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Prix du médicament : le chantier encore inachevé

Peut-on considérer la baisse des prix des médicaments comme réelle et, partant, un gain pour les marocains ? Notre question n’est pas neutre tant sur le plan financier que sur le plan social. Il ne s’agit point de minimiser des acquis, mais seulement de les évaluer en se basant sur des chiffres officiels. par Driss Al Andaloussi

Sur les 5309 médicaments commercialisés au Maroc, 1574 ont subi des baisses soit 30 % du nombre total. Les baisses de moins de 5 dhs ont touché 41% des médicaments, 53% ont subi des baisses se situant entre 5 et 100 dhs et 6% seulement ont enregistré une baisse de plus 100 dhs. Sommes-nous devant une mutation de la structure et du niveau des prix des médicaments ? La Cour des comptes pourrait se pencher sur ce dossier prochainement comme l’ont fait d’autres organes de gouvernance. Une évaluation par cette institution est plus que nécessaire pour échapper à la lecture politicienne du prix du médicament ?
Nul ne peut considérer que l’ouverture par le gouvernement du dossier des prix des médicaments au Maroc n’exprime pas une volonté politique. La question de la cherté de ce produit vital pour la santé des marocains a mobilisé parlementaires, conseil de la concurrence, société civile et pouvoir politique, bien avant 2011. Le poids des lobbies était et reste fort en raison des enjeux financiers qui dépassent nos frontières et dont l’interdépendance consolide le rang des societés multinationales.

Regard à travers les chiffres

Au Maroc, le gouvernement met en avant ses réalisations dans le domaine des médicaments comme étant un pas inédit dans les annales des bilans gouvernementaux. C’est vrai, un premier pas a été franchi, mais reste en deçà des attentes des marocains, qui dépensent plus de dix milliards de dhs chaque année pour acheter des médicaments.
Entre le nihilisme et l’euphorie, il y a toute une ère qu’il faut explorer pour évaluer objectivement l’impact réel des baisses annoncées et pratiquées sur le pouvoir d’achats des malades et de leurs familles et sur les caisses de l’Etat. L’état des lieux de l’industrie du médicament nous permet de constater que l’outil de production est performant et que nous avons développé un tissu industriel, un réseau de grossistes et que nous disposons de centaines d’officines, même dans les coins les plus reculés du pays. Le revers de la médaille est fait d’une faiblesse de pénétration des médicaments génériques à prix modérés, de pratiques des prix de transfert anormaux que l’administration fiscale et douanière sont en train de combattre et de la persistance de prix supérieurs à ceux pratiqués dans d’autres pays plus développés et dont le revenu par habitant est plusieurs fois supérieur au nôtre.
Nous avons actuellement, des médicaments qui sont vendus au PPV (prix public de vente) au lieu des prix anciens comme le PPM, le prix hôpital et un prix issu des adjudications dont profitaient les adhérents des organismes de prévoyance et les mutualistes et l’hôpital public. Aujourd’hui, l’écart entre les prix intérieurs et extérieurs des médicaments est toujours grand et le tourisme pour shopping « médicament » existe et s’amplifie chaque jour. Rien ne vaut les comparaisons des prix pour étayer toute évaluation de la portée d’une décision en matière de prix. Mais nous devons noter avec une rigueur citoyenne que la liste des baisses est une avancée dans le bon sens. Certains prix ont certes subi de grandes baisses ayant atteint parfois 79% et que d’autres ont été soumis à des taux de baisse dépassant les 50%. C’est une première dans la lutte contre les situations de rente et un pas important pour que notre pays puisse disposer dans un avenir proche, d’une politique des médicaments. Pour l’instant, nous avons beaucoup de politiques à mettre en place dans le domaine de la santé. Nos déficits sont énormes et requièrent des efforts politiques et professionnels. La deuxième conférence de la santé du mois de juillet 2013 avec ses «INTIDARAT» a diagnostiqué le secteur et on est toujours à la phase d’attente d’une charte nationale. Les baisses sont là et nous devons les évaluer. Nous sommes dans l’obligation de dire que la baisse de 79 % n’a touché qu’un seul médicament, que seuls 4 ont bénéficié d’une baisse de 73% et qu’un seul a bénéficié d’une baisse de 72%.
Ces baisses ne sont pas à la hauteur de tous les discours qui ont meublé l’espace politique depuis plus de deux ans. Le détail est devant le lecteur et c’est l’ensemble du tableau qui doit être évalué.

