Dossier

Projet de Loi de finances : Où ira votre argent public en 2016?

Le grand oral de l’argentier du pays est toujours un marathon. Devant s’étaler sur 70 jours, l’examen du PLF 2016 sera très délicat cette année. En quatre années d’exercice du pouvoir exécutif, le Chef du Gouvernement, Abdelilah Benkirane, a été autorisé à dépenser plus de 1300 milliards de DH. L’investissement budgétaire a dépassé 210 milliards de DH entre 2012 et 2015 et l’investissement public global a dépassé les 700 milliards de DH. Les effets de l’argent public sur les infrastructures sont relativement positifs, mais les impacts sociaux et notamment ceux relatifs à l’emploi, à l’éducation, à la santé publique et à la situation des couches sociales pauvres ne sont que faiblement visibles. Les déficits sociaux restent grands et les efforts à déployer cette année ne peuvent couvrir l’ampleur des besoins.

Lors de la présentation du projet de la Loi de finances 2016, le ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Boussaid a exposé l’ensemble des éléments qu’il faut prendre en compte comme étant stratégiques comme la sécurité, l’unité nationale, la réforme de l’enseignement et l’atténuation des déficits sociaux et des disparités spatiales. Faire passer le déficit du Trésor de 4,3% en 2015 à 3,5 % en 2016 est un objectif à atteindre en même temps que la réduction du ratio de la dette par rapport au PIB pour ne pas dépasser le niveau de 64% et gagner quelques points lors des prochaines années. Les grands projets structurants dans le secteur agricole et industriel ont été mis en avant en tant que leviers de croissance.

Le fonctionnement est budgétivore et des économies sont possibles.
Le taux d’intégration industrielle dans le sous-secteur automobile devrait passer de 40% à 80% et l’autosuffisance alimentaire est un objectif qui sera atteint à travers l’intensification de l’investissement dans le Plan Maroc Vert.
Les dépenses qui servent à couvrir les dépenses courantes de l’Etat continuent à représenter la charge la plus importante du budget de l’Etat avec un montant de 183 milliards de DH au titre de 2016, contre 195 milliards de DH en 2015 et 199 milliards de DH en 2014. L’année 2016 serait, en principe, l’année qui enregistrerait une baisse de 12 milliards de DH. Cette baisse ne serait pas le fruit d’une rationalisation des dépenses courantes au niveau des dépenses du personnel de l’Etat ou des rubriques relatives à l’achat d’équipements et de matériels, mais le fruit de la baisse de la charge relative aux charges communes qui couvrent les dépenses de la compensation qui vont s’établir à 15,5 milliards de DH. Les charges communes liées au fonctionnement vont passer de 52,6 milliards de DH à 38,1 milliards de DH, soit une diminution d’environ 14,5 milliards de DH. Cette baisse est due essentiellement aux prévisions relatives à l’allègement de la charge des produits compensés. C’est une hypothèse qui pousse à l’optimisme et qui se base sur le maintien des conditions actuelles du marché des produits énergétiques et de la stabilité « retrouvée » des marchés financiers.

La dette publique opère des ponctions sur  nos ressources limitées
Les autorisations qui seront données au gouvernement pour recourir à l’endettement au titre de l’année 2016, porteront sur un montant qui dépasse 70 milliards de DH. La composante « endettement » est toujours essentielle pour boucler le financement de notre budget. Le ministre Boussaid a affirmé la volonté du gouvernement à faire baisser les ratios de la dette par rapport au PIB et aussi par rapport à la structure globale du budget. Pour l’instant, il est difficile d’échapper au recours à l’endettement. Les 64% du PIB que représente la dette du Trésor préoccupent le décideur public et jette le « doute »  sur la soutenabilité de nos comptes extérieurs et notamment, lorsqu’on ajoute à l’encours de la dette du Trésor celui de la dette garantie. Les tableaux d’amortissement nécessitent une renégociation des maturités pour alléger la charge annuelle en intérêts et amortissements. En 2016, l’enveloppe qui sera affectée aux intérêts atteindra environ 28,3 milliards de DH, alors que les amortissements s’élèveront à environ 41 milliards de DH, soit un total de 69,191 milliards de DH représentant l’équivalent du montant de l’autorisation d’endettement qui sera demandée au parlement. La règle d’or qui consiste à affecter les ressources issues de l’endettement aux dépenses d’investissement, doit recevoir une application concrète pour ne pas augmenter les charges de la dette de l’Etat par des dépenses liées au fonctionnement.

