Dossier

Une lettre de cadrage plus politique

Abdelilah Benkirane Chef du Gouvernement

C’est une habitude bénéfique pour notre pilotage budgétaire que d’orienter les membres de l’équipe gouvernementale vers les mêmes objectifs. Fixer le cap et avancer avec des moteurs fiables et un personnel convaincu et discipliné constituent des préalables à un maintien des équilibres tant en période normale qu’en cas de passage par des zones de turbulence financière.

C
 

’est le rôle de la lettre de cadrage qui prend la forme juridique d’une note du Chef du gouvernement. Celle-ci  aurait pu constituer un moyen encore plus efficace pour la gestion publique si un plan de programmation financière pluriannuelle était mis en place au début de la législature pour  lui servir  de cadre de référence.

Un rendez-vous en guise  d’ouverture du spectacle

C’est surtout vers la mi-août que la lettre de cadrage qui fixe les principales orientations pour l’affectation des deniers publics durant l’année à venir, fait son apparition. Nous n’avons pas encore l’habitude de faire ce travail dans des délais raisonnables et de permettre aux différents départements ministériels de faire leur travail dans la sérénité. En posant la question à un haut responsable d’un département budgétivore, la réponse a été claire et pratique. On nous a accordé une augmentation de 10 % de crédits pour 2015, et d’ajouter que c’est anormalement insuffisant pour mettre en place toutes les politiques que notre ministère a promis de mettre en œuvre pour combler les retards de notre secteur et honorer les engagements que nous avons tenus lors des séances plénières parlementaires et dans les débats au sein des commissions. La lettre de cadrage n’arrive pas à décoller et mettre la politique financière de l’Etat dans les seuils qu’exige une bonne gouvernance de nos politiques publiques et nos grands projets sectoriels. La note de cadrage pour 2015 mérite néanmoins d’être citée comme la meilleure, depuis plusieurs années. Elle est loin des précédentes par la richesse de ses axes et de ses objectifs, mais elle reste un chantier qui doit être investi avec plus de professionnalisme. Les objectifs et les actions ne sont pas encore fixés avec un maximum de précision. A titre d’exemple, les comptes spéciaux du Trésor et les SEGMA ne sont pas concernés par des mesures de rationalisation de leurs dépenses et d’efficacité au niveau de leurs recettes. Les seuils de réduction des dépenses fiscales ne sont pas, non plus, déterminés pour lever le voile sur la vraie portée économique des exonérations et sur les déséquilibres qu’elles causent à nos comptes publics. Les dépenses du personnel de l’Etat reçoivent certes, un traitement au niveau de l’annonce des principes de bonne gestion de limitation de la création des postes, mais la question du remplacement des départs à la retraite n’est pas évoquée avec un ciblage sectoriel. La question du maintien en service de milliers d’enseignants jusqu’à l’achèvement de l’année scolaire 2014-2015 est révélatrice du manque de programmation dans un domaine aussi vital que les ressources humaines. La décision de maintien en fonction a certes respecté le cheminement la légitimant, mais le temps de son passage durant les vacances par la commission parlementaire était court et le  nombre de parlementaires ayant assisté aux travaux de la commission n’a pas dépassé, selon nos sources, quatre.  

La présentation selon les mécanismes de la «nouvelle» Loi organique des finances n’est pas pour 2015

