Fiscalité

Stefanie Stantcheva : «Les pays taxant le plus les plus riches sont ceux où les niveaux d’inégalités sont les plus bas»

Jeune professeure à l’université Harvard (Etats-Unis), Stefanie Stantcheva, avait reçu à 33 ans le Prix du « meilleur jeune économiste 2019 ». Récompensée à l’époque pour l’excellence de ses travaux sur les politiques fiscales et leurs effets sur les individus, elle explique dans une interview accordée au magazine Society comment les gens perçoivent et ressentent les phénomènes économiques.

Si aujourd’hui  la fiscalité apparait comme un domaine de recherche déjà largement balisé, Stefanie Stantcheva, professeure d’économie à l’université Harvard, également chercheuse associée au National Bureau of Economic Research, a apporté du nouveau. Elle s’est intéressée à deux angles jusqu’ici peu explorés : tout d’abord, les effets à long terme des politiques fiscales, en matière d’innovation, d’entrepreneuriat, de mobilité sociale et professionnelle, ensuite, une analyse des déterminants des comportements et des opinions de tout un chacun vis-à-vis de la fiscalité. 

L’objectif de ces recherches est, en croisant modèles théoriques et données inédites, d’améliorer la conception des politiques fiscales. Pour Stefanie Stantcheva, c’est parce que c’est essentiel. « Le ressenti des individus, leur perception de leur situation, de celle de la société dans laquelle ils vivent, est ce qui détermine la façon dont ils vont ensuite se positionner sur des questions comme l’impôt, la justice sociale, la redistribution », dit-elle.

Pour analyser tout cela, la jeune chercheuse indique mener des enquêtes à partir de questionnaires en ligne auprès d’échantillons représentatifs de la population. « Dans l’une d’entre elles, effectuée dans six pays, dont la France, on démontre par exemple que plus les gens croient qu’il y a de la mobilité sociale dans leur pays –en gros, plus ils pensent qu’un pauvre a de chances de devenir riche–, plus ils sont prêts à tolérer une certaine inégalité de revenus, et donc à être contre la redistribution à travers l’impôt.

Or, il s’avère justement que les perceptions qu’ont les gens de la mobilité sociale dans leur pays sont assez fausses », précise Stefanie Stantcheva, notant que les Américains, par exemple, sont beaucoup trop optimistes. « Ils croient encore beaucoup au rêve américain de réussite, alors qu’en réalité, l’ascenseur social est en panne dans leur pays. Mais c’est cette croyance dans le rêve américain qui pourrait donc expliquer en partie leur aversion pour plus de redistribution ». Quid des Européens ?

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Aux yeux de la jeune professeure, en revanche, en Europe, et notamment en France, les gens sont excessivement pessimistes. « Ils s’imaginent qu’il est plus difficile pour quelqu’un issu d’un milieu défavorisé de s’en sortir que ce n’est le cas. En fait, en moyenne, la mobilité sociale est un peu meilleure en Europe qu’aux États-Unis », précise-t-elle, notant qu’en France, par exemple, la mobilité sociale reste basse. « En France, on constate notamment que si on n’est pas sur la bonne voie avant 30 ans, il est difficile de grimper l’échelle sociale ensuite », souligne Stefanie Stantcheva, se défendant tout de go de verser dans les clichés habituels. C’est pour cela, ajoute-t-elle, il faut plus interroger les gens, au moyen d’enquêtes bien conçues, quantitatives, précises, dans le but d’affiner nos connaissances.

« Dans d’autres enquêtes, j’ai aussi démontré que les personnes fortunées imaginent que les moins riches sont plus riches qu’ils ne le sont vraiment. Et que les personnes défavorisées voient les autres plus pauvres qu’ils ne le sont en réalité. Or, ces erreurs de jugement affectent leur opinion sur les politiques à mettre en place. En corrigeant ces erreurs, on constate que les opinions des gens évoluent », fait-elle savoir.

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Sur  les perceptions et les ressentis des gens vis-à-vis de l’immigration, la jeune chercheuse indique que les gens ont des idées complètement erronées sur les immigrés. « Dans mes enquêtes, je commence par demander aux personnes combien elles pensent qu’il y a d’immigrés et quels sont, selon elles, leur profil économique et leur niveau d’éducation. Et ce que l’on constate, c’est qu’il y a un énorme biais de perception: les gens pensent qu’il y a beaucoup plus d’immigrants qu’il n’y en a vraiment, mais aussi qu’ils sont plus au chômage, plus pauvres, beaucoup moins éduqués qu’ils ne le sont dans la réalité », souligne-t-elle.

D’après Stefanie Stantcheva, sur ce sujet, toutes les catégories ont tort, les gens ayant un haut niveau d’éducation et fortunés comme les autres. Or, ajoute-t-elle, cela affecte, là encore, leur opinion sur les politiques économiques à mener. Car plus les gens pensent qu’il y a d’immigrés et plus ils s’imaginent que ces derniers sont pauvres, moins ils se montrent favorables à des mécanismes de transferts sociaux, d’assurances maladie ou de redistributions fiscales.

Interrogée sur l’une des études à laquelle elle a participé et qui a démontré que le fait de taxer fortement les hauts revenus n’avait pas d’impact négatif sur la croissance, la jeune professeure a confirmé cette conclusion. « Ce que l’on a fait, c’est que l’on a regardé tous les pays depuis 1960 et que l’on s’est demandé s’il y avait une corrélation entre les taxations sur les très hauts revenus et la croissance, et on s’est rendu compte qu’il n’y en avait pas.

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En gros, les pays qui taxaient le plus les plus riches n’ont pas connu une croissance moins forte que ceux qui les taxaient peu », explique-t-elle, faisant constater en revanche, l’existence d’une corrélation entre le niveau des inégalités et le niveau de taxation des plus hauts revenus. « Les pays taxant le plus les plus riches sont ceux où les niveaux d’inégalités sont les plus bas. Mais il est difficile de savoir ce qui cause quoi: est-ce que les inégalités étaient faibles au départ? Ou est-ce que c’est justement l’impôt qui a permis de les corriger? »

 
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