Société

Société: 680.000 handicapés à l’abandon

A l’heure où le gouvernement annonce des mesures pour aider les malades mentaux, 680 000 personnes handicapées vivent dans la précarité. Depuis les personnes nées handicapées, à celles qui le sont devenues, petit tour d’horizon de cette population laissée pour compte. 

Il ne fait pas bon être handicapé. Au Maroc, moins qu’ailleurs, serait-on tenté de dire. C’est que les handicapés sont encore à cacher à la vue de la population. Sans ressources matérielles, ils sont acculés à la mendicité. On ne compte plus le nombre d’infirmes qui “font la manche” aux croisements et feux. Je me suis toujours demandé: comment font les handicapés pour vivre? Alors que rien ne semble adapté pour les valides, trouver des installations pour les handicapés relève de l’utopie. Quand, parfois, il arrive que l’on rencontre un aveugle sur la route, il se trouve quelques bonnes âmes pour le prendre par la main et le faire monter dans les transports en commun. Mais comment font tous les autres?
Certains, parviennent à une autonomie relative : “Etre aveugle ne m’empêche pas de vivre une vie normale. Je prépare mes repas comme tout le monde. Je prends quotidiennement le taxi de Berkane à Nador, et je rentre chez moi après le travail”, explique Kamal Chaiiri, président de l’Association Annour des Aveugles de Berkane. Si notre interlocuteur arrive à vivre une vie relativement normale pour sa condition, c’est un chanceux parmi les aveugles. “Au sein de notre association, nous essayons d’alphabétiser les jeunes aveugles, en leur apprenant le braille (écriture des aveugles). Nous comptons même des diplômés. Moi même, je suis fonctionnaire et professeur d’éducation islamique. Rachid Sebbahi est un autre aveugle célèbre, diplômé en sciences politiques, et employé à la RTM,” ajoute-t-il. Mais si les jeunes aveugles ont recours au braille pour se scolariser, ils ont du mal à s’insérer dans le tissu professionnel. Un exemple classique que celui de Chaiiri qui déambule dans les rues de Casablanca. Nous le rencontrons sur la Route d’El Jadida, alors qu’il se rend en ville: “les chauffeurs de bus ne s’arrêtent pas toujours pour me prendre. Certaines personnes me viennent en aide, mais cela dépend des jours et des heures”, explique-t-il. Nous le retrouverons, plus tard, dans le quartier des Palmiers, à mendier à un feu rouge.

Handicapé: pas toujours aidé, mais potentiellement autonome
C’est que les handicapés ne sont pas égaux devant leur mal. C’est le cas des handicapés moteurs, par exemple. Un hémiplégique (paralysé de jambes) dans son fauteuil motorisé explique: “on n’a pas l’espace pour circuler sur les trottoirs. Les passages pour piétons sont exigüs et souvent défoncés. On risque de casser son fauteuil. Pour ce qui est des transports en commun, ce n’est même pas la peine d’espérer. Les bus sont souvent bondés et ne nous prennent pas, tout simplement. Pour ce qui est des taxis, ce n’est pas toujours acquis. Si on était en Suède, les bus seraient équipés de rampes pour nous faire monter, et nous aurions des espaces réservés. On oublie souvent que dans ces transports, des espaces sont prévus pour les handicapés. Quant aux administrations, il arrive qu’elles aient des rampes d’accès, comme les polycliniques de la CNSS. Mais cela reste l’exception, et l’on est obligé de demander de l’aide. Dans les espaces publics, les toilettes ne sont pas adaptées pour accueillir un handicapé, à l’exception, peut-être, du Mc Donald’s.” Si un hémiplégique peut, à la limite travailler dans un emploi de bureau comme comptable ou agent administratif, les tétraplégiques (paralysés de quatre membres), eux, n’ont pas cette chance. Dans la ville de Ouezzane, Abdellatif El Jaouhari, père du jeune Ilias âgé de 17 ans, explique son calvaire : “mon fils est tétraplégique et souffre de pénylcétonurie (maladie hormonale). Du coup, il ne peut rien faire sans notre aide. Même pas  se nourrir, ni aller aux toilettes sans aide extérieure. Ma femme et moi, nous relayons en permanence pour prendre soin de lui.” Un tétraplégique est totalement dépendant de l’aide d’autrui. Lorsque ses parents ne seront plus de ce monde, Ilias sera à la charge de ses frères et soeurs. La piété filiale reste le seul espoir dans ces cas difficiles.
Le système D pour seule alternative
Dans ce domaine, l’intervention de l’Etat reste très limitée. Les initiatives pour améliorer les conditions de vie des handicapés demeurent à la charge des associations. L’Association Besma d’Ouezzane, se préoccupe aussi bien d’handicapés moteurs (paraplégiques) que d’handicapés mentaux (trisomiques et autistes) : “nous travaillons à leur donner confiance en eux-mêmes. Nous essayons de les rendre le plus autonome possible, quoique cela reste problématique. Les cours d’orthophonie, ou de psychomotricité, nécessitent beaucoup de moyens, ce dont nous ne disposons guère. Par le passé, nous bénéficions d’aides de la Municipalité et du Conseil Communal Provincial. Mais depuis trois ans, les aides de l’Entraide Nationale ont baissé de 75%. Mais nous continuons à travailler malgré tout,” explique Abdessalam Abbassi, président de l’association. A Erfoud, l’Association Sijilmassa pour l’intégration des sourds fait le même constat : “nous sommes un peu laissés pour compte. Peut-être à cause de l’éloignement. Mais nous continuons à donner notre temps pour réintégrer les handicapés”, regrette son président Jilali Mahfoudi. Pour Kamal Chaiiri le problème est tout autre : “nous louons notre local et devons supporter des charges minimales fixes, comme le téléphone, l’eau et l’électricité. Nous ne nous décourageons pas pour autant, et continuons à travailler. Mais cela serait tellement plus simple et utile, si nous disposions d’un centre pour agir à l’échelle de la région.”
Toutes les associations contactées se concentrent sur la scolarisation des handicapés. Selon les chiffres du Haut Commissariat au Plan, seuls 20% de cette population ont accès aux études, dont 70% se limitent aux études primaires. C’est là l’une des raisons pour lesquelles le taux de chômage chez les handicapés est deux fois supérieur à celui que connaît la population valide. “Nous comptons intégrer 10% des personnes handicapées dans le tissu professionnel”, explique M. Abbassi. Voeux pieux, lorsqu’on sait que 80% des handicapés resteront chômeurs. C’est là que Sabah Zemmama, présidente de l’Association Nationale pour l’Intégration des Personnes en Situation d’Handicap Mental (ANAIS) tire la sonnette d’alarme : “les grandes associations sont à bout de souffle, et  leurs moyens limités. Nous attendions des aides de l’Etat qui ne sont jamais venues.”