Nous sommes à la veille d’une véritable transformation de notre Loi organique des finances. Les  orientations contenues dans la lettre de cadrage doivent permettre, en conséquence, une ouverture sur  une nouvelle culture dans l’utilisation de l’argent public. Un instrument de politique économique publique s’inscrit en principe dans le long terme et annonce la perspective dans des termes clairs et chiffrés. Une lettre de cadrage devant guider la préparation de la prochaine Loi de finances doit retenir parmi ses concepts clés, les termes très pertinents du dernier discours du Trône. Les politiques publiques ne sont pas de simples compilations  de mesures ou de projets, ni des affectations annuelles  de crédits. Il s’agit d’une vision à long terme  traduite sous forme de stratégies, de politiques, de moyens institutionnels et de supports budgétaires pour répondre à des situations de déséquilibres ou de déficits sectoriels ou régionaux. Le projet de Loi de finances de 2015 ne sera, malheureusement pas, présenté selon les dispositions d’une nouvelle Loi organique des finances. Celle-ci est encore dans sa phase d’adoption. Les services n’ont pas la possibilité de présenter deux versions de la Loi de finances en tenant compte d’une possible adoption finale de la nouvelle LOF en septembre, lors d’une éventuelle session extraordinaire du parlement. Dans tous les cas, l’expérience engagée avec quatre départements ministériels sera élargie à d’autres, afin d’asseoir la pratique des nouveaux principes de gestion budgétaire d’une façon progressive. 

Idriss Azami Al Idrissi, ministre chargé du Budget.

Quelques priorités pour la réforme

La gestion du portefeuille de l’Etat est traitée comme une des priorités des finances publiques. Le Maroc continue de payer les pots cassés  des entreprises et établissements publics qui sont encore loin des  principes de la bonne gestion. Surveiller ces entités et pouvoir les orienter est une tâche difficile. L’exemple de l’ONE,  ainsi que d’autres entités est éloquent. Ce sont des institutions qui n’apparaissent qu’une fois que les deniers publics doivent être mis en avant pour rééquilibrer ce que la gestion a généré pendant plusieurs années d’autonomie totale. Les patrons des entreprises publiques doivent intégrer le contrôle politique et toutes les autres formes de contrôle, et ne pas constituer des exceptions à la règle. L’entreprise publique est toujours ce lieu où les salaires sont anormalement hauts et où le luxe des moyens est visible. Le parc auto, la qualité des locaux (5 Etoiles) et le statut des dirigeants est plus qu’alléchant. Et pendant ce temps-là, on nous dit que la compétence se paie chère. Nous voulons bien croire à ce discours si ces « experts »  n’étaient pas dans leur majorité,  des pistonnés et des produits de réseaux. Les heureux élus au travail dans ces institutions qui fonctionnent avec l’argent public portent des noms qui rappellent des états-majors politiques ou administratifs ou des grandes familles.

La note du Chef du gouvernement prend des allures d’appel pressant et sincère à prendre des vraies mesures et notamment, pour réduire au maximum les composantes en devise des projets,  pour veiller à la réduction du déficit budgétaire, de la limitation des dépenses  de fonctionnement  en procédant aux achats groupés, à la limitation de la consommation de l’énergie, à la soumission de toute opération d’acquisition de véhicule ou de leur location à l’accord du Chef du gouvernement, à la limitation des missions à l’étranger, à l’accélération du rythme d’exécution des projets d’investissement et l’examen objectif et juste de toutes les questions liées à l’expropriation pour cause d’utilité publique.

La note de cadrage introduit, par ailleurs, une limitation très importante dans le domaine de l’affectation des dépenses sur la caisse universelle appelée par les nomenclatures budgétaires : « les charges communes ». Seules les dépenses qui ne peuvent être affectées directement à un département ministériel peuvent faire partie des charges communes. Cette enveloppe est utilisée pour couvrir à titre d’exemple, les dépenses de la compensation et les charges de la dette. 

Une lettre de cadrage différente et plus politique

Les péripéties politiques de l’année dernière ont été dépassées et nous avons eu droit à une lettre de cadrage plus fournie et plus politique. Les réalisations et les bons indices sont annoncés dès les premiers paragraphes. L’évolution de ces indices est qualifiée de positive et notamment, ceux relatifs à nos comptes extérieurs présentée en introduction. Comment se priver de l’étalage des bons chiffres dans une atmosphère politique qui n’est pas facile. L’exercice du Chef du gouvernement devant le parlement au mois de juillet n’était pas facile. Traduire en chiffres et en actes les volontés très bien expliquées est primordial. C’est pour cette raison que la circulaire du cadrage budgétaire pour 2015 est plus expressive que les précédentes. Le  Chef du gouvernement a utilisé un langage réaliste et marqué par la prudence. Les signes positifs donnés par l’économie réelle  en termes d’investissements, d’exportations et d’appréciations extérieures faites par les partenaires du pays, sont tempérés par les risques qui guettent la consolidation de la stabilité économique. La reprise économique mondiale est encore lente, les prix de l’énergie continuent leur valse inquiétante et les coûts des réformes structurelles comme celles de la justice, de la retraite, de la régionalisation avancée et de  l’accompagnement des programmes sociaux sont lourds pour les finances publiques.