Une lecture des prix dans le détail est nécessaire

Nous ne pouvons réduire cette évaluation à un petit échantillon de médicaments pour les présenter comme un triomphe sur la cherté de leurs prix. La lecture que nous présentons demeure, malgré son souci d’exhaustivité, incomplète et mérite d’être reprise par les services spécialisés du ministère pour affiner l’analyse des impacts des baisses sur le citoyen et sur les organismes de l’assurance maladie dans notre pays. Evaluer en fonction des baisses réelles et des types de médicaments les plus utilisés et les plus coûteux pour le budget des organismes et des ménages, renforcera l’analyse et la lecture objective. La baisse des prix des médicaments est un domaine où la vérification se lit et se fait par les citoyens et notamment, par ceux d’entre eux que le destin a mis en confrontation avec la maladie.
Le tableau qui suit est une présentation qui permet de faire la différence entre les baisses réelles et celles qui ne méritent pas d’être annoncées comme telles. Une analyse plus détaillée suit cette présentation. (Voir tableau 1)

Baisses à 1% : une réalisation à ne pas inscrire au bilan

La liste des médicaments ayant été intégrés dans la liste des baisses à 1% représente environ 21,20% de la liste totale des médicaments concernés par le décret. Il s’agit donc de 310 produits qui ne vont permettre que des économies allant de 1 dh à 5 dhs. Une grande partie de cette catégorie se situe entre 940 dhs et 400 dhs l’unité. Dans les niveaux des prix moyens dépassant 400 dhs l’unité. Très rares sont, par contre, les médicaments dont le prix se situe en dèca de 400 dhs. Le tableau ci-après reprend quelques exemples des baisses à 1%.
Quel est le but qui a été recherché par l’incorporation de 310 médicaments dans la liste des baisses? Est-ce pour gonfler artificiellement la liste afin d’amplifier les conquêtes du gouvernement dans ce domaine ?
Quelles que soient les réponses qui peuvent être apportées à ces questions ,il demeure important de répéter qu’une baisse de 1% relève de l’absurde et que les 310 médicaments qui ont reçu ce traitement homéopathique en leur faisant subir une artificielle cure de baisse. Economiser un montant de 4 dhs sur un prix de 800 dhs ou 2 dhs sur un prix de 400 dhs ne peut être significatif que pour le grossiste des médicaments, et non pour le citoyen malade obligé de dépenser et pour longtemps, un montant toujours cher.
C’est une question qui appelle à des réponses claires et non à de simples déclarations.
Le communiqué de presse relatant la réunion avec les professionnels à la veille de la publication des baisses de prix, fait un constat sur l’unanimité et sur « le haut niveau d’engagement des industriels des médicaments, des professionnels …. Et sur leur entière disposition à mettre en application la baisse des prix dans les délais impartis et dans les conditions requises de disponibilité, de qualité et de sécurité des médicaments… » . Si les professionnels sont satisfaits, c’est parce que leurs marges et les profits qui font la cherté des médicaments n’ont que légèrement été touchés. Les 1% et les 2%, voire les baisses de 10 % n’ont aucun effet notable sur les prix.