L’investissement et le manque d’évaluation des impacts
Boussaid-Loi-de-Finance-Parlement-(6)L’investissement se trouve au centre des préoccupations des responsables marocains. La croissance dépend en grande partie de la qualité de nos infrastructures et celle de nos ressources humaines. «Le temps politique est très court» selon le Chef du Gouvernement et l’impact de l’action du gouvernement sur le bien-être de la population ne peut se faire sans investissements rentables, ciblés et bien menés. En quatre ans, les investissements budgétaires sont passés de 7,12% du PIB(2012) à 5,54% (2015). Leur montant a oscillé entre 48,5 milliards de DH(2012) et 58,9 milliards de DH (2013). Les chiffres de 2014 et 2015 n’ont pas pu atteindre le niveau de 2013. Le chiffre annoncé pour 2016 serait de 61,39 milliards de DH. La gestion des budgets d’investissements constitue un axe essentiel dans l’évaluation des politiques publiques. La nouvelle loi organique des finances met cette gestion au centre de ses objectifs. Gérer un budget d’investissement se fera dans l’avenir dans un cadre de responsabilisation des ordonnateurs et d’une plus grande souplesse et ce, dans un cadre de programmation pluriannuelle. Nous ne disposons pas aujourd’hui d’un outil de suivi de l’exécution des investissements. L’approche comptable qui sera de moins en moins présente dans la gestion permet, malgré sa normativité de constater l’ampleur des reports des crédits d’investissement et du retard pris dans l’exécution des projets. Le rapport économique et social qui accompagne le PLF, analyse les reports et leur exercice de rattachement. Les taux d’émission des crédits qui ont un rapport direct avec l’exécution des projets, ne dépassent que très rarement les 60% au terme de l’exercice et portent pour 2012 ,à titre d’exemple , sur des reports de crédits qui remontent à 2011, à 2010 et même à des années antérieures. Le PLF 2016 propose de procéder à l’annulation des crédits d’investissement reportés au titre des exercices 2012 et antérieurs qui n’ont pas donné lieu à des ordonnancements de janvier 2013 à décembre 2015. Le rapport économique et social lie cette situation à la faible capacité d’exécution. L’espoir d’aller vers plus de performance dans ce domaine est légitime. L’investissement public qui englobe outre l’investissement budgétaire, celui des communes et des entreprises et établissements publics est important et son évaluation l’est encore plus. Les lois de règlement sont appelées à connaitre une amélioration de fond pour donner une vue réelle sur l’exécution des projets qui sont censés produire et favoriser la croissance. Le rapport sur la distribution de l’investissement public par région est un pas qu’il faut renforcer pour une meilleure visibilité et surtout une meilleure évaluation.

L’impôt et son interminable chantier
Depuis 2013 , le discours sur l’impôt prend de l’ampleur. Les mesures fiscales qui doivent bouleverser notre système des prélèvements obligatoires sont toujours en chantier. Des pas ont été franchis dans la relation de l’administration fiscale avec le monde de l’entreprise et notamment, en matière de la TVA et prochainement dans le domaine de l’Impôt sur les Sociétés. La CGEM continue son plaidoyer pour un allégement fiscal qui tient compte du rôle de l’entreprise dans le secteur de la création des richesses et des emplois et les contraintes budgétaires ne permettent pas toujours d’aller au rythme souhaitable. Les nombreux chantiers doivent aboutir à une meilleure gestion basée sur la dématérialisation et la « télégestion » fiscale. Le DG des impôts souhaite que les déplacements physiques des contribuables à la DGI soient l’exception et que les techniques modernes de gestion de l’information prennent le pas pour améliorer la gestion et économiser les efforts des uns et des autres pour mieux les orienter vers la production de la matière imposable. Le PLF 2016 compte relever les recettes fiscales à environ 197 milliards de DH, dont 86,1 milliards de DH attitrés des impôts directs et 85,6 milliards de DH au titre des impôts indirects. Les recettes non fiscales demeureraient modestes et ne dépasseraient pas 15,5 milliards de DH. L’ensemble des recettes fiscales ne permettrait pas de couvrir les dépenses courantes de l’Etat. Celles-ci vont atteindre environ 217 milliards de DH. L’effort pour augmenter les recettes fiscales est toujours possible non pas à travers des augmentations des taux de prélèvement, mais par un accroissement de l’efficacité fiscale via une intégration progressive de l’informel et une meilleure exploitation des moyens techniques pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscale. En 2016, l’Etat continuera à rembourser la TVA aux producteurs et notamment, à ceux ayant des intrants d’origine agricole. Le butoir est toujours au centre des soucis, dont la solution va générer une amélioration de la trésorerie des entreprises concernées. L’IS deviendra progressif avec un barème exceptionnel à 4 taux allant de 10% à 31%. Les bénéfices équivalents à 300 000 DH ne seront imposés qu’à hauteur de 10%. Les tranches qui dépasseront ce seuil feront l’objet d’une imposition à des taux progressifs.