Cette situation appelle une mobilisation des ressources internes et externes  en s’armant  d’un système de veille et de vigilance pour renforcer l’orientation positive des indices économiques et financiers. L’allusion au capital immatériel est doublée d’un appel à tous les départements pour  une coopération avec la Banque du Maroc et le Conseil économique, social et environnemental afin de réaliser l’étude demandée par SM le Roi dans les meilleures conditions. Partant de ces préalables, la note circulaire met l’accent sur quatre objectifs considérés comme les priorités de l’année 2015, à savoir :

–  Renforcer  la confiance en notre économie nationale, l’amélioration de sa compétitivité, le renforcement de l’investissement privé et l’appui à l’entreprise ;

– L’accélération de la mise en vigueur des dispositions de la Constitution, des grandes réformes structurelles et de la régionalisation ;

–  L’appui à la solidarité  sociale et spatiale et à la promotion de l’emploi ;

– La poursuite des efforts pour retrouver progressivement les équilibres macroéconomiques.

Une première  lecture de ces priorités permet de mesurer les défis à relever loin des élans discursifs et des répliques politiciennes entre acteurs de la scène. Les objectifs présentés demeureront prioritaires pour des années encore. Ce n’est nullement un jugement politique, mais une simple compréhension de la dureté de la gestion de l’économie et des finances dans des temps difficiles pour tout le monde. Ceci étant, il serait plus sérieux de ne plus chanter sur les sorties à l’international pour un milliard d’euros à 3,5% et en déduire que les agences de notation ont pris acte de notre sérieux. Le caractère versatile de l’environnement et de ses acteurs peut être lu négativement quelques mois après, comme étant  un signe négatif. D’autres facteurs que la stabilité macroéconomique pourraient influencer ceux qui notent « les performances » d’une façon qui n’est pas toujours objective. Nous avons beaucoup de mauvaises expériences avec ceux qui nous classent dans des rangs très loin des performances en matière de développement humain.

La circulaire met en relief l’importance de la convergence et de la complémentarité  des politiques sectorielles (tourisme, Maroc vert, accélération industrielle, énergies solaires….). Le mal suprême de notre gestion publique sévit dans la concurrence kafkaïenne entre les ministères dans le domaine des succès des politiques sectorielles. Nous n’avons pas encore intégré le travail de l’équipe gouvernementale. Chacun veut apparaitre comme le meilleur et surtout le plus autonome  dans la gestion de son département. Le Conseil de gouvernement doit être ce lieu où la convergence doit élire son lieu de gestation et de naissance.

L’autre point fort de la circulaire est dans la volonté exprimée pour faire de l’implantation de l’investissement un facteur d’équilibre régional.  Permettre l’éclosion de pôles régionaux et leur renforcement est le seul moyen pour donner un vrai sens à la régionalisation avancée dont l’avant-projet fait couler beaucoup d’encre et génère les réactions les plus incompréhensibles. La diplomatie en tant que système de renforcement de l’impact économique et comme générateur d’une présence marocaine remarquée est mise en avant  dans la note. C’est une première en matière financière publique. Les succès extérieurs de notre économie  sont mis en avant pour montrer le rôle que la diplomatie peut jouer. C’est vrai, l’arme de la dynamique économique pourrait supplanter rationnellement et durablement  l’effet éphémère des flux des pétrodollars  algériens.   

