Entreprises & Marchés

Regards croisés de la cgem et de la Banque Mondiale

Richesse immatérielle du Maroc. Dans le cadre du Mémorandum Economique Pays ( MEP) que prépare, périodiquement, la Banque Mondiale (BM), une rencontre s’est tenue avec la CGEM, le 25 septembre, pour engager un débat sur le thème «Société ouverte et richesse immatérielle : nouvelles perspectives de développement pour le Maroc». par Abdelfettah ALAMI

Le MEP s’inscrit dans le débat de la Banque avec les entrepreneurs marocains sur la problématique du capital immatériel et ce, suite à l’initiative de SM le Roi, dans son discours du Trône du 30 Juillet dernier, qui a invité le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), en collaboration avec la Banque centrale du Maroc (Bank Al Maghrib), et en coordination avec les institutions internationales spécialisées, à mener une étude permettant de mesurer la valeur globale du Maroc entre 1999 et fin 2013. «L’objet de cette étude n’est pas seulement de faire ressortir la valeur du capital immatériel de notre pays, mais également et surtout de souligner la nécessité de retenir ce capital comme critère fondamental dans l’élaboration des politiques publiques, et ce, afin que tous les Marocains puissent bénéficier des richesses de leur pays».

Lors de cette rencontre- CGEM-BM- il était essentiel que les parties prenantes aient une perception claire du potentiel du Maroc en la matière, des pré-requis et des ajustements nécessaires sans négliger le niveau de volontarisme politique de la part du gouvernement pour accompagner le mouvement de changement. Le représentant de la BM n’a pas manqué de rappeler à l’assistance que celle-ci partage ce souci des opérateurs marocains du fait que la valeur globale d’un pays «va bien au-delà de la production annuelle de biens et services marchands pour intégrer d’autres éléments immatériels tels que la qualité des institutions, la protection, le niveau d’éducation de la population, l’accès à des services publics de qualité et la bonne gouvernance ».

Si notre pays dispose d’un potentiel immatériel appréciable, les entrepreneurs présents à cette rencontre ont insisté sur plusieurs préalables pour la réussite de cette démarche, car il est évident que s’il faut parler des opportunités de l’immatériel pour notre pays, nous devons parler aussi des risques et dangers qui le menacent.

Un fort potentiel immatériel

Il n’est pas faux de nous inscrire avec le constat de la BM, s’agissant de la situation du Maroc, celle d’affirmer que la problématique de la croissance reste une «énigme». Notre pays dispose d’atouts très significatifs aussi bien en termes de capital matériel que de capital intangible.

En effet, le Maroc bénéficie d’une position géographique privilégiée ; il a réalisé de gros travaux d’infrastructures à travers tout le territoire et mis en chantier des stratégies sectorielles prometteuses. De même, des progrès notables ont été enregistrés en matière de stabilité des prix, la réduction de la dette publique, le renforcement de notre système financier, etc.

Mais, comme l’avait souligné le représentant de la BM à cette rencontre, là où le Maroc a gagné et la grosse part provient du capital immatériel comparativement à d’autres pays, comme l’Algérie ou la Libye qui disposent de ressources naturelles gigantesques, mais dont le capital intangible est plus faible. Selon les chiffres avancés par la BM, la partie immatérielle de la richesse du Maroc oscille entre 70 et 75% de la richesse totale, dont presque la moitié revient au capital humain ; la France se situe à un niveau de 85%. La «rupture institutionnelle» a été initiée, pour notre pays, par la Constitution de 2011 qui a intégré et consacré plusieurs composantes de cette richesse intangible : libertés, droits individuels et responsabilité, justice et respect de la règle de droit, droit d’accès à l’information, nouvelles structures pour la bonne gouvernance (conseils de la concurrence, des droits de l’homme, anti-corruption, etc.), renforcement de la séparation des pouvoirs, renforcement de la régionalisation dans le sens d’une réelle décentralisation. 

Le renforcement des institutions, tel que consacré par la nouvelle constitution, est pour la BM «une source fondamentale de la croissance de la richesse immatérielle» qui reconnait que le Maroc jouit d’une «très bonne image auprès des instances internationales de notation de risques qui reconnaissent la stabilité politique et sociale». 