Les EEP : augmentation des subventions et baisse des produits
Certaines de nos entreprises et établissements publics vont générer des recettes dont le montant atteindra 8,33 milliards de DH. Le rapport sur les EEP accompagnant le PLF 2016 nous renseigne sur les transferts budgétaires effectués au titre des dix dernières années. Les chiffres montrent une évolution qui a fait passer lesdits transferts de 11,3 milliards de DH en 2004 à 25,2 milliards de DH en 2014. En 2016, le montant des transferts atteindrait les 25 milliards de DH. Le chantier de la rationalisation des transferts est toujours en cours au niveau du ministère de l’Economie et des Finances. Maitriser les volumes et les délais en fonction de l’état des trésoreries, est au centre des objectifs dont une grande partie a été réalisée, selon la DEPP. Les principaux clients des transferts restent les AREF, en tant qu’établissements publics dans le secteur de l’éducation et de la formation, (4,47 milliards de DH), L’ONCF (1,66 milliard de dh) les ORMVAs (1,42 milliard dh) les centres hospitaliers (1,3 milliard de dh) et la SNRT avec 900 millions de DH. Le besoin de fonctionnement et des investissements de ces organismes sont toujours grands et portent sur des projets structurants et ne peuvent, de ce fait, connaitre des allègements dans l’avenir.
Les réalisations au titre des produits provenant des Etablissements et Entreprises Publics, sont de moins en moins importantes. En 2013, la récolte a été relativement bonne avec 13, 32 milliards de DH provenant pour l’essentiel d’une dizaine d’organismes, dont notamment l’OCP, la Conservation foncière, IAM et Bank Al Maghrib. En 2014, ce montant a difficilement dépassé le seuil des 7 milliards de DH (fin septembre) sur un objectif de 10,8 milliards de DH. Les données de 2015 ne sont pas disponibles, même si l’objectif était fixé à 9,5 milliards de DH. Les prévisions de 2016 portent sur 8,33 milliards de DH. Cette diminution reflète l’évolution qu’a connue le désengagement de l’Etat du capital de plusieurs entités , l’orientation de l’OCP vers la valorisation et partant, vers de plus grands investissements et l’impact de la crise de l’immobilier sur les recettes de la Conservation foncière.

La compensation et le mur du ciblage
L’indexation a finalement fait le bonheur des gestionnaires du budget. L’évolution des prix sur le marché des produits énergétiques a facilité le passage en douceur de l’indexation et c’est grâce aux gains générés par la réduction des charges de la compensation que plusieurs objectifs ont été atteints durant les deux dernières années. Les 45 milliards de DH enregistrés en 2012 de la compensation sont passés à 10,56 milliards de DH à fin Septembre 2015 et pourraient atteindre 14 milliards à fin 2015. La réduction est substantielle et permet au gouvernement de disposer d’une marge de manœuvre en matière d’affectation des ressources disponibles. Le gaz butane reste la principale composante de la charge compensatoire, avec presque 65% des dépenses jusqu’à fin septembre, avec un montant des subventions qui a atteint 6,54 milliards de DH. Le sucre et la farine bénéficient d’une baisse de prix au niveau du marché international et la couverture des charges de leur compensation s’est par conséquent située à un niveau supportable. L’année 2016, devrait conforter la tendance vers l’allégement de la compensation. Le montant enregistré au niveau des charges communes ne devrait pas dépasser celui de 2015.
La problématique de la réforme de la compensation est toujours à l’ordre du jour, mais les dispositions de PLF ne prévoient pas de mesures allant dans le sens d’un ciblage en matière de distribution de l’aide publique à la consommation du gaz butane, du sucre et de la farine. C’est toujours un chantier difficile et coûteux sur le plan politique. L’état du marché international fait que la programmation d’une réforme profonde n’est pas d’une urgence absolue.

La retraite : le temps qui creuse les déficits et menace le système
Les discours se durcissent quand il s’agit de parler de la réforme des retraites et notamment, du régime des pensions civiles. Le gouvernement n’a pas encore annoncé de mesures et se contente de déclarer sa ferme volonté à réformer. Les liens avec les syndicats n’ont pas encore connu de détente. Passer en force est possible avec des syndicats « peu représentatifs » du monde du travail, mais les réactions ne pourraient être connues dans l’immédiat. Les acteurs politiques ne sont pas tous prêts à supporter le poids d’introduction d’une réforme pourtant nécessaire et stratégique.

 
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