Dossier

Statut auto-entrepreneur. Comme une lettre à la poste !

Pour faciliter l’exercice d’une activité entrepreneuriale et partant, réduire le poids de l’économie informelle, le gouvernement propose le statut d’auto-entrepreneur dont il vante la facilité et la simplicité. par Badya Khalid

Créer sa boîte en 2015 devrait passer comme une lettre à la poste ! C’est la promesse du gouvernement marocain faite aux quelque 300.000 nouveaux diplômés annuels pour les inciter à poursuivre leurs rêves entrepreneuriaux, au lieu de s’orienter vers le marché du travail traditionnel. Mais pas seulement. La promesse a surtout pour objectif d’inviter les acteurs de l’informel à intégrer l’économie nationale. L’enjeu est de taille. Selon les données du ministère de l’Industrie, l’informel représente environ 2,5 millions d’unités, avec des effectifs autour de 3 millions et génère 50.000 nouvelles unités par an. Le commerce reste le secteur de prédilection pour ces unités. Il est exercé par 280.000 personnes, fait vivre 1,3 million et réalise un chiffre d’affaires de 46.milliards de DH pour une rentabilité mensuelle individuelle de plus de 3.000 DH. Pour convertir ce marché parallèle en antichambre du formel, en vue de son intégration, le gouvernement semble avoir trouvé la parade avec l’adoption du statut de l’auto-entrepreneur par la chambre des Conseillers, en janvier dernier. Fini le travail au noir, finies les paperasseries et la lourdeur des démarches administratives. Ce nouveau statut va permettre à tout le monde de monter son petit business facilement, rapidement et légalement. Pour l’économiste Hammad Kessal, «les candidats potentiels à adopter ce nouveau régime seraient estimés à quelque 2 millions de personnes». L’obtention de ce statut se fera sur simple présentation de la carte d’identité nationale, à l’un des 1830 guichets de «Barid Al Maghrib», qui a l’exclusivité de la gestion du statut de l’auto-entrepreneur.

Propulsé patron «en toute simplicité» !

La désignation de  «Poste Maroc» comme interlocuteur unique et de proximité, n’est pas la seule mesure de simplification à destination du public intéressé d’exercer sous ce statut. D’autres mécanismes sont prévus pour l’encourager à s’inscrire sur le registre des auto-entrepreneurs. «Il s’agit de la dispense d’inscription au registre national du commerce, de la dématérialisation des procédures, notamment la déclaration, la cessation d’activité et la radiation. L’autre atout reste l’assouplissement des contraintes de domiciliation, vu que l’auto-entrepreneur peut tout simplement utiliser son lieu de résidence comme adresse officielle, qu’il soit propriétaire ou simple locataire», énumère Hammad Kessal, ajoutant le privilège d’une couverture sociale, jusque-là hors de portée de la majorité des travailleurs indépendants. Réda Benjelloun, Expert comptable-Commissaire aux comptes, HLB Maroc, abonde dans le même sens: «Ce régime créera un cadre juridique et fiscal propice pour l’auto-entrepreneur marocain, afin de lui permettre de développer ses revenus tout en bénéficiant, en plus d’une fiscalité souple et d’un régime de couverture sociale, d’une sécurité patrimoniale dans la mesure où la Loi interdit toute action judiciaire pouvant porter sur son domicile principal du fait des dettes pouvant naître de son activité». Réda Benjelloun précise également, que ce régime permettra surtout à l’auto-entrepreneur d’accéder à des marchés jusque-là fermés, en proposant ses services aux entreprises structurées qui exigent auprès de ses fournisseurs le respect des règles juridiques et fiscales (délivrance des factures, respect des conditions fiscales,…). Ce nouveau dispositif est aussi porteur d’inclusion financière puisqu’il permettra à ces travailleurs de devenir finançables par les banques et insérés dans les écosystèmes entrepreneuriaux. Pour le Département chargé des Petites entreprises et de l’Intégration du Secteur informel, relevant du ministère de l’Industrie, du commerce, de l’investissement et de l’économie numérique, les retombées d’un tel dispositif sont d’abord et surtout socio-économiques. Quant au volet fiscal, l’objectif n’est pas  tant d’augmenter les recettes, que d’intégrer les auto-entrepreneurs dans le régime fiscal. La simulation faite dans ce sens par le Département des Petites Entreprises et de l’intégration du secteur informel, les recettes ne dépasseraient pas une centaine de millions de DH.