Les dangers qui guettent notre richesse intangible

L’énigme auquel nous avons fait allusion précédemment, découle de ce constat qu’autant notre pays dispose d’atouts significatifs laissant présager des résultats élevés en termes de croissance, autant d’autres indicateurs soulevés aussi bien par le représentant de la BM que par les membres présents de la CGEM démontrent que le chemin est encore long en référence aux contraintes et blocages majeurs rencontrés par les entrepreneurs sur le terrain. Le benchmark cité dans la présentation de la BM où le Maroc se situe, aujourd’hui dans la partie des pays à revenus intermédiaires, de niveau bas «Lower Mic» est une illustration de ces inquiétudes. 

Parmi les contraintes, plusieurs points de fragilité ont été cités :

Un marché de travail rigide ;

Une politique fiscale créant une charge trop élevée pour les entreprises et représente un handicap élevé pour le recrutement de personnel qualifié;

– Plusieurs défaillances dans le système de la formation ;

– Des réserves de changes diminuées par deux depuis 2007 ;

– Des déficits budgétaires ayant creusé les déficits extérieurs, déficits résultant, d’après la BM non pas de la politique d’ouverture mais du déficit des comptes publics plombés par les dépenses de la compensation ;

– La faible intégration économique : les exportations marocaines ont été modestes par rapport à la moyenne des pays émergents qui ont multiplié par deux leur capacité de gain de marchés ;

– La défaillance de coordination entre le secteur public et le secteur privé et le peu de visibilité qu’ont les opérateurs économiques sur les politiques gouvernementales ;

Le phénomène inquiétant de la désindustrialisation par manque de compétitivité de l’entreprise marocaine aggravée par deux éléments majeurs :

La prolifération de l’informel. La patronne des patrons, Meriem Bensalah Chaqroun a signalé, lors de cette rencontre, un phénomène gravissime, celui de la fuite de sociétés opérant de manière formelle vers l’informel, à cause de cette concurrence déloyale ; 

L’absence de moyens pour la protection des actifs immatériels, en particulier la propriété industrielle qui représente, en fait, la valeur économique de l’innovation. Il s’agit de la protection du savoir-faire marocain de la contrefaçon, fléau où le législateur et les autorités laissent désarmé l’entrepreneur devant certaines situations qui empêchent la valorisation de la création.   

Quelle approche alternative ?

Le principe essentiel, et c’est la particularité de la démarche initiée par SM le Roi, est que la méthode de travail devra  être «adaptée au cas du Maroc et pas importée telle quelle d’une organisation étrangère aussi estimable soit-elle». C’est, d’ailleurs dans ce même sens qu’avait abondé le représentant de la BM qui a attiré l’attention de l’assistance sur les risques d’un «mimétisme isomorphe» et de faire du «copier coller». Il est important d’éviter «l’adoption purement formelle des fonctions d’autres Etats ou institutions sans avoir la fonctionnalité réelle et la capacité de mise en œuvre». 

Si la rencontre BM-CGEM a permis de conclure que le capital immatériel est une grille de lecture systémique de l’économie d’un pays, un état des lieux complet a été dressé par plusieurs intervenants et plusieurs préconisations ont été formulées permettant au Maroc de consolider son leadership dans le concert des nations qui  soit une source de prospérité durable.

Du côté CGEM, la Présidente de cette confédération a résumé les principaux pré-requis en trois éléments clés : confiance, bonne gouvernance et droit d’accès à l’information. La libre concurrence, disait-elle est d’«avoir la clarté, de la visibilité et d’instaurer les règles d’équité et combattre les privilèges».

Du côté BM, selon ses scénarios établis sur une échéance de 20 ans, «le Maroc  peut mieux faire» et le PIB par habitant pourrait atteindre 5000$/habitant. Mais, selon le représentant de cette institution internationale, il faudrait trouver les capacités et les conditions permettant la réalisation des réformes ; notre pays pourrait même connaitre une croissance de 5,5% au lieu de 2,5%, actuellement. Comment engendrer, alors, une croissance élevée, la maintenir et surtout la partager avec une réelle implication de la jeunesse et une forte inclusion des femmes ?

Pour cela, selon la BM, une nouvelle cohérence à long terme doit être centrée sur plusieurs axes dont : le recentrage de l’action de l’Etat sur «ses fonctions régaliennes», à savoir, la consolidation de l’Etat de droit, de la justice, de la libre concurrence, de la participation de tous, le renforcement des institutions et leur gouvernance, la promotion d’une véritable politique de développement du capital humain et du savoir.

A travers ces actions, notre pays pourrait atteindre une meilleure répartition de sa richesse nationale et garantir la prospérité des marocains. 

 
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