Interview

MAO Jun :« Le Maroc et la Chine explorent de nouvelles pistes de coopération dans le domaine de la santé »

Encore plus au cœur de l’actualité mondiale depuis le déclenchement de la crise du coronavirus, la Chine a démontré une grande capacité à affronter cet ennemi invisible, en même temps qu’elle fait face aux coups de boutoir de certains de ses concurrents mondiaux. Entre le bannissement de Tik Tok aux États-Unis, l’arrestation de Meng Wanzhou, numéro 2 de Huawei, la gestion de la pandémie et ses relations avec le Maroc, M. MAO Jun, Chargé d’affaires de l’Ambassade de Chine, nous donne dans cette interview quelques éléments de réponse sur l’Empire du Milieu face à ses défis.

Quelle est aujourd’hui la situation concernant la pandémie du coronavirus en Chine ?
Challenge : Grâce aux efforts solidaires du gouvernement et du peuple chinois, la Chine a été parmi les premiers pays à mettre la Covid-19 sous contrôle. Mi-mars, il n’y a eu pour la première fois aucun nouveau cas local confirmé. Début mai, toutes les villes et districts étaient à faible risque, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de cas confirmé ou il n’y avait aucun nouveau cas confirmé depuis 14 jours consécutifs. Depuis juin, certaines régions telles que Pékin, Liaoning, Shandong, etc., ont subi un rebond des cas de contamination. Mais avec la détection prompte, l’action rapide, le contrôle ciblé et le traitement efficace de ces gouvernements locaux, le nombre des cas confirmés existant dans le pays entier est inférieur à 2.000.
La vie civile retourne à la normale, la reprise du travail et de la production est sur la bonne voie. Certes, nous sommes encore confrontés aux défis de l’éventuel rebond dans quelques endroits et au risque d’importation de cas.
Nous allons continuer à mettre en œuvre une approche préventive contre les cas importés afin de garantir la santé du peuple et la reprise complète de l’ordre économique et social.

Quelles leçons le monde peut-il retenir des méthodes de gestion de cette crise par la Chine ?
L’union fait la force. La solidarité et la coopération sont les armes les plus puissantes pour vaincre le virus. Pour la Chine, c’est avant tout la solidarité entre le gouvernement et le peuple. Le gouvernement s’efforce d’élaborer le plan de contrôle et communique sans tarder les informations sur la pandémie aux citoyens afin de les informer des mesures mises en place, des connaissances scientifiques acquises sur le virus.
Deuxièmement, c’est la solidarité entre le gouvernement central et les gouvernements régionaux. Trente provinces du pays ont mobilisé plus de 340 équipes médicales et plus de 42.000 agents médicaux au secours de la Province du Hubei au début de la crise.
Troisièmement, c’est la solidarité entre la Chine et les autres pays du monde. Au moment crucial de la lutte de la Chine contre la pandémie, la communauté internationale, y compris le Maroc, nous a apporté des soutiens importants.

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Et que dites-vous des doutes,dont certains médias occidentaux, quant à la véracité des chiffres de la pandémie en Chine ?
En Chine, il y a une expression qui dit « la personne innocente n’a pas besoin de se justifier ». Il y a aussi une autre qui dit « les rumeurs seraient prises à tort comme vraies à force de les faire circuler ». Sur la véracité des chiffres de la pandémie en Chine, certains médias occidentaux jouent un rôle négatif, de sorte que les fausses nouvelles sur les données de la Chine se multiplient. Ici, j’aimerais vous dire, de manière responsable, que les statistiques publiées par la Chine sont complètement ouvertes, transparentes et peuvent résister à l’épreuve de l’histoire. L’OMS ( Organisation Mondiale de la Santé, ndlr) , les institutions de recherches scientifiques et les professionnels ont tous confirmé la crédibilité des chiffres chinois qui suivent les lois scientifiques.