Les handicapés absents du champ juridique
Un autre problème se pose avec beaucoup d’acuité, celui du statut juridique de l’handicapé. Selon Mme Zemmama, de l’Association ANAIS, les choses sont loin d’être claires : “un handicapé n’a même pas de statut juridique. Ailleurs, ils sont pupilles de la nation. Les frais énormes que  nécessite leur situation ne peuvent-être supportés par les familles, elles-mêmes disposant de moyens modestes. Or, il n’y a rien de prévu pour remédier à la situation,” tempête-t-elle. Pour Nadira Barkallil, de l’Association Al Balsam des familles de personnes en souffrance psychique, le constat est le même: “au Maroc, la prise en charge des malades est très faible. Tant au niveau des lits d’hôpitaux que des médecins spécialisés. Par ailleurs, des régions entières sont enclavées et sans psychiatre. Même juridiquement, la maladie mentale a un problème de reconnaissance. On ne compte plus le nombre de malades qui finissent en prison, où ils sont soumis à des conditions de vie d’autant plus graves qu’ils sont déjà en souffrance psychique. Rares sont les personnes qui sont hospitalisées et qui bénéficient d’un suivi psychiatrique. Finalement, il n’y a pas de statut propre de la maladie mentale.”
Le cas d’Ilias Jaouhari soulève le problème. Sa famille a déposé un formulaire de reconnaissance de son handicap aux Ministères de la Santé et de la Famille. Mais la requête est, à ce jour, restée sans suite. Le souhait des familles d’handicapés ? Que soit mis en place un cadre juridique du statut particulier d’handicapé.
Une proposition émerge pour ce qui est des ressources financières des handicapés et de leurs familles. En raison du taux endémique du chômage dans cette population, et du manque de ressources financières, les familles demandent l’attribution de licences de taxis : “ce n’est qu’ainsi qu’on pourra mourir en paix. Avec l’assurance que l’enfant malade pourra bénéficier des soins et de l’aide dont il aura besoin toute sa vie.” Une manière d’assurer aux gens une Allocation d’Adultes Handicapés (AAH) comme cela se fait en France. Et pour que la piété filiale et la solidarité familiale ne soient plus le dernier refuge des invalides. D’autres demandent que ces agréments puissent servir à financer des hôpitaux de jour, et des installations appropriées.
Notons que, parmi les SDF, 40% sont malades mentalement, et un large pan sont des handicapés mentaux, ou trisomiques.
Il est temps qu’on prenne des mesures concrètes. “Aujourd’hui, les Associations sont seules responsables des handicapés, alors que nous ne devrions qu’être des acteurs. C’est à l’Etat de prendre des mesures et d’avoir un projet de société qui tienne compte de toute la population dans ses différentes composantes,” conclut Mme Zemmama. Les islamistes ont depuis longtemps joué la carte de l’action sociale. Reste à savoir si au gouvernement, ils oseront des mesures de protection et d’assistance.

 
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