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Tabac: La réforme casse sa pipe

Avec la TIC minimale de 53,6%, si les opérateurs veulent conserver leur marge, ils sont obligés d’augmenter les prix. Cela fera le bonheur de la contrebande et des Algériens.

Que ce soit du côté d’Imperial Tobacco ou de BAT, chacun a usé de ses moyens pour réduire l’impact de la décision du gouvernement de changer la taxation. La réforme était bien partie, jusqu’à ce qu’un paragraphe, ajouté à l’article 5 du projet de loi de réforme de la fiscalité du secteur, ne vienne tout bousculer. Détails…

Samedi 24 novembre, le projet de Loi de Finances 2013 est adopté par la Chambre des représentants. S’il n’y a pas eu de grandes surprises par rapport à la première mouture déposée par le gouvernement, la petite phrase ajoutée à l’article 5 du projet de loi est venue apporter un changement radical. Un rebondissement, quasi-inattendu qui vient annuler l’effet de la réforme du régime de taxation dans le secteur. Et pour cause, en matière de taxe intérieure à la consommation (TIC), la première mouture de la loi introduisait, d’une part, une taxe fixe appelée taxe spécifique, tout en baissant, d’autre part, le taux de la taxe variable existante. Cependant, une décision de dernière minute de l’Exécutif a introduit un changement de taille en fixant une TIC minimale de 53,6% du prix de vente public (PVP). Suite à ce volte-face du gouvernement, pratiquement tout a changé pour les tabatiers.

Une augmentation de 3 dh est envisageable sur les marques de luxe!
Sur les marques de tabacs premium dont certaines sont fabriquées localement et d’autres importées, la différence est de taille. Avec la première version de la loi, la simulation faite par Challenge avait permis de montrer que le rapport entre le total des taxes par rapport au prix de vente (ratio taxe/PVP) allait progressivement baisser. De 67,5% en 2012, il allait passer à 55,7% en 2015, après avoir été de 64% en 2013 et 60,2% en 2014. Au lieu de cette baisse des taxes, avec la ligne ajoutée au texte, le ratio taxes/PVP sera systématiquement de 69,67%, soit une augmentation de 2,17 points par rapport à la pression fiscale actuelle. Toujours selon la simulation réalisée par Challenge, sur un paquet de cigarette de 32 dirhams, cette nouvelle disposition se traduit par une taxe supplémentaire de 0,71 dirhams par paquet de 32 dirhams pour les caisses du Trésor. C’est autant de marge en moins pour les cigarettiers. Or, sur un paquet de 32 dirhams, après avoir payé toutes les taxes ainsi que la marge du buraliste, les cigarettiers n’encaissaient qu’un prix de vente (HT) de 8,8 dirhams. Au final, il ne leur reste plus que 8,1 dirhams, avec le nouveau texte. Du coup, pour retrouver leur marge actuelle, ils seront obligés d’augmenter leur prix jusqu’à 35 dirhams, pour le paquet qui en coûtaient 32, accentuant au passage les écarts de prix entre les segments. Comme l’a rappelé, en substance, le Conseil de la Concurrence, cela conduit vers un système pervers. «Les nouveaux entrants sont incités à aller vers l’importation et la vente en l’état, au détriment d’un processus d’industrialisation et de fabrication au niveau local, créateur de valeur ajoutée pour l’économie nationale et générateur d’emplois». Somme toute, bien que cette disposition avait pour objectif de rétablir un certain équilibre entre les opérateurs du secteur, elle n’a malheureusement pas eu l’adhésion de ces derniers. Au regard de certains tabatiers, avec cette disposition, la réforme est loin d’avoir tenu ses promesses. «La montagne a accouché d’une souris», s’insurge l’un d’eux. Pour lui, «l’augmentation des taxes et des prix ne sera profitable ni aux opérateurs, ni à l’Etat. Elle fera uniquement le bonheur de la contrebande». En effet, la TIC minimale laissera, comme auparavant, les recettes fiscales de l’Etat à la merci des stratégies de prix établies par les fabricants. Et d’ajouter que: «l’Etat préserve, par cette mesure, le monopole d’Imperial Tobacco Maroc, dans la mesure où la TIC minimale n’aura aucun impact sur le segment de produits populaires dans lequel Imperial a le monopole avec Marquise».
De plus, cette réforme s’éloigne du modèle européen que les experts, notamment le Conseil de la Concurrence, avaient souhaité adopter, lequel ne requiert pas une incidence fiscale minimale.

Juste une affaire de British…
À travers cette mesure «l’exécutif cherchait à atténuer l’impact de la taxation spécifique», confirme une source proche du dossier. Car comme le souligne Imperial Tobacco Maroc (ITM) «lors de la première mouture du PLF 2013 nous avons attiré l’attention du législateur sur l’inéquité fiscale entraînée par la réforme. Alors que la pression fiscale des produits de luxe importés était réduite, celle des produits populaires locaux était amenée à augmenter». L’opérateur historique a fait même des propositions concrètes à l’administration des impôts, où ils appelaient «à assurer l’équité fiscale pour éviter que les consommateurs les plus pauvres paient relativement plus de taxes que les consommateurs les plus riches», argumentant du coté de ITM. Justice est faite désormais, et l’on peut aisément déduire que la proposition de taxation des produits de luxe fait partie des doléances du ITM. Or, l’opérateur historique paraît encore non satisfait. Selon lui, «bien que la version du PLF 2013 amendée et votée inclut une disposition interdisant la baisse de la pression fiscale sur les produits de luxe, l’équité fiscale n’est pas assurée pour autant». Et pour cause ITM trouve que «la pression fiscale sur les produits de luxe augmentera de 4,8 % la première année et stagnera les années suivantes, tandis que celle des produits populaires locaux augmentera de 11% en 2013, et de 25,5% sur les trois prochaines années». De leur côté, British American Tobacco (BAT), qui a joué son va tout en attaquant de front les dispositions de la Loi de Finances se voient éconduit dans leur démarche. Il faut dire que ce dernier n’a pas ménagé ses efforts en matière de lobbying. Une réaction compréhensible sachant qu’il base son business model sur l’importation.
L’opérateur a donc dû plier devant un arbitrage gouvernemental. Le nouvel entrant admet depuis même à demi-mot, la position de l’exécutif. A moins que le passage à la deuxième Chambre ne représente l’occasion d’une nouvelle salve. Car, si la Loi de Finances a été adoptée dans la première Chambre le circuit risque de se compliquer au niveau de la seconde. L’opposition étant encore majoritaire à la Chambre des conseillers. Ce qui rendra d’autant plus compliquée l’adoption du texte final. En tout cas, dans la configuration actuelle, les finances de l’Etat s’y retrouvent puisque le manque à gagner souligné dans l’argumentaire de l’opérateur historique est désormais compensé. C’est le plus important, surtout pour un budget d’austérité. Par ailleurs, la question de la santé publique est reléguée au second plan. Faut-il le rappeler, la taxe sur le tabac brun est resté très faible, là où celle sur le tabac blond explose.
Or, de l’avis des spécialistes, le taux de goudrons, substance cancérigène, est autrement plus élevé dans le tabac brun que dans le blond.

 
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