Politique

Sahara: le doute est interdit

La proposition américaine d’extension de la mission de la Minurso a suscité des positions incohérentes et fébriles. Il est temps de remettre les pendules à l’heure. 

M

ohamed Sassi propose que l’on dialogue «sincèrement» avec le Polisario de l’intérieur, Talbi Alami, l’ex-ministre, parle lui d’un complot américain «d’Ikdim en Syrie», et le reste est à l’encan. La proposition de Rice, la représentante américaine à l’ONU a apparemment sonné les observateurs. Les éditorialistes rivalisent en politique-fiction. Dans ce genre de situation, le mieux c’est d’en revenir aux fondamentaux et de garder son calme, ce qui ne signifie pas abandonner la vigilance.

A l’heure où nous écrivions ces lignes, le vote du Conseil de sécurité n’a pas encore eu lieu, mais il est peu probable que ledit conseil adopte la proposition US en l’état. Le coup de semonce est cependant sérieux.

Néanmoins, il faut savoir dans quel cadre se joue la partie. Le conflit du Sahara est traité dans le contexte au point 6 du règlement du Conseil de sécurité. C’est-à-dire que les membres permanents s’interdisent d’imposer toute solution par la force et que leur rôle se limite à faire émerger une solution négociée, acceptée par toutes les parties. Le territoire contesté est considéré «sous administration marocaine». La proposition américaine tend à faire une brèche dans l’étendue de cette administration. Les Russes, par exemple, s’y refusent parce qu’ils y voient «un changement politique et juridique».

La Minurso s’embourbe de plus en plus dans les sables du Sahara marocain.

Politiquement, l’on sait depuis plusieurs années que la propagande algérienne a fait de la question des droits de l’homme son unique cheval de bataille. La proposition d’autonomie a désarçonné Alger. On l’oublie, mais nos voisins de l’Est avaient d’abord réagi en proposant le partage, avant de se rétracter. C’est dire s’ils étaient surpris par la proposition marocaine. Le référendum étant impossible à tenir, parce que la définition de la base électorale est impossible, la position du Polisario est intenable. Alger et les séparatistes, et ce depuis huit ans, ont alors tenté l’histoire des droits de l’homme. La diplomatie marocaine, quoi qu’on en dise, a réagi. D’abord en faisant la lumière sur la réalité des faits, c’est-à-dire l’absence de « violations systématiques et massives des droits de l’homme », ensuite, en menant la bataille sur les droits des réfugiés dans les camps. Seulement, les moyens mis en œuvre n’étaient pas comparables.

Il faut le noter, en dehors de toute autoflagellation abusive, le Maroc n’a pas su convaincre les ONG internationales. Malgré les innombrables visites, où celles-ci ont pu constater de visu le respect des libertés au Sahara, comme dans les autres régions du Maroc. Le rapport du département d’Etat doit être lu et relu. Il note qu’il n’y a pas eu de mort en 2012, comme s’il le regrettait et reprend quasi textuellement les ragots de la propagande adverse. Human Rights nous avait égratignés en se limitant à rappeler en deux lignes que l’association n’a pas été autorisée à se rendre à Tindouf. On peut y voir une injustice, un biais et c’en est un. Mais ce n’est pas en le criant sur tous les toits qu’on y changera quoi que ce soit. Il faut accepter que dans les grandes démocraties, les opinions publiques comptent. Les ONG sont imbriquées dans les rouages de la décision. Les options stratégiques obéissent à des intérêts, mais la pression des ONG est efficace sur des questions comme le respect des droits humains. La défaillance n’est pas uniquement celle de l’appareil d’Etat. Les ONG marocaines, sur ce dossier, n’ont pas réussi à être crédibles, ni efficaces. Les partis politiques ont un discours éculé, répétant à l’envi que notre cause est juste et que le consensus national est inébranlable.

Une cause juste n’est pas nécessairement victorieuse, les Indiens en savent quelque chose. Le Maroc, sans le Sahara, serait réduit à une presqu’île sans autre ambition stratégique que celle d’être un satellite de nos voisins. Cela ne correspond ni à notre histoire, ni à notre projet national. C’est cela qui fonde réellement le consensus. Le Maroc ne peut être séparé de l’Afrique par un Etat croupion à la solde des réserves pétrolières de l’Algérie.

A chaque développement, on ressort les «erreurs de gestion» du dossier. Elles existent, et en nombre. Faire d’une fonctionnaire fantôme de l’entraide nationale une vedette internationale, parce qu’elle n’a pas voulu porter la mention «marocaine» sur sa fiche de police, laisser s’installer le camp d’Ikdim, envoyer des émissaires sortis de nulle part, en font partie. Mais déjà sur le plan sémantique, le conflit concerne Sakia El Hamra et Oued Eddahab et non pas le Sahara occidental, territoire beaucoup plus vaste.

La  proposition américaine est de toutes les façons inapplicable sur le terrain, mais le coup a porté. Nous constatons que les Sahraouis unionistes ne sont pas écoutés à l’international. Le CORCAS est totalement transparent dans cette crise. Un élu istiqlalien n’a rien trouvé de mieux que de déclarer « nous au Sahara, cela ne nous a pas étonnés » en parlant de la proposition de Rice. Pour qui connaît bien le Sahara, l’erreur principale c’est la non prise en compte de la sédentarisation, de l’urbanisation et de ses effets sur le tribalisme, qui n’est plus le seul élément structurant de cette société.

C’est en confortant la société civile dans nos provinces du Sud, en appuyant, en toute transparence et dans le respect de leur indépendance les ONG nationales qu’on entamera la reconquête des opinions publiques. Mais il ne faut jamais oublier deux vérités : le conflit est algéro-marocain et sa résolution n’est pas pour demain. 

 
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