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Reprise de la coopération judiciaire et sécuritaire entre le Maroc et la France Les dessous de carte d’une crise

Mustapha Ramid, ministre de la Justice et des libertés et Christiane Taubira, ministre française de la Justice.

Les deux pays  ont finalement réussi à trouver une issue positive à la crise diplomatique qui a secoué leurs relations pendant près d’un an. François Hollande et SM le Roi Mohammed VI pourraient consacrer solennellement ce réchauffement, par une rencontre à Paris dans les prochaines jours. par S.A.

Cette crise a commencé il y a près d’un an, le 20 février 2014, lorsque des policiers, porteurs d’une convocation adressée par un juge d’instruction au directeur de la sécurité intérieure marocaine, font irruption dans la résidence de l’Ambassadeur du Maroc à Paris. Depuis, les relations entre les deux pays n’ont cessé de se dégrader. Avec cet incident, un élément clé des relations franco-marocaines s’est cassé : la confiance. Une initiative perçue par la partie marocaine comme une trahison, venant d’un pays avec qui on entretient une relation spéciale. Accuser de complicité de torture le patron du contre-espionnage et tenter de l’arrêter  dans l’enceinte même de l’Ambassade par des policiers, venus armés avec gilet pare-balles comme s’il s’agit d’arrêter un vulgaire criminel, a été considéré comme une humiliation de l’Etat marocain. Alors que la partie française s’est contentée de le considérer comme un incident regrettable et s’est réfugiée derrière le principe de l’indépendance de la justice.
La réaction du Maroc fut prompte et immédiate. Il suspend fin février 2014, la coopération judiciaire et sécuritaire et appelle à une révision globale de leur relation dans ces domaines. Depuis, les  incidents vont s’enchaîner : le 26 Mars, le Ministre des Affaires Etrangères, Salaheddine Mezouar subit une fouille humiliante à l’aéroport de Roissy-Charles De Gaulle. Le Maroc réagit et demande des explications et la France se contente d’exprimer encore une fois ses regrets. Ce deuxième incident est suivi par un troisième non moins grave : le 18 juin, l’opposant Mustapha Adib, réussit à s’introduire dans la chambre du Général de corps d’armée Abdelaziz Bennani, Chef d’Etat-major de la Zone Sud à l’hopital Val-de Grâce. Encore une fois, les protestations marocaines sont suivies par de tièdes expressions de regrets de la partie française. La crise culmine, avec l’inscription du Maroc sur une liste de pays à risque terroriste à ne pas fréquenter par les ressortissants français.  Le Maroc durcit alors le ton et le 23 octobre, le ministre de l’Intérieur déclare que le Maroc est plus sûr que la France, puisque ses services de renseignements ont réussi à arrêter un terroriste franco-marocain à l’aéroport de Casablanca, en provenance du territoire français. Mohamed Hassad déclare alors, qu’«avant de déclasser le Maroc, il faudrait d’abord s’occuper du classement des risques en France ».
La France enfonce le clou et son ministre de la Défense déclare que la France appuie les initiatives algériennes au Mali, en souhaitant que la rivalité marocco-algérienne n’interfère pas dans le processus en cours et en estimant que son pays n’avait pas à discuter de ce sujet avec le Maroc. Ce à quoi Salaheddine Mezouar à répondu, le 11 janvier,  par Jeune Afrique interposé : « Ces déclarations nous ont surpris…il s’agit d’accusation aussi infondées, qu’irresponsables que le Maroc rejette catégoriquement…que la solution aux problèmes maliens ne réside pas à Paris et encore moins à Alger…(et que) le temps de la tutelle est révolu… ». Haussant le ton, Mezouar conclut qu’«il n’y a pas chez notre partenaire français, de volonté politique réelle de faire obstacle aux manipulations anti-marocaines émanant de milieux connus pour leur hostilité à notre encontre. »
La crise semble alors s’enliser et le Maroc cherche à diversifier ses partenaires et à s’affirmer face à l’ancienne puissance coloniale. Des visites Royales sont annoncées en Chine et en Russie. Le Maroc se tourne vers les pays du Golfe, dont les investissements directs se renforcent et grignotent sur les parts de marchés français. Les Saoudiens remportent la deuxième tranche du plan solaire, marché de 3 milliards de dollars convoité par EDF. Les capitaux chinois progressent dans de nombreux domaines et les échanges avec la Russie se développent rapidement, surtout dans le domaine agricole. De même, le Maroc renforce ses positions économiques en Afrique de l’Ouest avec le Mali, le Sénégal et surtout la Côte d’Ivoire. Le temps où les ministres de l’Industrie et du Commerce et le chef de la diplomatie, assuraient que le Maroc pourrait être un hub entre la France et l’Afrique, semble révolu. Depuis le déclenchement de la crise entre les deux pays, le Maroc affirme désormais, qu’il est parfaitement capable de s’en sortir sans le concours de la France.
