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Abdelmalek Alaoui: Marginaliser le Maroc serait une erreur géostratégique pour l’Europe

Dernièrement nous avons remarqué un changement de ton quand il s’agit des relations diplomatiques ou des différentes négociations maroco-européennes. Le président de l’Institut marocain d’intelligence stratégique, Abdelmalek Alaoui a décrypté ce changement de ton de la diplomatie du Royaume et a expliqué au passage pourquoi la relation Maroc-UE devrait être revue.

« Le Maroc d’aujourd’hui n’est pas le Maroc d’hier. Le Maroc n’a pas de complexe », n’a cessé de marteler le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita lors des récentes crises qui ont opposé le Royaume à l’Espagne, l’Allemagne ou encore la France.

Pour rappel, à l’occasion du 46ème anniversaire de la Marche verte, S.M. le roi Mohammed VI avait adressé un discours au peuple marocain durant lequel le souverain avait réaffirmé que la marocanité du Sahara n’était pas négociable. Le Souverain avait été clair sur le fait qu’aucune démarche d’ordre économique ou commercial qui exclurait le Sahara marocain ne sera entreprise. De ce fait, le Roi avait tenu à adresser un message aux pays qui afficheraient des positions floues ou ambivalentes sur la question, en écartant toute démarche commerciale entre le royaume et eux. Ceci était un message clair et ferme à différents pays à l’image de l’Allemagne, l’Espagne mais aussi à l’intégralité de l’Union Européenne.

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Il s’agit donc d’un changement de ton et d’approche qui marque la volonté de la diplomatie marocaine à établir un dialogue Nord-Sud d’« égal à égal », et d’en finir avec la verticalité qui a caractérisé les relations entre le Maroc et certains pays occidentaux, en particulier la France et l’Espagne, les deux ex-puissances coloniales. Cette diplomatie offensive et « décomplexée » est perceptible aussi bien dans les sorties de Nasser Bourita que dans celles des ambassadeurs du Royaume à l’image d’Omar Hilale.

Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, Abdelmalek Alaoui a livré une analyse globale inédite de ce virage entrepris par le royaume. Ce dernier a tout d’abord noté que lorsqu’un pays du Sud s’affranchissait de la position que l’Europe attend habituellement de lui, les commentateurs sont prompts à user des termes « direct » ou « affirmatif », alors que pour d’autres pays, on dit qu’ils « défendent leurs intérêts stratégiques ». Dans ce sens, le Maroc a désormais exprimé sa volonté que le dialogue Nord-Sud soit plus équilibré, d’« égal à égal », comme l’a affirmé le Roi Mohammed VI, depuis quelques années déjà, dans la doctrine marocaine de politique étrangère. De ce fait et depuis que le Maroc a réaffirmé sa volonté de rééquilibrer sa politique étrangère, d’anciens alliés comme de vieux adversaires ont souvent eu une réaction de repli.

De surcroît, le Royaume-Uni a démontré sa volonté de renforcer sa coopération – notamment économique et commerciale – avec le Maroc pour diversifier et renouveler ses alliances post-Brexit. Ce partenariat et rapprochement est tout à fait compréhensible. Les convergences et les complémentarités sont nombreuses avec le Royaume-Uni.

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D’une autre part, la résilience du Maroc pendant la pandémie sur son image à l’international a eu un impact positif. Beaucoup de pays se sont rendus compte de l’agilité du Maroc et de sa capacité à mobiliser ses forces pour faire fonctionner ensemble des acteurs et protagonistes qui peinaient parfois à se coordonner.

De manière générale, le pays suit une trajectoire exemplaire, peut-être même l’une des plus réussies au monde avec un taux de létalité parmi les plus bas de la planète et le taux de vaccination le plus important d’Afrique. Par exemple la décision de suspendre tous les vols entrants et sortants pour quinze jours ce 29 novembre afin de déployer un bouclier contre le nouveau variant est une excellente décision. Un certain nombre de pays s’achemineront vers ce type de solution dans les jours à venir et imiteront le Maroc. Certains, dont des pays européens, ont parfois critiqué cette ligne ultra prudente, mais à cette date, l’on observe que les faits donnent davantage raison au Maroc qu’à l’Europe, où les contaminations reprennent de plus belle.