D’autres points forts…

Le secteur informel gangrène notre économie et ce n’est  nullement en chantant sur les effets de la précarité sociale qu’on peut rendre service à notre pays. La lutte contre le secteur informel appelle la responsabilité et la recherche des moyens institutionnels pour intégrer, loin de toute démagogie, une grande partie des transactions commerciales dans le cadre normal qui préserve les droits des travailleurs et les intérêts du Trésor. Combattre des transactions illicites est une action qui doit être supportée par tous les partis politiques. En jeu, des manques à gagner pour le fisc national et des risques majeurs sur les droits des travailleurs en matière de retraite et de couverture sociale.

La note circulaire se transforme, parfois, en  un discours universel et « fourre tout ». C’est presque toutes les affaires politiques, économiques, sociales et administratives qui trouvent une place dans les orientations données aux départements pour préparer leurs propositions budgétaires au titre de 2015. La déconcentration, la régionalisation avancée, la justice, les réformes structurelles, la compensation, le réseau des services sociaux. Une note de cadrage est d’abord un ensemble de dispositions à caractère budgétaire et financier et non pas un document de politique général. Ce sont  des orientations des finances de l’Etat qui doivent s’inscrirent dans un plan de mesures techniques qui répondent à des objectifs politiques. Faire référence à la réforme fiscale est très judicieux, mais il faut délimiter les orientations en la matière. L’année dernière, une série de mesures fiscales ont été prises et discutées au sein du parlement, mais d’autres ont été introduites à la dernière minute sans qu’elles ne soient préalablement livrées au débat public. Les modifications des taux de la TVA et les changements ayant touché les pensions des retraités n’ont pas laissé de bons souvenirs. Les annonces faites au niveau de la note de cadrage ne sont pas précises. Les dépenses fiscales  connaîtront un toilettage, les taux de la TVA évolueront vers deux et le secteur informel sera mieux appréhendé. L’expérience de l’année dernière concernant l’intégration des forfaitaires dans le régime de la tenue d’une comptabilité primaire mérite une évaluation. Les gros ou les faux forfaitaires ont manipulé les petits et ont fini par gagner la partie. 

Rompre avec les pratiques budgétaires faisant de la logique de l’épicier la règle en matière  de négociations et réduction des enveloppes aux ministères avec plus ou moins de moyens de paiement, ne peut aboutir sans une réelle évaluation de l’acte de dépenser. Nous sommes en pleine période de préparation des plans d’attaque des ordonnateurs et des plans de cadrage par les responsables de la direction du budget. L’équation personnelle n’est pas absente  dans la fluidité du traitement des composantes des propositions budgétaires des départements. Les discussions avec les managers publics rompus à l’exercice de justification des variations à la hausse des besoins sont plus payantes avec les débutants ou ceux dont l’incompétence est notoire en matière budgétaire. La discussion budgétaire doit être un moment de mobilisation au sein du ministère de l’Economie et des finances. L’appui d’autres directions et notamment, de l’Inspection générale des finances serait bénéfique dans l’examen objectif des données présentées par les ordonnateurs. 

La nouveauté concernant le nettoyage des budgets d’investissement

Désormais, toute dépense ayant un lien avec le fonctionnement  disparaitra des lignes budgétaires liées à l’investissement. Se cacher derrière des projets pour procéder à des dépenses de fonctionnement a,  pendant des années, faussé la comptabilisation des efforts en matière d’investissement. Acheter une voiture, payer des salaires ou des frais de déplacements réels ou fictifs étaient des pratiques que les contrôleurs n’arrivaient pas à stopper, du fait de la raideur de l’autorisation budgétaire donnée par le législateur.

Des consignes claires ont été données à Ifrane, lors de la retraite du gouvernement le samedi et dimanche derniers, pour une meilleure allocation des ressources et un intérêt particulier à l’emploi et à la formation professionnelle. C’est l’accès à l’emploi qui permet de retrouver la dignité et qui donne la force de l’amour du pays à nos jeunes. Les discours sur les performances financières et sur les indices macroéconomiques n’ayant pas une traduction concrète sur le terrain ne sont plus porteurs et sont reçus avec le même dédain réservé aux discours idéologiques dépassés. 

 
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