Dossier

La Chine : Un nouveau modèle qui inspire le Maroc

Après le Japon, l’expansion fulgurante de la Chine et la montée imparable de l’Inde ont fait basculer l’épicentre du monde vers le Pacifique et l’Océan indien. Ce basculement de la centralité du monde a été l’objet de la 46ème session de l’Académie du Royaume du Maroc (du 9 au 17 Décembre) consacrée entièrement à ces trois dragons sous le thème : l’Asie comme horizon de pensée. Nous livrons ce premier texte à la Chine qui fait l’objet cette semaine d’un dossier spécial.  

Les grandes réformes en Chine, issues de la stratégie adoptée à partir de 1978, ont été traduites par la création de Zones Economiques Spéciales (Z.E.S), d’abord à Shenzhen non loin de Hong Kong, avant d’être généralisées à d’autres régions. Le succès des premières Z.E.S, transformées et démultipliées en vastes zones industrielles, a eu un effet d’entraînement inclusif à la fin des années 80. Le changement de stratégie à chaque stade de développement et l’adaptation aux nouveaux besoins exigés par l’évolution de la situation internationale, témoignent du pragmatisme ayant présidé à l’application des réformes. 

L’autre facteur déterminant de l’essor de la Chine, après son admission à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), en 2001, réside dans les mesures prises pour maximiser les bénéfices des opportunités offertes par l’accélération du rythme de la globalisation de l’économie Internationale. L’encouragement de l’entreprenariat, le développement du secteur privé et l’ouverture aux investissements étrangers dans le cadre de joint-ventures représentèrent à cet égard un tournant décisif pour un pays communiste. 

D’après le professeur J.P.Cabestan(1), la thèse communément admise que le développement spectaculaire de la Chine et l’expansion d’une classe moyenne qu’il entraîne favorisent, tôt ou tard, une évolution plus ou moins douce vers la démocratie à l’occidental, semble être une thèse fragile au regard du large consensus des élites chinoises autour de ce projet. 

Selon Jin Liangxiang(2), les nombreux articles consacrés à l’expérience de la Chine dans la gestion des problèmes de développement ont omis deux faits importants. Le premier est la politique foncière dans les zones rurales : la Chine a su préserver la propriété des terres des travailleurs paysans qui ont émigré vers les villes afin que ces derniers, lorsqu’ils vieillissent, échouent ou perdent leurs emplois, peuvent rentrer chez eux et trouver une maison où dormir et une terre pour se nourrir. Cette politique a servi à maintenir la stabilité sociale tout au long du processus de modernisation. Ce n’était pas le cas de l’Iran du Shah, lorsque les cohortes des travailleurs ruraux qui n’ont pas réussi à s’intégrer dans les grandes villes, se sont transformées en une force majeure de la révolution islamique de 1979. La seconde est l’approche de la Chine de veiller à développer de bonnes relations avec les puissances majeures, les pays voisins et les pays en développement. La Chine est confortée, selon Yiwei Wang(3), par son histoire qui, en dépit de sa puissance millénaire, n’a jamais cherché à dominer les autres nations. Le fondement du respect mutuel de la civilisation chinoise a servi à maintenir un environnement international favorable et amical pour le développement de la Chine. Cette optique est derrière l’inscription dans la préface de la Constitution de la Chine du principe ‘’communauté de destin pour l’humanité’’ qui démontre qu’elle ne cherche pas l’hégémonie, mais son objectif est que l’avenir de chaque nation et de chaque pays soit étroitement lié à celui des autres nations et pays. L’humanité doit vivre dans l’harmonie dans ce grand foyer commun qu’est notre planète.

Capitalisant sur leur legs historique et ayant en mémoire le rayonnement d’antan de l’Empire du Milieu, la Chine a lancé en 2013 son projet pharaonique «Nouvelles routes de la soie» doté d’un budget de 1.300 Milliards de dollars en partenariat avec 68 pays représentant 4,4 milliards d’habitants et 62 % du PIB mondial. Ce projet prévoit la création d’un vaste espace unifié par des réseaux transnationaux de routes maritimes, de ports, de chemins de fer et de pipelines. Ces routes et les énormes investissements d’infrastructures qu’elles impliquent sont appelées à soutenir la croissance chinoise sur le long terme et sécuriser son approvisionnement en matières premières et en sources d’énergie. 

Aujourd’hui, la Chine impressionne par la taille de son marché, les énormes excédents de sa balance commerciale, la puissance financière de ses Fonds souverains et l’énormité des budgets consacrés à la Recherche et Développement. Ces performances et énormes sauts qualitatifs sont des prouesses qui ne peuvent qu’interpeller les peuples et les Etats en quête d’un modèle de développement efficient. Selon le professeur Zhang Zhenke(4), la Chine, à l’instar du continent africain, avait de vastes zones de terres rurales et la majorité de sa population était des agriculteurs. Les politiques de développement rural menées en Chine depuis lors, ont permis la réduction spectaculaire de la pauvreté. Le nombre de citoyens chinois pauvres a été réduit de 250 millions en 1978 à 70 millions en 2013. Ce qui fait dire à Ding Long(5) que les pays en développement pourraient bénéficier de l’expérience de la Chine en matière de politique industrielle, de construction d’infrastructures et d’attraction des investissements directs étrangers, comme ils pourraient tirer des leçons des échecs et des erreurs de la Chine. 

Pour Plamen Tonchev(6), la Chine a réussi à se transformer d’un grand pays «sous-développé» en «atelier du monde», une économie à revenu intermédiaire, un pilier de l’ordre économique et politique mondial, et enfin en puissance de haute technologie. Étant donné le point de départ et l’ampleur de ce processus, la transformation du pays a été vraiment spectaculaire. Le leadership du pays envisage désormais de passer à un nouveau modèle économique moins dépendant d’objectifs numériques, de fabrication et d’exportation polluantes et davantage axé sur la consommation intérieure, les services et les importations. En d’autres termes, en rejoignant le rang des pays développés, la Chine est dorénavant appelée à poursuivre une croissance qualitative plus que quantitative. n

1-Jean Pierre Cabestan, Professeur au Département de Sciences Politiques de l’Université baptiste de Hong Kong et Directeur de recherche au CNRS, (France).

2-Jin Liangxiang, Senior Research Fellow at the Center for West Asian and African Studies and Senior Research Fellow with the Institute for International Strategic Studies, (R.P.C).

3-Yiwei Wang, Directeur de l’Institut des affaires internationales, et du Centre d’études européennes à l’Université Renmin, (R.P.C).

4-Zhang Zhenke, Professeur de Géographie, Directeur de l’Institut des Etudes Africaines de l’Université de Nanjing, (R.P.C).

5-Ding Long, Deputy Dean and Professor of Middle Eastern Studies at the School of Foreign Studies at the University of International Business and Economics, (R.P.C).

6-Plamen Tonchev, Chef de l’Unité Asie à l’Institut des Relations Economiques Internationales à Athènes (IIER), (Grèce).

 
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