Quel est aujourd’hui l’état des relations entre le Maroc et la Chine et ses perspectives à moyen et long terme ?
Durant la visite d’État de sa Majesté le Roi Mohammed VI en Chine en 2016, sur invitation du Président XI Jinping, les deux Chefs d’État ont annoncé conjointement l’établissement du Partenariat stratégique sino-marocain. Depuis lors, nos relations bilatérales sont entrées dans une phase de développement rapide. La confiance politique mutuelle n’a cessé de se renforcer. La coopération et les échanges ont connu de grands progrès sur tous les plans. Depuis l’apparition de la Covid-19 au début de cette année, la Chine et le Maroc ont fait preuve de compréhension et de soutien mutuels et mené une coopération efficace et fructueuse contre le virus.
Les relations sino-marocaines ont donc de belles perspectives pour les années à venir. Je suis convaincu que sous la conduite des deux Chefs d’État et sur la base solide de l’amitié traditionnelle entre les deux pays, le partenariat stratégique sino-marocain saura saisir les opportunités offertes par, entre autres, l’initiative « la Ceinture et la Route »*, et réalisera des avancées sans cesse au profit des deux pays et des deux peuples.

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Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le niveau des échanges entre les deux pays ?
La Chine est actuellement le troisième partenaire commercial du Maroc. Le volume commercial des deux pays se stabilise autour de 4 milliards de dollars ces dernières années. Cette année, malgré l’impact de la Covid-19, les échanges entre les deux pays ont fait preuve d’une assez grande résilience. Au premier trimestre, le volume commercial a atteint 1,008 milliard de dollars, soit une augmentation de 1,03% par rapport à l’année dernière. Avec la mise sous contrôle effectif de l’épidémie, la reprise des activités et l’accélération des échanges humains, le commerce entre les deux pays sera doté, j’en suis certain, d’une nouvelle vitalité.

Quels sont les projets menés par les deux pays et quels impacts en attend chaque partie de ces collaborations ?
L’établissement du partenariat stratégique sino-marocain et la signature du mémorandum d’entente sur la construction conjointe de « la Ceinture et la Route » ont offert une nouvelle opportunité aux deux pays sur le plan de la mise en synergie de leurs stratégies de développement et de l’élargissement de leur coopération pragmatique. Depuis lors, les projets de coopération se sont multipliés dans les secteurs traditionnels comme l’innovation. La Centrale solaire Noor Ouarzazate, la Centrale thermique de Jerada, les unités de fabrication de CITIC DICASTAL, déjà mis en place, sont très favorablement accueillis par la partie marocaine. Les projets du Centre de la médecine chinoise, de l’École « Atelier Luban » et de la plateforme numérique de l’éducation informatisée, en phase avancée de leur préparation, sont aussi très attendus de part et d’autre.
De plus, les deux pays sont en train d’explorer de nouvelles pistes de coopération dans le domaine de la santé et dans la lutte contre la Covid-19.

Sur le plan international,le Président Donald J.Trump a décidé d’interdire Tik Tok, réseau social chinois, aux USA pour « risques d’espionnage ». Quelle est la réaction de la Chine par rapport à ce sujet ?
Jusqu’à présent, les soi-disant raisons pour lesquelles le gouvernement américain juge l’application Tik Tok comme une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis restent théoriques. Ils n’ont présenté aucune preuve. Généraliser le concept de sécurité nationale pour menacer l’entreprise concernée, avec une présomption de culpabilité, viole les principes de l’économie de marché, d’ouverture, de transparence et de non-discrimination de l’OMC ( Organisation Mondiale du Commerce, ndlr) . Même des personnalités américaines contestent et critiquent cette décision.

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Cette démarche est-elle, à votre avis, une mesure de rétorsion vis-à-vis de l’interdiction en Chine de réseaux sociaux américains ?
Je ne voudrais pas présumer ni juger le point de départ du comportement de la partie américaine. La partie chinoise espère sincèrement que la communauté internationale œuvre ensemble à maintenir l’environnement de marché ouvert, juste, équitable et non-discriminatoire et à promouvoir la relance et le développement de l’économie mondiale.