La problématique des visas France-Maroc

Selon Abdelmalek Alaoui, la crise des visas n’est pas un sujet franco-marocain mais un sujet franco-français. De manière très politicienne, ce sujet a été introduit à quelques mois de l’élection présidentielle française, à un moment où le centre de gravité de la campagne a basculé très à droite, et que certains ont voulu préempter ce thème, faisant croire qu’il s’agissait d’immigration. « En effet, on reproche au Maroc de ne pas délivrer suffisamment de sauf-conduits pour les personnes en situation irrégulière faisant l’objet d’une mesure de reconduction à la frontière. Mais on oublie de dire que la très grande majorité de ces personnes sont des « harragas », des gens qui ont « brûlé » leurs papiers et qui ne disposent pas de documents d’identité satisfaisants au regard du droit international.

On voudrait donc que les consulats marocains émettent des faux papiers sans s’assurer de l’identité des personnes auxquelles sont délivrés les sauf-conduits ? Le processus de vérification de l’identité prend du temps, et se heurte souvent aux incohérences de la loi française et européenne, qui veut qu’on ne puisse maintenir des personnes en centre de rétention indéfiniment. » a ajouté Abdelmalek Alaoui.

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Il est donc important de revoir la relation entre le Maroc et l’Union Européenne

Les différents épisodes et péripéties parvenues les derniers mois avec l’Espagne, l’Allemagne ou encore la France ont été des signaux significatifs d’un besoin de revoir cette relation Maroc-UE. D’après Abdelmalek Alaoui, cette relation était asymétrique. D’un côté, l’Europe fait preuve de « volontarisme dans son discours » à l’égard du Maroc, en affirmant la prééminence du partenariat stratégique avec le Royaume et en attendant du Maroc qu’il soit une passerelle économique et commerciale, mais également une digue « sécuritaire » contre l’extrémisme, les trafics et l’immigration illégale.

En même temps, des entraves majeures sont mises devant le Maroc lorsqu’il s’agit d’exporter ses tomates ou de recevoir des investissements étrangers, certains menaçant même de « relocaliser » des industries. De ce fait, il faut d’abord dépasser le cadre actuel qui régit les relations Maroc-Union européenne pour que ce « partenariat stratégique » soit une réalité dans les faits. « Il y a donc une phase préalable de remise à plat des fondamentaux de la relation. Il ne s’agit plus de se cantonner aux chantiers tactiques ou aux urgences du moment, en fonction de la « météo » politique européenne. »

D’ailleurs et comme souligné ci-dessus le discours royal était, à plus d’un titre, fondateur et clarifiant. Le Maroc ne peut plus accepter de positions ambiguës dès lors qu’il s’agit de son intégrité territoriale. Le Maroc se doit aussi dorénavant négocier avec plus d’ambitions et de poids. Les cartes que détient le Maroc dans ce qui semble être un changement du rapport de force entre ce pays du sud de la Méditerranée et l’Union européenne.

En effet, le Maroc est un pôle de stabilité institutionnel et macro-économique dans la région. Le Maroc est profondément convaincu que le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée fait partie intégrante de la coopération sécuritaire et que la sécurité en Europe est étroitement liée à la stabilité dans la région méditerranéenne. Le Royaume est à ce titre incontournable au sud de la Méditerranée et comme porte d’entrée vers l’Afrique de l’Ouest. Le marginaliser serait non seulement une erreur pour l’Europe mais également une faute sur le plan géostratégique.

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Désormais très offensive sur la question du Sahara, la diplomatie marocaine exige de ses partenaires historiques, et en premier lieu l’Union européenne, un engagement sans ambiguïté sur la question. C’est une carte de choix que S.M. le roi Mohammed VI gardait jusqu’alors dans son jeu. Il s’agit ainsi pour le Maroc d’infléchir la position de nations souveraines, dont la ligne peut changer au gré des rendez-vous électoraux, et de gérer la relation globale avec l’UE, qui a elle-même un fonctionnement parfois tortueux.

 
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