Des hausses ont touché 311 médicaments

Certains médicaments qui n’étaient vendus qu’à des prix hospitaliers et qui n’avaient pas de PPM, ont maintenant des PPV à côté du prix hospitalier. Ce passage au niveau du classement n’aura pas d’effet positif sur les prix. 311 médicaments vont connaître une hausse qui varie entre 1% et 39%. L’impact n’est pas léger sur la bourse des familles. La hausse des prix  se situera entre 31% et 39% pour 46,3% des médicaments qui seront officiellement dans les pharmacies après l’entrée en vigueur du décret. Le prix hospitalier présente des risques financiers pour les patients. Les pratiques de beaucoup d’institutions hospitalières privées en matière de facturation constituent une zone qu’il va falloir mettre sous toutes les lumières pour que le PPV ne figure pas sur les factures à payer. Les autorités publiques sont dans l’obligation de surveiller de près la question de la facturation et de sanctionner ceux qui peuvent faire du prix hospitalier un gisement de rente par la fraude. Nous avons signalé, lors du premier examen des données sur la baisse des prix, que les pharmaciens sont des relais très importants pour certains médicaments qui n’avaient qu’un prix hospitalier et qu’ils méritent,de ce fait, une marge raisonnable ,mais nous avons aussi attiré l’attention sur l’impact financier de ce passage du prix hospitalier au prix public de vente. Aucune mesure d’accompagnement pour alléger l’augmentation n’a été prévue. Le recours à ces médicaments se fait souvent pour des pathologies graves et sont destinés à des malades se trouvant généralement dans la précarité. Le tableau qui suit permet de lire les hausses qui vont toucher 311 médicaments. (Voir tableau 2)

Les baisses n’ont touché qu’une part très modeste

Sur 1466 médicaments ayant été ciblés par la baisse, 1077 se situent dans les niveaux de baisse de 1% à 28% soit 73,46% du nombre total. Les baisses de moins de 10% constituent 39,04%, alors que celles se situant entre 62% et 79% ne constituent que 1,5%. En examinant le niveau des prix de cette dernière catégorie de 31 médicaments, il s’avère qu’il est globalement inférieur par rapport à la structure des prix des autres médicaments. Seuls quatre de ces médicaments se situent à des seuils dépassant 1000 dhs l’unité. Il s’agit des médicaments qui suivent : (Voir tableau 3)
Les baisses qui se sont situées entre 51% et 56% portent sur 34 médicaments seulement. Les prix se situant dans cette catégorie et dépassant 1000 dhs l’unité sont au nombre 7, comme le montre le tableau ci-dessous : (Voir tableau 4)

Les prix issus des adjudications sont toujours déroutants

Les dernières adjudications de 2014 ne peuvent que confirmer les conclusions des différents dossiers que nous avons réservées au prix du médicament au Maroc. Les écarts sont grands entre ceux présentés par les sociétés qui se présentent aux différentes adjudications et ceux que le citoyen paie en pharmacie. Les écarts se situent entre 2149% et 450% pour les médicaments les plus chers. Le tableau reprend quelques exemples. (Voir tableau 5)
Les différences sont grandes au niveau des prix et pourtant, les laboratoires ne perdent pas sur le plan financier. Au moment où nos organismes de prévoyance et nos mutuelles doivent être confortés pour offrir à leurs adhérents les meilleures prestations à des prix raisonnables ne gravant pas leurs équilibres financiers, les autorités de tutelle décident  de fermer la pharmacie de la CNOPS et tentent de réduire l’action des mutuelles à des tâches bureaucratiques en les éloignant de l’acte de soigner et d’offrir des services de qualité à ceux qui sont dans le besoin. Au lieu d’encourager la mutualité et conforter les organismes de prévoyance, on tente de les fragiliser. Le malade ayant une carte AMO ou RAMED doit profiter d’un panier de soins aussi large que possible. Les décisions des autorités de tutelle doivent certes engager les organismes de prévoyance, mais le partage des coûts est aussi une affaire publique qui relève des actes de la responsabilité publique. n

 
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