Cette affaire vient s’ajouter à celle du géant Huawei dont la numéro 2, Meng Wanzhou, est actuellement retenue au Canada. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette affaire et la position de la Chine ?
Huawei, une société privée chinoise dans le secteur des TIC, est à l’avant-garde dans le domaine de la technologie 5G. Mme Meng Wanzhou, sa vice-Présidente et directrice financière, a été arrêtée sans motif puis détenue par la police canadienne à la demande des États-Unis lors de son escale à Vancouver en 2018. À ce jour, elle est en liberté sous caution au Canada. Début 2019, le Département de la Justice des États-Unis a annoncé des accusations sans fondement contre Huawei et Mme Meng. Le Département américain du Commerce a placé Huawei et ses filiales sur la “liste noire” pour rompre leurs liens commerciaux avec les sociétés américaines. Et des entreprises d’autres pays ont aussi été sommées par les autorités américaines à cesser de fournir Huawei en pièces détachées.
Le gouvernement chinois demande toujours aux entreprises chinoises de se conformer aux lois et réglementations dans la coopération économique avec l’étranger. Nous nous opposons à la mise à l’écart d’entreprises spécifiques de certains pays, en violation des lois du marché et des principes de concurrence loyale, sans aucune base factuelle et sans aucune preuve solide. Tout comme l’incident de Tik Tok, l’incident de Huawei est de nature politique. Les deux sociétés ont été réprimées uniquement pour leur identité chinoise. L’objectif des États-Unis est de maintenir son monopole dans la haute technologie et de priver d’autres pays du droit légitime au développement. Cette pratique va à l’encontre des principes du marché et des règles du commerce international et porte atteinte à l’environnement du marché international libre. Nous exhortons les pays concernés à traiter sérieusement la position et les préoccupations solennelles de la Chine, à se garder de politiser les actes commerciaux et les critères technologiques et à résoudre correctement l’incident concernant Mme Meng Wanzhou le plus tôt possible, selon la réalité des faits et en fonction de leurs propres intérêts.

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Quels sont les impacts de ces différentes affaires sur les relations entre la Chine et les USA ?
Depuis quelques temps, les États-Unis ont adopté un ton et une série d’actions erronées, telles que la répression des sociétés chinoises de haute technologie, afin d’attaquer le système politique de la Chine, faire obstacle aux échanges et à la coopération normaux entre la Chine et les États-Unis. Ils ont même introduit un soi-disant “découplage” avec la Chine. La position chinoise sur les relations sino-américaines est claire et constante. La Chine s’attèle à construire des relations sino-américaines basées sur le non-conflit, la non-confrontation, le respect mutuel et le gagnant-gagnant tout en défendant résolument sa souveraineté, sa sécurité et ses intérêts de développement. La Chine estime que les deux pays doivent renforcer leur dialogue et leurs échanges dans une perspective stratégique de long terme en prenant en compte les intérêts fondamentaux des deux peuples et des peuples du monde entier. Les relations sino-américaines doivent être réorientées sur la bonne voie caractérisée par la coordination, la coopération et la stabilité.

*« La Ceinture et la route » : c’est le grand projet initié par le Président chinois XI Jinping et qui a pour vocation de revitaliser les anciennes routes de la soie afin de désenclaver une partie du territoire chinois. C’est un méga-projet, d’une envergure inédite, qui va redessiner le paysage géopolitique mondial. Selon le géographe Michel Fournier, « il vise à rouvrir et aménager des routes commerciales qui, pour certaines, empruntent les célèbres et antiques  » routes de la Soie  » suivies par les caravaniers du IIe siècle avant notre ère au XVe siècle ». Le projet concerne et inclut plus de 60 pays avec une vocation géo-économique, une route terrestre, une autre maritime. « La Chine veut ainsi marquer son engagement dans la mondialisation sans frontières », détaille le Géographe. Le premier souci de la Chine est d’intégrer à son marché intérieur ses provinces de l’Ouest (Xinjiang, Tibet, Yunnan) en les faisant bénéficier de débouchés commerciaux. Pour cela, le pays veut réduire les distances – et donc le temps – sur le continent eurasiatique en faisant circuler des trains entre le marché chinois et européen. La Chine est en effet en surcapacité de production dans beaucoup de domaines (acier, matériel ferroviaire etc.) et elle veut exporter ses biens industriels. Aucun Etat dans le monde n’a aujourd’hui un projet de cette ampleur. Quelque 29 Chefs d’Etats et de gouvernements ont pris part en mai 2017 au Sommet de coopération internationale « La Ceinture et la route ».

 
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