainsi, la fin de l’orthodoxie budgétaire fondée sur les dogmes de la préservation des équilibres budgétaires et financiers et le respect de règles budgétaires strictes comme les 3% du PIB de déficit budgétaire, les 60 % du PIB de l’endettement public, un faible taux d’inflation… En effet, la relance économique se traduit automatiquement par une chute des recettes propres du budget de l’Etat et par un accroissement des dépenses publiques entrainant mécaniquement un large et profond déséquilibre entre les deux variables principales du budget de l’Etat. Cette indispensable rupture budgétaire serait de nature à desserrer les contraintes qui ralentissent l’action des pouvoirs publics dans ce domaine.

Il faut souligner que notre pays dispose de marges budgétaires assez suffisantes qui ont été reconstruites au cours des dernières années avec des déficits compris entre 3 et 4 % du PIB et qu’il faudrait utiliser à fond et de manière intelligente et efficiente. Des déficits allant jusqu’à 6% du PIB seraient soutenables et acceptables afin de relancer l’activité économique et créer à terme de nouvelles bases imposables et de sources de financement alternatives qui permettront de résorber les déficits élevés que nécessitent le contexte actuel. 

Les exigences de relance économique conduisent également à l’acceptation des niveaux d’endettement jamais atteints afin de pouvoir financer les plans de redémarrage et de relance de l’économie, même si ce taux se situe déjà à quelque 65% du PIB. Ceci est d’autant plus nécessaire, que les recettes fiscales connaissent et connaitront des chutes sans précédent au cours de trois prochaines années au moins, étant donné l’effet décalé dans le temps de la crise.

Le recours à l’endettement interne à travers essentiellement les bons du Trésor devra représenter l’une des modalités à privilégier, tout en essayant de ne pas entrainer un effet d’éviction important au détriment du financement des entreprises. Par conséquent, l’apport de la Banque centrale dans ce cadre est fondamental à travers l’injection de la monnaie dans les circuits économiques de manière à ajuster l’offre de crédit et garantir la disponibilité des instruments de paiement et de financement. C’est ce qu’on appelle l’hélicoptère monétaire.

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 Une véritable politique monétaire accommodante est donc nécessaire, utile et indispensable. Ce qui peut entrainer une hausse des prix qui dépendra fondamentalement de l’évolution de l’offre et de la demande. Il faut dire que les avantages d’une certaine dose d’inflation seraient plus grands que ses inconvénients dans le contexte de grave crise actuelle (allègement du coût réel de la dette, financement inflationniste de l’activité économique…). D’autant plus que le niveau d’inflation au Maroc demeure faible depuis plusieurs années.

L’endettement externe doit jouer un rôle principal dans le financement de l’accroissement des dépenses publiques et des déficits budgétaires afin de lutter contre la très forte dépression actuelle. Dans cette perspective, le parlement a autorisé le ministre de l’Economie, des finances et de la modernisation de l’administration à dépasser le plafond prévu dans le cadre de la loi de finances 2020. Ce recours qui s’ajoute à l’utilisation de la ligne de liquidité et de précaution du FMI de quelque 30 milliards de DH, sera fonction des besoins de l’économie et de la situation du marché financier international.

Il faut préciser que les conditions actuelles sur ce marché apparaissent assez favorables étant donné la disponibilité des ressources ainsi que leur coût qui demeure faible et attractif. Ce qui est de nature à desserrer l’étau sur le stock des ressources domestiques disponible pour notre économie, afin de permettre aux entreprises de disposer de financements suffisants et à bon marché.

Néanmoins, le financement par endettement ne doit être utilisé que pour couvrir les dépenses d’investissement de l’Etat génératrices de recettes fiscales et de rentrées de devises additionnelles à l’avenir, de manière à résorber les déficits présents et futurs et pouvoir faire face aux échéances ultérieures des emprunts contractés. L’affectation de ces nouvelles ressources financières ne doit nullement être consacrée à couvrir des dépenses ordinaires du budget de l’Etat.

Si le plan du redémarrage à court terme visant à permettre aux entreprises de tenir, de ne pas mourir et de refaire fonctionner l’outil de production devra nécessiter plusieurs semaines, voire des mois, la stratégie de relance à moyen terme qui permettra de retrouver des sentiers de croissance rapide et soutenue exigera un plan triennal et passera nécessairement par l’élaboration et la mise en œuvre d’une loi de finances rectificative. Certes, les incertitudes sont encore présentes et la visibilité quasi inexistante, mais une loi de finances rectificative doit être initiée et approuvée par le parlement au plus tard fin juillet, avant les échéances de préparation et d’approbation du projet de loi de finances de 2021. Cette loi de finances rectificative constituera la première tranche du plan triennal de relance économique et de reprise de la croissance qui sera poursuivi et renforcé au niveau des lois de finances 2021 et 2022.

Ces indispensables ruptures au niveau budgétaire et financier avec le réajustement du budget de l’Etat aux nouveaux impératifs de la crise seront de plus en plus accompagnées par la fin aussi de certains dogmes sur le plan international. Avec l’arrêt de l’hyper mondialisation, le début de la fin de l’ultra libéralisme, le renforcement des comportements nationalistes, le repli des zones de libre-échange …un nouvel ordre mondial est en train d’être dessiné. Ce qui représentera une belle et unique occasion pour reconstruire notre modèle économique de développement sur des bases nouvelles.

 
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