Interview

« La situation de la demande pose un problème pour la relance du secteur »

Challenge : Quel regard portez-vous sur le marché de l’immobilier au Maroc ?  Quels sont les (autres) défis identifiés qui compliquent la donne ? 

Adnane Bajeddi : le marché de l’immobilier marocain va mal. Plusieurs constats alarmants appuient cet avis, à l’instar de la baisse du volume des transactions immobilières, la forte baisse des mises en chantier ou bien l’essoufflement de la demande. Je pense que la dynamique du secteur a été particulièrement impactée par le climat macroéconomique du pays. Durant les six dernières années, l’économie nationale a connu un net repli. Le taux de croissance du PIB est passé de 5,70% en 2011 à 1,2% en 2016. L’impact de ce ralentissement économique, qui s’est traduit par un attentisme chez les agents économiques et aussi par un risque d’investissement élevé, est perceptible sur les principaux indicateurs du secteur de l’immobilier.

Challenge : Quels sont les (autres) défis identifiés qui compliquent la donne ?

Aux conditions difficiles du marché, s’ajoutent en effet d’autres défis structurants auxquels se heurte l’offre. Dans ce cadre, je citerai, entre autres, d’abord le durcissement de l’acte de bâtir à travers l’introduction de la loi 66-12, relative aux infractions en matière d’urbanisme, et dont les dispositions me semblent démesurées. Aussi, la problématique de la rareté du foncier mobilisable en milieu urbain et périurbain pour la constitution d’une réserve foncière et le régime actuel de la taxation sur les terrains non bâtis (TNB) qui accentue la pression sur les promoteurs immobiliers. Par ailleurs, la dégradation des finances publiques, suite au ralentissement de l’économie nationale, a amené l’État à introduire de nouvelles restrictions fiscales qui nuisent à la fois à l’offre et à la demande. Sur ce dernier point, j’évoquerai, à titre d’exemple l’augmentation en 2016 des droits sur la mutation de la propriété qui sont passés de 1% à 1,5%. J’ajouterai l’application, dans le cadre de la Loi de Finances de 2017, d’un taux unique d’enregistrement de 5% sur les acquisitions foncières et ce, en substitution aux anciens taux de 4% et 6%, qui s’appliquaient en fonction de la durée envisagée pour la viabilisation et/ou le développement de l’assiette foncière acquise. Sans oublier la série d’augmentation des taxes sur les profits immobiliers depuis 2013.

Challenge : Quid de la demande ?

La situation actuelle de la demande pose un réel problème pour la relance du secteur de l’immobilier au Maroc. Selon les derniers chiffres publiés par le HCP, quasi 60% des ménages considèrent que leur situation financière ne leur permet pas d’investir dans des biens durables à l’instar de l’immobilier. C’est un chiffre bien inquiétant aussi bien pour le secteur que pour l’économie.

Challenge : Ni la baisse du taux directeur, ni celle des taux des crédits immobiliers ne semblent jouer en faveur du rebond des transactions. Comment expliquez-vous cela ?

Sur les trois dernières années, Bank Al Maghrib est intervenue à trois reprises pour revoir le taux directeur à la baisse, au vu du manque de liquidité dans le système bancaire marocain et aussi considérant le contexte économique national qui est caractérisé par une balance des risques orientée à la hausse. Aujourd’hui, ce taux qui vient d’être maintenu par la banque centrale se trouve à son niveau historique le plus bas à 2,25%. Les baisses successives du taux directeur se sont naturellement répercutées sur le taux des crédits destinés à l’immobilier, qui est passé de 6,50% en 2011 à 5.38% en 2016 et à 5,25% au 2ème trimestre de 2017, selon les chiffres publiés par Bank Al-Maghrib. Toutefois, et malgré la baisse notoire de ce taux, la demande pour les prêts immobiliers n’a évolué que modestement. En effet, du côté de l’offre, les crédits immobiliers promoteurs sont en continuel recul et ce, depuis 2012. Sur quatre ans, ils sont passés de 68.737 millions de DH à 57.178 millions de DH en 2016. Cette tendance baissière est due en particulier aux conditions drastiques de financement imposées par les banques en termes de garanties et apport initial. En parallèle, les crédits immobiliers acquéreurs n’ont connu qu’une modeste évolution sur les deux dernières années pour s’établir à 184.665 millions de DH en 2016. Force est de constater que le pouvoir d’achat des ménages marocains semble avoir été affaibli à la fois par la stagnation des revenus et aussi par la série de réformes à tendance inflationniste initiée par l’État. En revanche, l’introduction au Maroc de nouvelles formules de financement via les banques participatives pourrait éventuellement insuffler une dynamique positive sur le marché, notamment si l’on considère le nombre important de Marocains boudant les formules de crédits conventionnels. Ceci dit, il faudra patienter des mois, voire des années avant de pouvoir tirer les premières conclusions. 

 
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