Tribune et Débats

Un modèle de développement sans réflexion stratégique, est voué à l’échec. Handicaps et paradoxes économiques du Maroc [Par Anas Abdoun]

Un Nouveau modèle de développement sans stratégie économique claire et coordonnée, a peu de chance d’aboutir. Pour Anas Abdoun, Analyste en prospective économique et géopolitique chez Stratas Advisor, qui nous livre ses pistes de réflexion quant à la stratégie nationale que pourrait suivre le Royaume, le Nouveau modèle de développement dégage certes des aspirations, mais ne met pas le doigt sur les handicaps et paradoxes du Maroc dans sa volonté de développement.

Le Nouveau modèle de développement dégage des aspirations, mais ne traite en aucun cas les principaux handicaps et paradoxes du Maroc dans sa volonté de développement. Sans entrer dans les débats de paradigmes économiques, même si l’on garde les références libérales dont se revendique historiquement le Maroc et que l’on compare avec les benchmarks historiques de développement économique, nous nous apercevons très vite qu’il y a deux facteurs indispensables à tout développement économique dont ne bénéficie pas le Maroc en l’état actuel des choses. Le principal handicap que rencontre le Maroc est d’ordre démographique.

Si la Corée du Sud par exemple a pu se développer dans les années 50 avec 25 millions d’habitants en se reposant sur son marché interne, aujourd’hui c’est une population qui ne permet plus l’émergence économique du fait de la très grande connexion des échanges internationaux. Ainsi, là où 35 millions de consommateurs étaient suffisants pour porter l’industrialisation d’un pays, il faut aujourd’hui entre 80 et 100 millions d’habitants pour enclencher un développement économique significatif. C’est la raison pour laquelle ces 20 dernières années dans les pays réellement émergents, nous comptons la Turquie, le Brésil ou encore le Mexique, des pays fortement peuplés respectivement à 80, 120 et 220 Millions d’habitants.

Le Maroc, avec une classe moyenne qui oscille entre 15 et 25 millions d’habitants selon la méthodologie de décompte, ne peut pas se reposer sur sa population pour enclencher une accélération économique comme l’ont fait tous les pays avant lui. Notre pays connait également un paradoxe important qui est d’ordre commercial. Si l’on se concentre sur l’ensemble des pays développés sans exception, nous remarquons toujours le même procédé. Le développement économique passe inéluctablement par l’industrialisation et pour ce faire, les pays appliquent des politiques de protection des industries industrialisantes.

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En somme, même pour l’ensemble des pays développés qui suivent la doxa libérale, le développement s’est opéré par un protectionnisme économique pour garantir la compétitivité de l’industrie nationale avant de s’ouvrir progressivement au marché au fur et à mesure de la compétitivité grandissante des industries nationales. Or ces 25 dernières années, bien que le Maroc soit devenu un pays à revenu intermédiaire, il a signé plus d’une cinquantaine d’accords de libre-échange, dont beaucoup avec des pays avec un avantage compétitif largement plus important. Ainsi, privé d’une protection douanière et tarifaire et d’une démographie importante, le Maroc ne peut pas imiter les benchmarks de développement existants, et se doit donc d’inventer plus qu’un modèle, une stratégie de développement.

De la nécessité d’une réflexion stratégique

Naturellement, l’ensemble des études économiques sectorielles sur le positionnement de la chaine des valeurs et les opportunités du Maroc sont intéressantes, mais elles sont paradoxalement victimes de leur véracité méthodologique. On voit une parfaite maitrise des procédés méthodologiques qui ont vu le jour dans les pays développés. Or, ces études sont pensées pour des économies développées et complexes qui cherchent à gagner un demi-point de croissance là où le Maroc doit chercher à doubler sa croissance économique.

Plus que des études sectorielles ou une réflexion sur une nouvelle politique fiscale, le Maroc a besoin d’une pensée stratégique avec tout ce que cela implique. Si un modèle de développement met en évidence les orientations et les objectifs économiques, la stratégie réside dans l’ensemble des politiques publiques et de coordination par l’État des acteurs économiques pour réaliser les objectifs dudit modèle.

Ainsi, l’Allemagne a un modèle industriel de très haute valeur ajoutée, mais c’est la stratégie du plan du Chancelier Gerard Schröder intitulé Agenda 2010, qui a permis à l’Allemagne de devenir la puissance industrielle qu’elle est aujourd’hui. L’Allemagne a pensé à une stratégie pour booster son modèle de croissance économique qui consistait à profiter du cadre de libre-échange de l’Union européenne, d’influer sur la Commission européenne en vue de garder un euro fort et d’ajouter une flexibilité du travail et du salaire, sachant pertinemment que les pays industrialisés de la zone euro tel que la France et l’Italie ne pouvaient politiquement adopter de telles réformes.