De nombreux observateurs s’interrogeaient sur les dessous de cette crise diplomatique et jusqu’où elle pourrait aboutir. Comment dès lors, décrypter cette tension née subitement entre deux pays alliés ? Que cherche la France à travers ses initiatives ? Le Maroc a-t-il commencé, à travers ses initiatives  économiques et diplomatiques, à gêner les intérêts français dans le Sahel et l’Afrique de l’ouest? La France a-t-elle succombé aux lobbies algériens et a-t-elle préféré sacrifier le Maroc sur l’autel des juteux marchés algériens ?
Rappelons que les coups portés au Maroc sont durs et ont atteint les principaux symboles de l’Etat marocain: les renseignements, la justice, l’armée et la diplomatie. Rappelons également, que la crise s’est déclenchée en pleine tournée Royale dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest et où le Souverain a effectué un long séjour de près d’un mois, accompagné d’une forte délégation  avec des ministres, des grands opérateurs économiques publics et  privés. La France a-t-elle été effrayée par l’ampleur de la délégation marocaine et le risque que les marchés à conclure (logement, infrastructure, banques, télécom…) ne grignotent sur les parts de marchés des entreprises françaises, déjà malmenées par la forte concurrence chinoise ?
La crise est-elle liée à la redistribution des cartes géopolitiques en Libye et au Sahel, où les deux pays n’ont pas la même approche ? Salaheddine Mezouar a donné quelques clés de lecture, en étalant au grand jour les désaccords franco-marocains sur ces deux dossiers. En fait, la France semble vouloir écarter le Maroc et traiter directement, au Mali avec l’Algérie et en Libye avec  Alger et le Caire. Or, le Maroc considère qu’il a des intérêts légitimes à défendre dans ces deux pays où il a lourdement investi sur le plan politique et également économique, et que dans ces deux pays, l’Algérie fait partie plutôt du problème et non de la solution. C’est l’Algérie qui a, selon Mezouar « inondé le Sahel et la Libye d’armes qui servent paradoxalement aux prises d’otages d’occidentaux, notamment des français » et ce pays n’a aucun intérêt à voir émerger un Mali stable ». Quant à l’intervention militaire qui se prépare en Libye, sous la conduite de la France avec l’appui de l’Algérie et de la Libye, elle est vouée à l’échec, selon le diplomate marocain. « Ne jetons pas de l’huile sur le feu. Amenons les protagonistes à la table des négociations. Ajouter de la violence à la violence, c’est selon Mezouar,  le choix de la facilité et le choix du pire».
Comme on le voit, les divergences avec la France ne sont pas nées de simples erreurs de protocoles de certains fonctionnaires zélés ou au respect de prétendus droits de l’homme bafoués. Bien au contraire, elles  portent sur des questions de fond se rapportant aux nouveaux enjeux géostratégiques liées à la gestion des crises malienne et libyenne. Quelque part, les stratèges militaires français ont considéré que la défense  des intérêts français au Sahel, passe par un compromis avec Alger et un recadrage des initiatives marocaines. Tout le reste, n’était qu’un habillage journalistique.
Néanmoins, les deux pays ont géré toutes les phases de cette crise avec beaucoup de retenu, sachant que chacune des parties risque d’y laisser des plumes. Finalement, à la fin de la dernière semaine de janvier, et à la suite de l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo,  la ministre française de la Justice, et son homologue marocain, qui s’est déplacé à Paris, ont trouvé un accord permettant le rétablissement «immédiat» de leur coopération judiciaire. Ce «dénouement heureux ouvre une nouvelle page dans nos relations, fondées sur la confiance mutuelle. Il va nous permettre de regarder vers l’avenir et de tourner la page» a déclaré  M. Mezouar  à l’AFP, qui a confirmé que l’accord judiciaire ouvrait aussi la voie à la pleine reprise de la coopération sécuritaire. Cette réconciliation pourrait aussi déboucher sur un sommet entre le Président Hollande et le Roi du Maroc, qui se trouve déjà à Paris en visite privée. Et dimanche dernier , la sœur du Roi Mohammed VI, la Princesse Lalla Meryem, a remis au nom du Souverain, au cours d’une cérémonie à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, une «distinction royale» à trois personnalités représentatives des religions monothéistes : un rabbin, un imam et un évêque, a annoncé Jack Lang, le Président de l’IMA. A travers cette cérémonie, le Maroc confirme son engagement aux côtés de la France dans la lutte anti-jihadiste.
Mais derrière ces marques de politesse, M. Mezouar, dans un langage peu diplomatique a, dans une déclaration au Monde, publié le mardi dernier, rappelé que le «le Maroc exige le respect et la considération». Autrement dit, que si la France a des intérêts au Mali et en Libye, le Maroc, a lui aussi ses intérêts qui doivent être pris en considération et la réconciliation avec Alger ne doit pas se faire à notre détriment.

 
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