Un avantage fiscal

L’adoption du régime de l’auto-entrepreneur s’inscrit en rupture de l’existant.
La nouveauté réside dans ses avantages en termes d’imposition. Ce taux d’imposition «light» est en effet attractif, puisque les unités opérant dans l’industrie, le commerce ou l’artisanat et réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 500.000 DH, seront imposées à 1%. Les auto-entrepreneurs offrant des prestations de services dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 200.000 DH seront taxés à 2%. Pour les défenseurs de ce régime «minceur», le plafond du chiffre d’affaires à ne pas dépasser n’est pas une limite, mais l’opportunité d’un démarrage en douceur sans être assailli par de nombreuses charges fiscales. L’activité sous régime auto-entrepreneur est exonérée de TVA, en revanche, elle reste soumise à la taxe professionnelle, à partir de 5 ans d’activité. Un privilège fiscal vu comme «une rupture de l’égalité de traitement devant l’impôt», ironise le patron d’une PME qui argue que le «franchisé en base de TVA vend en hors taxes, cela peut le rendre plus concurrentiel que les entreprises assujetties à cette taxe. Les sommes en jeux, avec une différence de 20% par exemple, peuvent être déterminantes et inciter le client à acheter plutôt à l’auto-entrepreneur».

Quid de l’entrée en vigueur ?

Autant commencer par la bonne nouvelle, Mamoum Bouhdoud promet l’opérationnalisation du statut de l’auto entrepreneur au courant de cette année. Que ceux qui veulent devenir auto-entrepreneurs pétitionnent :
le ministre chargé des Petites Entreprises et de l’intégration du secteur informel s’engage ainsi, à avancer sur les projets de décrets d’application relatifs au statut de l’auto-entrepreneur, en assurant que le premier auto-entrepreneur devrait bien être inscrit en 2015. Trois décrets d’application du statut de l’auto-entrepreneur sont en cours de finalisation. Ces textes devront être soumis, éminemment, à l’examen du Conseil de gouvernement pour approbation. Ils concernent notamment, les dispositions de gestion de ce statut, ainsi que les conditions et mesures incitatives incluses dans ce régime, entre autres les modalités d’inscription, de radiation et de réinscription et les métiers exclus, en plus des cotisations à la sécurité sociale. Wait and see !

Le statut de l’auto-entrepreneur en 20 questions

1   Statut de l’auto-entrepreneur, Quesako ?
C’est la nouvelle formule du gouvernement pour lutter contre le travail au noir et favoriser l’entrepreneuriat et l’auto-emploi, en facilitant les démarches au maximum. Le statut de l’auto-entrepreneur permet d’être son propre patron, correctement déclaré.  Un régime de liberté… surveillé, en quelque sorte !

2 Comment devenir auto-entrepreneur ?
Cela paraît simple comme bonjour ! Sans grand formalisme, la procédure a le mérite d’être simplifiée à l’extrême. Vous aurez besoin de vous munir de votre carte d’identité nationale et de vous déplacer à n’importe quelle agence de Barid Al Maghrib pour avoir votre numéro d’auto-entrepreneur. Vous voilà immatriculé sans frais, prêt à facturer !

3 A qui s’adresse ce régime ?
N’est pas auto-entrepreneur qui veut ! S’il est vrai que ce statut s’applique à toute personne voulant exercer une activité commerciale, industrielle, artisanale ou une prestation de service, certains individus et secteurs ne sont pas éligibles au régime. Dans la Loi, la liste exhaustive des métiers éligibles n’apparaît pas encore, mais il est d’ores et déjà certain que les professions réglementées sont exclues.  

4 Pourquoi pas moi ?
Dès lors qu’on se présente avec une carte d’identité nationale avec l’adresse de son lieu de résidence au Maroc, on obtient le statut. Cependant,  des MRE (Marocains résidents à l’étranger) ou des étrangers arrivant au Maroc, peuvent être séduits par ce nouveau statut. Mais voilà, pour s’inscrire au registre, il faut être résident mais pour être résident, il faut justifier d’un travail, ou du moins de détenir un titre de séjour permettant l’exercice d’une activité non salariée. On n’est pas sorti de l’auberge !

5 Quel est intérêt d’opter pour ce statut ?
Celui de générer des revenus sans subir les contraintes de l’entrepreneuriat classique. Pas de notion de capital social et aucun apport n’est exigé. L’auto-entrepreneur bénéficiera également d’un assortiment d’avantages liés aux régimes fiscal et de couverture sociale, ainsi que d’une exonération temporaire de taxe professionnelle.
Cerise sur le gâteau, il a la possibilité de domicilier son activité à l’adresse de sa demeure personnelle ou de celle d’un lieu commun à plusieurs entreprises.

6 Comment ça marche ?
L’auto-entrepreneur doit simplement faire une déclaration du chiffre d’affaires, mensuelle ou trimestrielle. L’auto-entrepreneur est dispensé de tenir des comptabilités poussées, comme le prévoit l’article 19 du Code du commerce.

7 Une fiscalité de rêve !
L’auto-entrepreneur paiera un taux simplifié calculé sur la base de son chiffre d’affaires mensuel ou trimestriel. Ce sera 1% pour les activités industrielles, commerciales ou artisanales, et 2% pour les activités de services.