Ainsi, en seulement 10 ans l’Allemagne a creusé son PIB avec la France de 8% en plus de fortement augmenter sa balance commerciale avec les pays de la Zone euro. De la même manière, le Maroc doit adopter une vision stratégique pour pousser sa croissance industrielle en dépit de l’impossibilité de recourir au protectionnisme économique et d’une démographie limitée.

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Dans ce cas de figure singulier, le Maroc doit reposer sa stratégie économique sur la ZLECAF ( La zone de libre-échange continentale africaine, ndlr ) en adoptant une stratégie de protectionnisme et de compétitivité sectorielle. En effet, si les industries occidentales sont beaucoup trop compétitives pour être concurrencées par les industries marocaines, le marché africain a une particularité importante qui met le Maroc dans une position géo-économique très avantageuse. Le principal critère de la classe moyenne Africaine dans ses biens de consommation, reste le prix avec un salaire moyen nettement inférieur au reste du monde. L’Europe ne peut vendre des véhicules et de l’électroménager avec un coût de production qui est élevé. La délocalisation permet de gagner en coût de production pour être réexportée sur le marché européen pour les classes les plus populaires, mais pas pour un marché comme celui de l’Afrique.

En somme, pour qu’une voiture se vende en grand nombre, il faudrait que son coût soit nettement inférieur à celui d’une Dacia par exemple. C’est précisément ce qui explique le succès de Tata Motors (Tata Motors Limited, anciennement connu sous le nom de Telco, est le plus grand constructeur automobile indien, ndlr) qui a pensé et construit des véhicules pour le marché indien. Tata Motors visait ainsi les masses indiennes et malgré les accords de libre-échange que l’Inde avait signés, se retrouvait à l’abri de la concurrence des constructeurs européens et japonais qui ne pouvaient concurrencer en termes de coûts et de logistique le géant indien qui produisait bon marché et localement. L’Inde bénéficiait en somme, d’un protectionnisme sectoriel qui lui a permis un développement certain.

Le Maroc a là, une opportunité de penser une stratégie de développement industriel à l’abri de la concurrence internationale en se reposant sur le marché Africain et la vaste zone de libre-échange continentale. Le savoir-faire technique des sous-traitants et des industriels marocains, leur permet de créer et d’adapter des produits pour le ménage moyen en Afrique tout en contrôlant les coûts de fabrication. Le coût du travail au Maroc est moins cher qu’en Europe ou que les régions industrielles chinoises et l’export sur l’ensemble du continent pourra se faire sans aucune taxe douanière, tandis que le coût de transport est plus faible que d’autres concurrents potentiels comme la Chine ou la Turquie.

Bien que les infrastructures routières ne soient pas développées, le commerce international est essentiellement maritime et l’Afrique ne fait pas exception. Les plus grandes villes du continent, qui ne cessent de grandir du fait de l’exode rural sont toutes situées sur les côtes et l’écrasante majorité d’entre elles possède une liaison maritime directe avec le Maroc. Enfin, le continent et ses 1,2 milliard d’habitants sont un formidable terrain de jeux pour les entreprises marocaines et une échelle démographique pouvant servir de levier au développement économique accéléré du Royaume.

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Le Maroc se retrouve donc très compétitif sur un immense marché à fort potentiel de croissance, logistiquement connecté au Royaume et dans lequel les banques marocaines sont déjà massivement implémentées. Naturellement, une stratégie nationale de cette ampleur demande une coordination étroite entre les pouvoirs publics, les acteurs économiques et les banques pour faire émerger une stratégie de conquête industrielle.

Un Nouveau modèle de développement sans stratégie économique claire et coordonnée, a peu de chance d’aboutir. La stratégie doit par définition rester du domaine clos et ne pas tomber dans le domaine public, intelligence économique oblige. Il est néanmoins nécessaire pour le Royaume d’entamer une réflexion profonde et consacrer du temps à l’élaboration d’une vision stratégique rigoureuse et efficace, car avec un taux d’endettement dépassant les 90% du PIB, le Royaume n ‘a plus beaucoup de marge de manœuvre pour rejoindre le club fermé des pays émergents.

Anas Abdoun est senior analyste chez Stratas Advisors et consultant indépendant basé à Casablanca

 
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