8 Et la sécu?
Le gouvernement se dit déterminé à assurer une couverture à ces travailleurs indépendants. Les taux  de cotisations à la sécurité sociale ne sont pas encore fixés, mais ce seront des montants symboliques, adaptés à l’activité des auto-entrepreneurs et à leurs revenus. A noter que la sécurité sociale doit faire l’objet d’une loi spécifique comme le prévoit la loi  sur l’auto-entrepreneur .

9 Quid de l’assurance?
En matière d’assurance, il n’y a pas de spécificité pour un auto-entrepreneur : comme pour toute entreprise, il existe des assurances obligatoires et des assurances recommandées, en ce qui concerne la responsabilité civile professionnelle.

10 Et si je suis
cumulard ?
L’auto-entrepreneur peut exercer une autre activité, en parallèle d’une activité principale, c’est-à-dire en complément d’un autre statut comme retraité, ou salarié du secteur privé, du moment que son contrat de travail ne l’interdit pas.  
Une même personne physique ne peut créer qu’une seule auto-entreprise. L’auto entrepreneur peut cependant faire un cumul d’activités de natures différentes, accessoires ou distinctes.

11 Et si mon activité concurrence celle de mon employeur ?
L’auto-entrepreneur salarié ne peut exercer la même activité que celle prévue par son contrat de travail et auprès des mêmes clients, sauf accord de son employeur ! À défaut, il enfreint la bonne foi contractuelle et risque un licenciement pour faute. Mais même s’il ne s’agit pas d’une activité concurrente, il est toujours préférable d’informer son employeur de son projet d’auto-entreprise.

12 Quand déclarer mon chiffre d’affaires ?
L’option d’exercer sous le régime d’auto-entrepreneur, entraîne automatiquement une obligation de déclarer son chiffre d’affaires. Cette déclaration se fera au choix pour l’auto-entrepreneur, mensuellement ou trimestriellement auprès des guichets de Barid Al Maghrib.

13 Que se passe-t-il si je dépasse le seuil ?
La Loi de Finances prévoit des plafonds de 200.000 DH de ventes annuelles en prestations de services ou 500.000 DH de ventes annuelles en activités commerciales, industrielles et artisanales. Le fait de dépasser ces seuils pendant deux années consécutives, entraîne une radiation du registre des auto-entrepreneurs.

14 Et si je ne déclarais pas mon chiffre d’affaires ?
Là aussi, le texte se veut assez clair. L’auto-entrepreneur peut être radié en cas de non-déclaration du chiffre d’affaires ou de bilan nul pendant l’année suivant son inscription.

15 – Que se passera-t-il si je veux migrer vers l’entreprenariat classique ?
La transformation juridique équivaut aussi à l’exclusion du statut d’auto-
entrepreneur. Lequel reste tout de même redevable de l’impôt et du versement des cotisations sociales dus avant sa radiation.

16 En cas de cessation d’activité ?
Les formalités sociales et fiscales que doit effectuer un auto-entrepreneur qui souhaite cesser son activité, correspondent à celles qui ont prévalu pour la déclaration de son activité. Pour cesser l’activité, il suffit de demander une radiation. L’ensemble de ces démarches se réalise à un guichet unique.

17 Est-ce que l’auto-entrepreneur facture avec TVA ou pas ?
Le régime spécial de l’auto-entrepreneur bénéficie de la franchise en base de TVA. L’auto-entrepreneur ne facture donc pas de TVA. Sa facture doit porter la mention «TVA non applicable».

18 Quelles sont les pistes
du financement ?
La création d’un statut dédié, permettra aux banques de lancer des lignes de crédit adaptées à cette population. Le ministère de la PME et de l’Intégration de l’informel est en train de mener des concertations avec le système bancaire pour finaliser une ligne de crédit spécifique, avec un plafond indexé sur le chiffre d’affaires. Les auto-entrepreneurs seront plus compétitifs que leurs homologues exerçant au sein de PME, puisqu’ils sont exonérés de TVA.

19 Ai-je les compétences nécessaires ?
Qu’à cela ne tienne, l’ANPME serait en train de préparer des programmes de formation qui ont pour vocation d’aider l’auto-entrepreneur à se lancer et réussir. Dans ce sens, l’Agence aurait déjà négocié avec l’OFPTT (Office de la Formation professionnelle et de la Promotion du Travail) pour mettre gracieusement ses locaux et ses formateurs au service des néo-entrepreneurs. Une convention sera signée incessamment dans ce sens.

20 Auto-entrepreneur, électron libre?
L’auto-entrepreneur n’est pas livré à lui-même. L’utilisation d’Internet pour accomplir les formalités légales, pourrait renforcer ce sentiment d’isolement chez lui. L’auto-
entrepreneur ne doit pas hesiter à solliciter l’aide des compagnons de routes économiques mis à sa disposition. Le principe de structures d’accompagnement (sensibilisation, création d’un identifiant fiscal, procédures de migration, comment tenir une comptabilité simplifiée,…),  aurait déjà été adopté. Ces structures seraient chapeautées par l’ANPME. 

 
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